Memnon ou la sagesse humaine
Préface de l'Éditeur
Longchamp dit que Memnon est de 1746; mais on a vu que c'était d'abord sous ce titre qu'avait été imprimé Zadig; et il est à croire que Longchamp, qui n'a rédigé ses Mémoires que long-temps après, aura confondu les deux ouvrages. Par la raison même que Voltaire avait donné en 1747 un Memnon, il est à présumer que ce n'est pas immédiatement après qu'il aura publié un autre ouvrage sous le même titre. En admettant la nécessité de l'intervalle entre deux ouvrages différents du même auteur, mais ayant le même titre, cet intervalle ne peut s'étendre au-delà de 1750, puisque c'est la date que porte le tome IX de l'édition de Dresde des Oeuvres de Voltaire. C'est sous la même date qu'a été publié le Recueil de pièces en vers et en prose, par l'auteur de la tragédie de Sémiramis, 1750, in-12. P. Clément, auteur des Cinq Années littéraires, dit dans sa quarante-sixième lettre, datée du 13 janvier 1750, qu'il n'y a pas quinze jours que le petit conte de Memnon est échappé à son auteur.
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR1
Nous tromper dans nos entreprises,
C'est à quoi nous sommes sujets;
Le matin je fais des projets,
Et le long du jour, des sottises.
Ces petits vers conviennent assez à un grand nombre de raisonneurs; et c'est une chose assez plaisante de voir un grave directeur d'âmes finir par un procès criminel, conjointement avec un banqueroutier2. A ce propos, nous réimprimons ici ce petit conte, qui est ailleurs; car il est bon qu'il soit partout.
MEMNON, ou LA SAGESSE HUMAINE
Memnon conçut un jour le projet insensé d'être parfaitement sage. Il n'y a guère d'hommes à qui cette folie n'ait quelquefois passé par la tête. Memnon se dit à lui-même: Pour être très sage, et par conséquent très heureux, il n'y a qu'à être sans passions; et rien n'est plus aisé, comme on sait. Premièrement je n'aimerai jamais de femme; car, en voyant une beauté parfaite, je me dirai à moi-même: Ces joues-là se rideront un jour; ces beaux yeux seront bordés de rouge; cette gorge ronde deviendra plate et pendante; cette belle tête deviendra chauve. Or je n'ai qu'à la voir à présent des mêmes yeux dont je la verrai alors, et assurément cette tête ne fera pas tourner la mienne.
En second lieu je serai toujours sobre; j'aurai beau être tenté par la bonne chère, par des vins délicieux, par la séduction de la société; je n'aurai qu'à me représenter les suites des excès, une tête pesante, un estomac embarrassé, la perte de la raison, de la santé, et du temps, je ne mangerai alors que pour le besoin; ma santé sera toujours égale, mes idées toujours pures et lumineuses. Tout cela est si facile, qu'il n'y a aucun mérite à y parvenir.
Ensuite, disait Memnon, il faut penser un peu à ma fortune; mes désirs sont modérés; mon bien est solidement placé sur le receveur-général des finances de Ninive; j'ai de quoi vivre dans l'indépendance: c'est là le plus grand des biens. Je ne serai jamais dans la cruelle nécessité de faire ma cour: je n'envierai personne, et personne ne m'enviera. Voilà qui est encore très aisé. J'ai des amis, continuait-il, je les conserverai, puisqu'ils n'auront rien à me disputer. Je n'aurai jamais d'humeur avec eux, ni eux avec moi; cela est sans difficulté.
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