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La Belgique héroïque et martyre


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Belgique héroïque et martyre

      AVANT-PROPOS

«Périsse la Belgique plutôt que l'honneur!»Le Roi ALBERT à son Armée,(1er septembre 1914).«La Belgique est punie comme jamais peuple ne le fut, pour avoir fait son devoir comme jamais peuple ne le fit.»Maurice MAETERLINCK.

      Il n'est pas, dans l'histoire de la royauté, un geste comparable à celui d'Albert Ier résistant de toute la hauteur de son courage et de sa loyauté à la honteuse violation de son royaume par les armées allemandes; il n'est pas dans l'histoire de l'humanité un mouvement plus héroïque que celui du peuple belge se groupant autour de son souverain, pour défendre au prix de son sang, au prix de son existence, le droit des nations à la liberté et à la vie. Et cela sans songer même aux prochaines représailles du vainqueur – du vainqueur d'un jour – et sans se soucier de la stupeur décourageante des états neutres qui, dans leur impardonnable oubli des conventions internationales, code sacré aujourd'hui détruit, se regardaient en tremblant, le doigt sur les lèvres.

      Le souvenir exemplaire de ce geste souverain et de cet élan national, confondus dans le plus douloureux et le plus absolu des sacrifices, traversera désormais les siècles avec une sorte de rayonnement légendaire amplifié de jour en jour par la pieuse admiration des hommes.

      Dans la mesure de ses moyens, la revue l'Art et les Artistes veut contribuer à fixer ce mémorable événement, à propager son prestige aussi, et à défendre contre le pardon et contre l'oubli l'odieuse conduite des soldats allemands et des chefs qui les conduisaient au pillage, au vol, aux incendies, aux massacres des femmes et des enfants et aux barbares et inutiles destructions des œuvres d'art et des monuments du passé. «Oublier c'est permettre au crime de se préparer dans l'ombre, c'est permettre au guet-apens de s'organiser de nouveau.»

      Il faut que l'infamie du bourreau reste liée éternellement dans l'histoire à la noblesse de l'héroïque victime pour apparaître, en pleine lumière des faits indiscutables, toujours plus hideuse et toujours plus méprisable. A côté de l'œuvre d'art dans toute sa suprême beauté, dans tout l'épanouissement de sa gloire, il faut montrer l'écroulement final et la désolation des ruines où, dans les gravats, dans les poussières et dans les cendres, rien ne subsiste plus du génie des hommes; à côté des restes des innocentes victimes, il faut produire sans cesse la brute triomphante et cruelle.

      Mieux que les plus éloquents discours, mieux que les écrits les plus documentés, dont l'effet salutaire peut être, parfois, troublé ou même paralysé par l'action empoisonnée de subtils mensonges, la simple image du crime, éclaire l'histoire d'une lumière sans ombre. C'est la preuve irréfutable.

      Ce que nous avons fait pour la Cathédrale de Reims, nous voulons le faire aujourd'hui pour la Belgique héroïque et martyre.

      Le lecteur verra passer devant ses yeux, d'après des documents d'une émouvante sincérité, le douloureux cortège des villes et des villettes détruites, des campagnes saccagées et aussi quelques-uns de ces coins calmes et tranquilles particuliers à ce bon pays de Flandre, si calmes et si tranquilles au bord du sombre miroir de leurs canaux silencieux, que les douces âmes mystiques, les plus éprises de solitude et de recueillement, s'y réfugiaient, tremblantes colombes, comme dans un nid de consolant repos.

      Que sont devenus ces tendres asiles de prière, d'extase et de paix?

      La rédaction et l'illustration de ce numéro spécial, où la sèche précision photographique, alterne avec des reproductions d'œuvres d'art de premier ordre, ne pouvaient être confiées qu'à des Belges. Nous ne saurions trop remercier de leur précieux et inappréciable concours les écrivains et les artistes dont chacun aura contribué au succès de ce recueil mélancolique et glorieux que la revue l'Art et les Artistes est heureuse et fière de dédier à la Belgique héroïque et à son héroïque souverain.

Armand DAYOT.

      POUR LA BELGIQUE

      LA Belgique est punie comme jamais peuple ne le fut, pour avoir fait son devoir comme jamais peuple ne le fit. Elle a sauvé le monde, tout en sachant qu'elle ne pouvait pas être sauvée. Elle l'a sauvé en se jetant en travers de la ruée barbare, en se laissant piétiner jusqu'à la mort, pour donner aux défenseurs de la justice le temps, non point de la secourir, car elle n'ignorait point qu'elle ne pouvait plus être secourue à temps, mais de rassembler les forces nécessaires pour arracher au plus grand péril qui l'ait menacée, la civilisation latine. Elle a ainsi rendu à cette civilisation, qui est la seule où la plupart des hommes veuillent et puissent vivre, un service exactement pareil à celui que la Grèce, lors des grandes invasions asiatiques, avait rendu à la mère de cette civilisation. Mais si le service est pareil, l'acte passe toute comparaison. On a beau regarder dans l'histoire, on n'y découvre rien qui monte à sa hauteur. Le magnifique sacrifice des Thermopyles, qui est peut-être ce que nous trouvons de plus fier dans les annales de la guerre, s'éclaire d'une lumière aussi héroïque mais moins idéale, parce qu'il était moins désintéressé et moins immatériel. Léonidas et ses trois cents Spartiates défendaient en effet leurs foyers, leurs femmes, leurs enfants, toutes les réalités qu'ils venaient de quitter. Le roi Albert et ses Belges, au contraire, n'ignoraient point qu'en barrant la route à l'envahisseur, ils sacrifiaient inévitablement leurs foyers, leurs femmes et leurs enfants. Loin d'avoir comme les héros de Sparte un intérêt impérieux et vital à combattre, ils avaient tout à gagner à ne combattre point, et rien à perdre, – sauf l'honneur. Il y avait en balance, d'un côté les pillages, les incendies, la ruine, les massacres et l'immense désastre que nous voyons; et de l'autre, ce petit mot d'honneur qui représente aussi d'immenses choses; mais des choses qu'on ne voit point, ou qu'il faut être très pur et très grand pour apercevoir avec une clarté suffisante. Qu'un homme plus haut que les autres aperçoive ce que représente ce mot et sacrifie sa vie et celle de ceux qu'il aime à ce qu'il aperçoit, cela s'est vu çà et là dans l'histoire, et l'on a voué non sans raison à ces hommes une sorte de culte qui les met presque au rang des dieux. Mais que tout un peuple, grands et petits, riches et pauvres, savants et ignorants, se soit à ce point délibérément immolé à une chose qu'on ne voit point, je l'affirme sans craindre qu'en fouillant dans la mémoire des hommes on trouve de quoi me contredire, cela ne s'était pas encore vu.

      Et remarquez qu'il ne s'agit pas d'une de ces résolutions héroïques prises dans une heure d'enthousiasme où l'homme se dépasse facilement soi-même et qu'il n'a pas à soutenir, lorsque son ivresse oubliée, il retombe le lendemain au niveau de sa vie quotidienne. Il s'agit d'une résolution qu'il faut prendre et soutenir chaque matin, depuis près de quatre mois, au sein d'une détresse et d'un désastre qui croissent chaque jour. Et non seulement cette résolution n'a pas fléchi d'une ligne, mais elle s'élève du même pas que le malheur; et aujourd'hui que ce malheur atteint son comble, elle atteint elle aussi son sommet. J'ai vu un grand nombre de mes compatriotes réfugiés: les uns avaient été riches et avaient tout perdu; les autres étaient pauvres avant la guerre et maintenant ne possédaient même plus ce que possède le plus pauvre. J'ai reçu un grand nombre de lettres venues de tous les coins de l'Europe où les exilés du devoir avaient cherché un instant de repos. J'y ai trouvé des plaintes trop naturelles, mais pas un reproche, pas un regret, pas une récrimination. Je n'y ai pas surpris une seule fois cette phrase découragée mais excusable, qui devrait naître si facilement, semble-t-il, sur des lèvres désespérées: «Si notre roi n'avait pas fait ce qu'il a fait, nous ne souffririons pas ce que nous souffrons aujourd'hui.» Ils n'y songent même pas. On dirait que cette pensée n'est plus de celles qui puissent vivre dans l'atmosphère purifiée par leur malheur. Ils ne sont pas résignés, car se résigner c'est renoncer et ne plus tendre son courage. Ils sont heureux et fiers dans leur détresse. Ils sentent obscurément que cette détresse va les régénérer comme un baptême de confiance et de gloire et les ennoblir à jamais dans la mémoire des hommes. Un souffle inattendu, venu des réserves secrètes de la race et des sommets du cœur humain, a passé tout à coup sur leur vie et leur a donné une seule âme formée de la même substance héroïque que celle de leur grand roi.

      Ils ont fait ce qu'on n'avait pas encore fait; et il faut espérer pour le bonheur des hommes qu'aucun peuple n'aura plus à refaire pareil sacrifice. Mais cet exemple admirable ne sera pas perdu, même s'il n'y a plus lieu de l'imiter. A l'heure