Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 3


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chesse d' Abrantès

      Histoire des salons de Paris (Tome 3/6) / Tableaux et portraits du grand monde sous Louis XVI, Le Directoire, le Consulat et l'Empire, la Restauration et le règne de Louis-Philippe Ier

      UNE LECTURE

      CHEZ ROBESPIERRE

      DE LA SOCIÉTÉ EN FRANCE SOUS LA TERREUR

      Rien n'est, je crois, plus difficile que d'écrire l'histoire contemporaine, lorsque surtout les événements ont été influents sur vous ou sur les vôtres, et que leur souvenir se vient offrir à vous et se heurter en même temps, pour ainsi dire, avec de nouvelles impressions sans cesse renouvelées; car, quelle est l'année, le mois pouvons-nous dire, où nous n'avons éprouvé une douleur inattendue, comme peut-être une joie. Alors les événements les plus rapprochés sont ceux qui, quelquefois, passent avant d'autres plus anciens dans la revue que l'esprit fait d'une vie si remplie et si agitée; on laisse par-devers soi bien des choses sur lesquelles ensuite on est contraint de revenir. Cela m'est arrivé plusieurs fois dans mes Mémoires et dans cet ouvrage; mais comme tout en ne disant que la vérité, je n'écris cependant pas l'histoire, et que ce désordre n'existe nullement dans mon esprit, je n'ai pas voulu m'astreindre à un ordre régulier qui peut-être aurait nui à la couleur du récit.

      J'ai parlé de l'état de la société en France au moment de la Révolution. Je l'ai même conduite jusqu'à celui où elle ne fut plus dirigée que par un petit nombre de personnes dont la vie précaire n'avait pour durée que le caprice d'un des rois du Comité de Salut public. Madame de Staël fut la première de toutes les femmes en France qui se mit à la tête d'un parti qu'elle forma parmi les gens du monde, et qui prit une bannière. Ce Salon, dont j'ai parlé dans les premiers volumes de cet ouvrage, donne la mesure de la décadence de notre société. Madame de Staël, effrayée par les horribles scènes du 10 août et du 2 septembre, quitta Paris. Après son départ, le sceptre de cette nouvelle souveraineté tomba dans les mains d'une autre femme qui, ainsi que la première, pouvait et concevoir et exécuter: c'était madame Roland!

      Quelle est l'âme française qui n'a payé son tribut d'admiration au courage de cette femme héroïque? quel est le cœur qui ne bat et s'attendrit en écoutant les douleurs de son martyre de femme, de Française et de mère?.. Mais aussi, quelle est celle parmi nous qui n'est fière d'entendre raconter les merveilles de la vie de cette courageuse sœur de la Gironde, qui mourut avec la force vraiment grande que donne toujours la vertu, et sa pieuse résignation; digne amie des plus renommés parmi les victimes du 31 mai, elle sut leur élever un éternel monument qui fut consacré par sa vertueuse indignation, que la crainte des mêmes bourreaux ne l'empêcha jamais de témoigner à haute voix, et l'échafaud où elle termina sa vie, à peine âgée de trente-sept ans, fut pour elle un trône d'où elle fut proclamée une femme vraiment grande.

      Les bourreaux qui régnaient alors comprirent qu'elle était à craindre!.. Son ascendant sur le peuple l'avait suffisamment prouvé. Un soir, elle était seule au ministère de l'Intérieur; il était onze heures. Roland était absent pour une séance qui se tenait chez l'un des ministres, car en ce moment rien n'était arrêté ni statué pour la marche des affaires, et cependant le Roi était au Temple! et le tocsin commençait à tinter pour les massacres de septembre!.. plusieurs centaines d'hommes, portant des torches et blasphémant, entrent dans la cour du ministère en appelant Roland à grands cris.

      – Que lui voulez-vous? leur dit sa courageuse femme en défendant à ses domestiques de fermer les portes et se présentant elle-même à ces furieux; que cherchez-vous?

      – Des armes! On nous a dit qu'il y en avait ici, et nous les voulons.

      – S'il y en avait, je vous les donnerais, mais il n'y en a pas;… elles nous seraient inutiles; le ministère de M. Roland n'exige aucune mesure défensive. S'il avait eu besoin d'armes pour le service de la patrie, sans doute il en aurait demandé; mais, je vous le répète, il n'en est rien. Au surplus, nous allons chercher… je vais vous conduire moi-même.

      Et seule, sans crainte, car elle était sans reproche, elle guide cette troupe ivre et furieuse dans le vaste hôtel, dont elle parcourt tous les détours avec elle. Étonnée, et bientôt dominée par le véritable ascendant que presque toujours la force vertueuse exercera sur la masse, cette foule se retira sans avoir commis le moindre dégât chez cet homme qu'elle venait massacrer1.

      Dans cette soirée, les décemvirs de 93 comprirent donc la grandeur de son pouvoir, et sa mort fut résolue. Mais elle le fut surtout après le supplice de cette Gironde dont elle était la sœur et l'amie. Quelque temps encore, cependant, elle s'abusa, et son salon contint ces mêmes hommes avec lesquels elle ne croyait que converser, tandis qu'elle répondait à un interrogatoire, lorsque, entre Danton, Robespierre et leurs amis, elle s'abandonnait à une simple discussion politique.

      Parmi les crimes de la Terreur, la mort de madame Roland fut peut-être le plus infâme.

      Après ce nouvel holocauste, Paris ne fut plus qu'une vaste arène où tombaient des têtes dans des lacs de sang… La terreur enchaînait tous les esprits, et ceux qui étaient assez heureux pour échapper aux cachots et à la hache ne pouvaient s'occuper du soin puéril de présider à une réunion causante… une fête encore moins… Hélas! qui n'avait pas alors à trembler pour un père, une sœur, un frère?.. Et cependant il y avait encore des fêtes dans Paris!.. Oui, on y dansait… on avait l'apparence du bonheur… on ordonnait de rire… On devait conduire une jeune fille dans les saturnales qui se célébraient dans la rue!.. Les trésors de sa figure d'enfant, la pudeur virginale de son front, étaient exposés aux regards éhontés d'un des bourreaux de la Force ou de l'Abbaye, qui quelquefois disait:

      – Je la veux!..

      Et les décemvirs la lui donnaient.

      Dans le même moment, Robespierre marchait dans Paris élégamment habillé, coiffé avec la plus grande recherche, employant pour sa toilette les essences les plus suaves, les pommades les plus odorantes… Son linge était d'une extrême beauté; son jabot, fait d'une dentelle précieuse, était toujours à côté d'un gilet rose, bleu ou blanc, en soie glacée, et légèrement brodé en argent ou en or, et à sa main il portait un bouquet de roses, même en hiver… Cet homme, ainsi habillé, paraissait convenir parfaitement à l'un des plus élégants salons de Paris, et pourtant il logeait chez un menuisier… Son appartement n'était certes pas somptueux, et ne répondait pas au luxe de sa toilette; et pourtant, dans cet appartement presque misérable, il recevait ce que la France avait de plus redoutable en pouvoir après lui… Il recevait enfin, il donnait à dîner… on causait… et même l'on riait!.. C'est dans un souper chez Robespierre, avec Danton, Saint-Just et Brissot, que la mort de madame de Sainte-Amaranthe et de madame de Sartines, sa fille, fut résolue… Un mot fut dit au milieu du souper. Ce mot entendu et compris pouvait faire du tort notablement à Robespierre…

      – Tu as parlé! lui dit Saint-Just le lendemain du souper.

      – Qu'ai-je dit?

      Saint-Just répéta le mot. Robespierre fronça le sourcil… Il était grave, ce mot, et le dictateur sentit son imprudence. Il fut l'arrêt de la mère et de la fille.

      Elles moururent sur l'échafaud, revêtues de la robe rouge, comme assassins de Collot d'Herbois!..

      Ce n'était pas les vers qu'un jour il avait adressés à la jolie madame de Sartines, qui devaient compromettre Robespierre… ces vers sont bien curieux. Les voici:

      Sur le pouvoir de tes appas

      Demeure toujours alarmée;

      Tu ne seras que plus aimée,

      Si tu veux ne l'être pas.

      Ces vers furent faits par Robespierre pour mademoiselle de Sainte-Amaranthe, madame de Sartines…

      Elle avait alors dix-neuf ans. Elle était charmante… Mariée seulement depuis un an à M. de Sartines, fils de l'ancien lieutenant-général de police, depuis ministre de la Marine, elle avait été conduite chez Robespierre par sa mère, et toutes deux payèrent de leurs têtes cet acte de lâcheté. Ce fut elle qui montra le plus de courage; elle alla à l'échafaud avec sa mère, son mari, son frère et sa belle-sœur, pour ce prétendu projet d'assassinat de Collot-d'Herbois…

      – Ne croyez pas punir, dit-elle, avec une fermeté