Victor Hugo

Les contemplations. Autrefois, 1830-1843


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quelqu'un d'invisible un passage

      Du poëme inouï de la création;

      L'oiseau parle au parfum; la fleur parle au rayon;

      Les pins sur les étangs dressent leur verte ombelle;

      Les nids ont chaud; l'azur trouve la terre belle,

      Onde et sphère, à la fois tous les climats flottants;

      Ici l'automne, ici l'été; là le printemps.

      O coteaux! ô sillons! souffles, soupirs, haleines!

      L'hosanna des forêts, des fleuves et des plaines,

      S'élève gravement vers Dieu, père du jour;

      Et toutes les blancheurs sont des strophes d'amour;

      Le cygne dit: Lumière! et le lys dit: Clémence!

      Le ciel s'ouvre à ce chant comme une oreille immense.

      Le soir vient; et le globe à son tour s'éblouit,

      Devient un oeil énorme et regarde la nuit;

      Il savoure, éperdu, l'immensité sacrée,

      La contemplation du splendide empyrée,

      Les nuages de crêpe et d'argent, le zénith,

      Qui, formidable, brille et flambloie et bénit,

      Les constellations, ces hydres étoilées,

      Les effluves du sombre et du profond, mêlées

      À vos effusions, astres de diamant,

      Et toute l'ombre avec tout le rayonnement!

      L'infini tout entier d'extase se soulève.

      Et, pendant ce temps-là, Satan, l'envieux, rêve.

La Terrasse, avril 1840.

      V

      À ANDRÉ CHÉNIER

      Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mésallier,

      Prendre à la prose un peu de son air familier.

      André, c'est vrai, je ris quelquefois sur la lyre.

      Voici pourquoi. Tout jeune encor, tâchant de lire

      Dans le livre effrayant des forêts et des eaux,

      J'habitais un parc sombre où jasaient des oiseaux,

      Où des pleurs souriaient dans l'oeil bleu des pervenches;

      Un jour que je songeais seul au milieu des branches,

      Un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois

      M'a dit: «Il faut marcher à terre quelquefois.

      «La nature est un peu moqueuse autour des hommes;

      O poëte, tes chants, ou ce qu'ainsi tu nommes,

      Lui ressembleraient mieux si tu les dégonflais.

      Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets.

      L'azur luit, quand parfois la gaîté le déchire;

      L'Olympe reste grand en éclatant de rire;

      Ne crois pas que l'esprit du poëte descend

      Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant.

      Ce n'est pas un pleureur que le vent en démence;

      Le flot profond n'est pas un chanteur de romance;

      Et la nature, au fond des siècles et des nuits,

      Accouplant Rabelais à Dante plein d'ennuis,

      Et l'Ugolin sinistre au Grandgousier difforme,

      Près de l'immense deuil montre le rire énorme.»

Les Roches, juillet 1830.

      VI

      LA VIE AUX CHAMPS

      Le soir, à la campagne, on sort, on se promène,

      Le pauvre dans son champ, le riche en son domaine;

      Moi, je vais devant moi; le poëte en tout lieu

      Se sent chez lui, sentant qu'il est partout chez Dieu.

      Je vais volontiers seul. Je médite ou j'écoute.

      Pourtant, si quelqu'un veut m'accompagner en route,

      J'accepte. Chacun a quelque chose en l'esprit;

      Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.

      Chaque fois qu'en mes mains un de ces livres tombe,

      Volume où vit une âme et que scelle la tombe,

      J'y lis.

      Chaque soir donc, je m'en vais, j'ai congé,

      Je sors. J'entre en passant chez des amis que j'ai.

      On prend le frais, au fond du jardin, en famille.

      Le serein mouille un peu les bancs sous la charmille;

      N'importe: je m'assieds, et je ne sais pourquoi

      Tous les petits enfants viennent autour de moi.

      Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent.

      C'est qu'ils savent que j'ai leurs goûts; ils se souviennent

      Que j'aime comme eux l'air, les fleurs, les papillons

      Et les bêtes qu'on voit courir dans les sillons.

      Ils savent que je suis un homme qui les aime,

      Un être auprès duquel on peut jouer, et même

      Crier, faire du bruit, parler à haute voix;

      Que je riais comme eux et plus qu'eux autrefois,

      Et qu'aujourd'hui, sitôt qu'à leurs ébats j'assiste,

      Je leur souris encor, bien que je sois plus triste;

      Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais

      Me fâcher; qu'on s'amuse avec moi; que je fais

      Des choses en carton, des dessins à la plume;

      Que je raconte, à l'heure où la lampe s'allume,

      Oh! des contes charmants qui vous font peur la nuit;

      Et qu'enfin je suis doux, pas fier et fort instruit.

      Aussi, dès qu'on m'a vu: «Le voilà!» tous accourent.

      Ils quittent jeux, cerceaux et balles; ils m'entourent

      Avec leurs beaux grands yeux d'enfants, sans peur, sans fiel,

      Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel!

      Les petits-quand on est petit, on est très-brave-

      Grimpent sur mes genoux; les grands ont un air grave;

      Ils m'apportent des nids de merles qu'ils ont pris,

      Des albums, des crayons qui viennent de Paris;

      On me consulte, on a cent choses à me dire,

      On parle, on cause, on rit surtout; – j'aime le rire,

      Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,

      Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et coeurs,

      Qui montre en même temps des âmes et des perles. -

      J'admire les crayons, l'album, les nids de merles;

      Et quelquefois on dit quand j'ai bien admiré:

      «Il est du même avis que monsieur le curé.»

      Puis, lorsqu'ils ont jasé tous ensemble à leur aise,

      Ils font soudain, les grands s'appuyant à ma chaise,

      Et les petits toujours groupés sur mes genoux,

      Un silence, et cela veut dire: «Parle-nous.»

      Je leur parle de tout. Mes discours en eux sèment

      Ou l'idée ou