Victor Hugo

Les contemplations. Autrefois, 1830-1843


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ciel, Dieu qui s'y cache, et l'astre qu'on y voit.

      Tout, jusqu'à leur regard, m'écoute. Je dis comme

      Il faut penser, rêver, chercher. Dieu bénit l'homme,

      Non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché.

      Je dis: Donnez l'aumône au pauvre humble et penché;

      Recevez doucement la leçon ou le blâme.

      Donner et recevoir, c'est faire vivre l'âme!

      Je leur conte la vie, et que, dans nos douleurs,

      Il faut que la bonté soit au fond de nos pleurs,

      Et que, dans nos bonheurs, et que, dans nos délires,

      Il faut que la bonté soit au fond de nos rires;

      Qu'être bon, c'est bien vivre, et que l'adversité

      Peut tout chasser d'une âme, excepté la bonté;

      Et qu'ainsi les méchants, dans leur haine profonde,

      Ont tort d'accuser Dieu. Grand Dieu! nul homme au monde

      N'a droit, en choisissant sa route, en y marchant,

      De dire que c'est toi qui l'as rendu méchant;

      Car le méchant, Seigneur, ne t'est pas nécessaire!

      Je leur raconte aussi l'histoire; la misère

      Du peuple juif, maudit qu'il faut enfin bénir;

      La Grèce, rayonnant jusque dans l'avenir;

      Rome; l'antique Égypte et ses plaines sans ombre,

      Et tout ce qu'on y voit de sinistre et de sombre.

      Lieux effrayants! tout meurt; le bruit humain finit.

      Tous ces démons taillés dans des blocs de granit,

      Olympe monstrueux des époques obscures,

      Les Sphinx, les Anubis, les Ammons, les Mercures,

      Sont assis au désert depuis quatre mille ans;

      Autour d'eux le vent souffle, et les sables brûlants

      Montent comme une mer d'où sort leur tête énorme;

      La pierre mutilée a gardé quelque forme

      De statue ou de spectre, et rappelle d'abord

      Les plis que fait un drap sur la face d'un mort;

      On y distingue encor le front, le nez, la bouche,

      Les yeux, je ne sais quoi d'horrible et de farouche

      Qui regarde et qui vit, masque vague et hideux.

      Le voyageur de nuit, qui passe à côté d'eux,

      S'épouvante, et croit voir, aux lueurs des étoiles,

      Des géants enchaînés et muets sous des voiles.

La Terrasse, août 1840.

      VII

      RÉPONSE À UN ACTE D'ACCUSATION

      Donc, c'est moi qui suis l'ogre et le bouc émissaire.

      Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre,

      J'ai foulé le bon goût et l'ancien vers françois

      Sous mes pieds, et, hideux, j'ai dit à l'ombre: «Sois!»

      Et l'ombre fut. – Voilà votre réquisitoire.

      Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,

      Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis

      Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits.

      De la chute de tout je suis la pioche inepte;

      C'est votre point de vue. Eh bien, soit, je l'accepte;

      C'est moi que votre prose en colère a choisi;

      Vous me criez: Racca; moi, je vous dis: Merci!

      Cette marche du temps, qui ne sort d'une église

      Que pour entrer dans l'autre, et qui se civilise;

      Ces grandes questions d'art et de liberté,

      Voyons-les, j'y consens, par le moindre côté,

      Et par le petit bout de la lorgnette. En somme,

      J'en conviens, oui, je suis cet abominable homme;

      Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis,

      D'autres crimes encor que vous avez omis,

      Avoir un peu touché les questions obscures,

      Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures,

      De la vieille ânerie insulté les vieux bâts,

      Secoué le passé du haut jusques en bas,

      Et saccagé le fond tout autant que la forme,

      Je me borne à ceci: je suis ce monstre énorme,

      Je suis le démagogue horrible et débordé.

      Et le dévastateur du vieil A B C D;

      Causons.

      Quand je sortis du collège, du thème,

      Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême

      Et grave, au front penchant, aux membres appauvris;

      Quand, tâchant de comprendre et dé juger, j'ouvris

      Les yeux sur la nature et sur l'art, l'idiome,

      Peuple et noblesse, était l'image du royaume;

      La poésie était la monarchie; un mot

      Était un duc et pair, ou n'était qu'un grimaud;

      Les syllabes, pas plus que Paris et que Londre,

      Ne se mêlaient; ainsi marchent sans se confondre

      Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf;

      La langue était l'État avant quatre-vingt-neuf;

      Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes;

      Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,

      Les Méropes, ayant le décorum pour loi,

      Et montant à Versailles aux carrosses du roi;

      Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,

      Habitant les patois; quelques-uns aux galères

      Dans l'argot; dévoués à tous les genres bas,

      Déchirés en haillons dans les halles; sans bas,

      Sans perruque; créés pour la prose et la farce;

      Populace du style au fond de l'ombre éparse;

      Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef

      Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F;

      N'exprimant que la vie abjecte et familière,

      Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.

      Racine regardait ces marauds de travers;

      Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,

      Il le gardait, trop grand pour dire: Qu'il s'en aille;

      Et Voltaire criait: Corneille s'encanaille!

      Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.

      Alors, brigand, je vins; je m'écriai: Pourquoi

      Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière?

      Et sur l'Académie, aïeule et douairière,

      Cachant sous ses jupons les tropes effarés,

      Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,

      Je fis souffler un vent révolutionnaire.

      Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.

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