Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7 comprenant ses mémoires publiées par Thomas Moore
SARDANAPALE.
TRAGÉDIE HISTORIQUE
PRÉFACE
En publiant les tragédies de Sardanapale et des Deux Foscari, il me suffit de répéter qu'elles n'ont pas été composées dans la moindre vue de jamais les livrer au théâtre.
Les comédiens ayant une première fois essayé la représentation d'une de mes pièces, l'opinion publique s'est déjà prononcée dans cette circonstance.
Quant à mes intentions particulières, comme il paraît qu'on ne veut en tenir aucun compte, je n'en dirai rien.
Le lecteur, en consultant les notes, trouvera les fondemens historiques des ouvrages que je lui présente.
L'auteur a, dans l'un d'eux, tenté de garder, et, dans l'autre, de violer aussi légèrement que possible la règle des unités; persuadé qu'en les méprisant tout-à-fait, on peut bien se montrer grand poète, mais jamais véritable auteur dramatique. Il sait combien cette déclaration semblera impopulaire dans la littérature anglaise actuelle; mais ce n'est pas de sa part un système, mais une simple opinion qui, naguère encore, était un principe littéraire généralement reconnu dans le monde, et qui l'est encore dans les contrées les plus civilisées: au reste, nous avons changé tout cela1, et nous recueillons les fruits de ce changement. L'auteur est loin de croire que rien de ce qu'il essaiera puisse jamais approcher les chefs-d'œuvre de ses classiques, ou même irréguliers prédécesseurs: seulement, il expose les raisons qui lui font préférer la plus régulière structure, malgré sa faiblesse, au complet abandon de toutes les règles. Lorsqu'il est en défaut, il faut en accuser l'architecte, non pas l'art.
AVERTISSEMENT
Mon intention, dans cette tragédie, a été de suivre le récit de Diodore de Sicile, en le ramenant toutefois à cette régularité dramatique qui me semblait le mieux favoriser l'observation des unités. Au lieu donc de la longue guerre dont parle l'histoire, j'ai supposé que la révolte éclatait et se terminait en un jour, par le moyen d'une conspiration subite.
Personnages
SARDANAPALE, roi de Ninive et d'Assyrie, etc.
ARBACES, Mède aspirant au trône.
BELÈSES, Chaldéen et devin.
SALEMÈNES, beau-frère du roi.
ALTADA, officier assyrien du palais.
PANIA.
ZAMES.
SFÉRO.
BALÉA
ZARINA, reine.
MIRRHA, esclave ionienne, et favorite de Sardanapale.
Femmes composant le harem de Sardanapale.
Gardes, Suivans, Prêtres, Chaldéens, Mèdes, etc.
ACTE PREMIER
Il a outragé la reine, mais il est encore son époux; il a outragé ma sœur, mais il est encore mon frère; il a outragé son peuple, mais il en est le roi, et je lui dois mon amitié aussi bien que ma soumission: non, il ne mourra pas ainsi. Je ne verrai pas le sang de Nemrode et de Sémiramis disparaître de la terre, et treize cents années de commandement finir comme un conte de berger; il faut le relever. Il y a dans son ame efféminée un insouciant courage que la corruption n'a pas entièrement étouffé; une secrète énergie que le tems a pu réprimer, mais non pas détruire: – il est plongé, mais non pas noyé dans l'abîme des voluptés. Villageois, il se fût montré capable de conquérir un empire; né sur le-trône, il ne le transmettra pas: ses fils n'hériteront que d'un nom peu glorieux. – Cependant, tout n'est pas perdu; il peut encore secouer son indolence et sa honte, et se montrer tel qu'il doit être, sans plus d'effort qu'il n'en met à se montrer tel qu'il ne le devrait pas. Serait-il, en effet, moins difficile de commander aux nations que de traîner une vie fainéante? de conduire une armée, que de diriger un harem? Il s'épuise en de fades plaisirs; il abrutit son ame; il éteint sa généreuse vigueur au milieu de soins qui ne donnent pas la santé, comme la chasse; ou la gloire, comme la guerre. – Il faut le rappeler à lui-même; mais, hélas! (On entend de l'intérieur des appartemens une musique suave.) le tonnerre seul pourrait le réveiller. Écoutez! c'est le luth, c'est la lyre, c'est le tambourin; les accords lascifs de langoureux instrumens, les molles voix des femmes et de ces êtres qui sont moins que des femmes se font entendre comme l'écho de ses plaisirs; et cependant le grand roi de toute la terre connue incline sa tête couronnée de roses, et son diadème négligemment attaché semble devoir être la conquête de la première main généreuse qui osera le lui ravir. Ils viennent! Déjà se répandent jusqu'à moi les parfums de sa suite voluptueuse. Je distingue les étincelles des pierres précieuses des jeunes filles, dont il a fait ses confidentes et son conseil: elles s'avancent dans la galerie, parmi les flots de ces femmes, revêtues du même costume, et non moins femmes qu'elles-mêmes. Voici venir le petit-fils de Sémiramis, la reine-homme! Faut-il l'attendre? Oui, l'affronter même; lui répéter ce que tous les gens de bien se disent quand ils parlent de lui et de sa cour. Les voilà les esclaves que conduit un monarque serviteur de ses esclaves.
Que le pavillon soit tendu sur l'Euphrate, qu'il soit illuminé et disposé pour un banquet particulier; à minuit, nous y souperons: songez à ce que rien ne manque, et faites préparer les galères qui doivent nous y conduire. Une brise rafraîchissante ride la large surface des flots: nous ne tarderons pas à nous embarquer. Vous, qui daignez partager les doux momens de Sardanapale, nymphes charmantes, nous nous retrouverons à cette heure plus douce encore, et alors, réunis comme les étoiles suspendues sur nos têtes, nous formerons un empirée aussi brillant que le leur. Mais en attendant, que chacune reste maîtresse de son tems; pour toi, Mirrha, ma chère Ionienne, choisis: veux-tu demeurer avec elles ou avec moi?
Seigneur-
Seigneur! Pourquoi donc, ma chère ame, cette froide réponse? Hélas! c'est le malheur des rois de l'entendre souvent. Dispose de tes instans comme tu disposes des miens. Dis-moi, veux-tu accompagner notre société, ou, loin d'elle, continuer à charmer ici mes heures?
Le choix du roi est le mien.
Ne parle pas ainsi, je te prie: ma joie la plus chère est de servir chacun de tes vœux. Je n'ose même exprimer mes propres désirs, dans la crainte de contrarier les tiens; car tu te montres toujours trop empressée à sacrifier tes pensées devant celles des autres.
Je voudrais donc rester: je n'ai de bonheur qu'en contemplant le tien; cependant-
Cependant? Qu'est-ce cependant? Tes vœux chéris seront toujours la seule barrière qui pourra s'élever entre toi et moi.
Je songe que l'heure présente est ordinairement celle du conseil; mieux vaudrait donc me retirer.
L'esclave ionienne dit bien; qu'elle se retire.
Qui parle ainsi? Quoi! vous ici, mon frère?
Le frère de la reine, ô roi, et votre plus fidèle vassal.
Comme je l'ai dit, que tout le monde dispose de ses heures, jusqu'à celle de minuit, où nous sollicitons de nouveau votre présence. (La cour se retire.) (A Mirrha, qui s'éloigne.) Mirrha! toi, je croyais que tu restais?
Grand roi, tu ne l'as pas dit.
Mais