Figuier Louis

Gutenberg


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      Gutenberg, pièce historique en 5 actes, 8 tableaux

      PERSONNAGES

      Peuple, Ouvriers, Soldats, Bourgeois, Paysans, etc.

      ACTE PREMIER

      PREMIER TABLEAU

LE DÉPART DE MAYENCE

      Une place publique, à Mayence.—À gauche, une boutique d'orfèvre, avec cette enseigne: Jean Gutenberg, orfèvre.—Sur la façade de la maison est sculptée une tête de taureau, avec cet exergue: Rien ne me résiste.—À droite, une boutique de marchand d'estampes, avec cette enseigne: Pierre Grimmel, marchand d'estampes.

      SCÈNE PREMIÈRE

      HÉBÈLE, FRIÉLO

FRIÉLO, arrivant par la droite, pendant qu'Hébèle sort de la boutique d'orfèvre, à gauche

      Damoiselle Hébèle, mon maître va rentrer; il voudrait vous parler.

HÉBÈLE, descendant en scène1

      Je l'attendrai… Mais sais-tu ce que mon frère veut me dire?

FRIÉLO

      Non, damoiselle.

HÉBÈLE

      Comment, toi, son frère de lait, tu n'es pas son confident?

FRIÉLO

      Mon Dieu, non! Depuis qu'il est devenu le premier orfèvre de Mayence, maître Jean ne fait plus grand cas de moi… pauvre apprenti.... Mais il ne devrait pas se méfier de ça!… (Il frappe sur son cœur.) Un orphelin recueilli par une noble et sainte famille, comme la vôtre, doit avoir un bon cœur; et Dieu m'en a donné un si grand que malgré la place qu'y tiennent déjà tous les Gensfleisch, de Mayence, je sens bien que la femme de mon maître, les enfants et petits-enfants à venir, trouveraient encore à s'y loger.

HÉBÈLE

      Bon Friélo!

FRIÉLO

      Mon métier, ma vie, je dois tout à mon maître; et il n'a pas confiance en moi, qui me ferais hacher pour lui!… Car il se méfie de moi, damoiselle.

HÉBÈLE

      Vraiment!

FRIÉLO

      Depuis quelque temps, il me renvoie de son atelier. Il s'y enferme pendant de longues heures; et lorsqu'il en sort, il est tout préoccupé. J'ai aperçu, l'autre jour, par la porte restée ouverte, des outils, dont je ne peux comprendre l'usage… Tout cela n'est pas naturel. Et tenez, (Il montre les feuillets du marchand d'estampes.) voyez-vous ces feuilles de papier sur lesquelles sont tracés des mots que n'a point écrits une main humaine? C'est une de ses inventions. J'ai bien peur que la fantaisie qu'il a eue d'exposer là ces singulières pages d'écriture, ne lui attire quelque méchante affaire… Mais, silence, le voici.

      SCÈNE II

      Les Mêmes, GUTENBERG

      Gutenberg fait un signe à Friélo, qui sort, par la droite.

HÉBÈLE2

      Tu désires me parler, mon frère?

GUTENBERG, prenant la main d'Hébèle

      Ce que j'ai à te dire est grave, Hébèle. Il s'agit de tout mon avenir.

HÉBÈLE

      Tu sais, Jean, que depuis la mort de nos parents, je t'ai considéré comme le chef de la famille. Je suis persuadée que tu ne peux vouloir rien que de bon et d'honnête. Parle donc.

GUTENBERG

      Notre père, tu le sais, était praticien de la ville; mais il était sans fortune. En mourant, il ne nous laissa pour tout bien que cette maison, la maison du Taureau noir, et le nom, sans tache, de Gensfleisch. Dans notre libre cité de Mayence, la noblesse n'exclut pas le travail. Je n'ai donc pas hésité, pour soutenir notre famille, à choisir une profession; et je suis devenu orfèvre et bijoutier. Mon métier nous fait vivre; mais depuis deux ans, chère sœur, une grande ambition s'est emparée de moi: non cette ambition vulgaire, qui vise à des trésors ou à des honneurs, mais la noble et sainte aspiration de l'homme qui veut doter son pays d'un bienfait nouveau. Au lieu de fabriquer ici des bijoux inutiles, je veux, dès aujourd'hui, consacrer ma vie à une invention destinée à éclairer et à régénérer l'esprit humain.

HÉBÈLE

      Bien dit, mon frère!

GUTENBERG

      As-tu jamais songé à la triste vie de ces pauvres copistes, qui passent leurs journées courbés sur des parchemins, et dont l'existence entière ne suffit pas à transcrire une bible ou un psautier? N'as-tu jamais regretté qu'il n'y eût aucun procédé mécanique pour remplacer le travail de leur main?

HÉBÈLE

      Mais, mon frère, c'est impossible!

GUTENBERG

      Impossible! non! car je veux créer moi-même cet art nouveau.

HÉBÈLE

      Si cet art existait, le peuple pourrait lire et s'instruire; ce qui n'est aujourd'hui que le privilège des gens assez riches pour payer les manuscrits au poids de l'or.

GUTENBERG

      Sans doute! aussi cette idée me prive-t-elle de sommeil, de repos!… Depuis un an j'essaie toutes sortes de moyens pour reproduire les manuscrits par un art mécanique. À la mort de notre mère, je dus me rendre à Gutenberg, pour hériter de son petit domaine. Là, je trouvai, dans un grenier, une vieille presse à images; et l'idée me vint de l'employer à la fabrication des manuscrits. Le résultat que j'obtins dépassa mes espérances. J'ai résolu, dès lors, d'abandonner mon métier d'orfèvre, pour me vouer, corps et âme, à cette entreprise.

HÉBÈLE

      Mais songes-tu aux difficultés… aux dépenses?…

GUTENBERG

      Mon courage sera à la hauteur de mon œuvre… Mais tu le sais, il y a ici une jeune fille, noble, riche et dévouée, à qui j'avais donné mon cœur et promis ma main…

HÉBÈLE

      Annette de la-Porte-de-Fer.

GUTENBERG

      Je ne veux pas l'associer aux difficultés, aux dangers qui m'attendent dans l'accomplissement de ma tâche; je veux quitter Mayence et partir seul. Je viens donc te prier, chère Hébèle, de faire connaître à Annette de la-Porte-de-Fer le sacrifice que je suis obligé de faire de mon bonheur au succès de mon art.

HÉBÈLE

      Ce sera pour elle un coup cruel et inattendu… Mais je n'ai pas à discuter les motifs de ta résolution, ni à sonder les sentiments de ton cœur. La mission dont tu me charges, frère, je l'accomplirai.

GUTENBERG

      Merci, chère Hébèle, je n'attendais pas moins de toi… (Il fait passer Hébèle sur le seuil de la porte de la boutique d'orfèvre.) Et maintenant, rentrons. Je veux mettre sous ta garde ma vieille presse et mes premiers outils.

      Ils rentrent dans la boutique.

      SCÈNE III

      ANNETTE, FRIÉLO, des feuillets à la main3

      Ils arrivent par le fond au moment où Gutenberg et Hébèle entrent dans la boutique d'orfèvre.

FRIÉLO

      Comme je vous le dis, damoiselle Annette, c'est votre fiancé qui a composé ces pages d'écriture mécanique qui vont ameuter tous les manants de la ville… Cela nous portera malheur!… Continuer son bon état d'orfèvre, vous épouser, et avoir une demi-douzaine de beaux enfants, telle aurait été la conduite d'un homme sensé. Mais depuis le jour où il a eu la malheureuse idée d'imiter les manuscrits, je ne reconnais plus mon maître! Il est devenu taciturne, rêveur; et je vous assure qu'en ce moment, il ne songe guère aux femmes, ni au mariage. Si chacun l'imitait, le monde finirait bientôt… Heureusement il n'oblige personne à penser comme lui. Voici l'heure où la petite Rosette, la jolie blonde, m'attend à la fontaine, et si vous n'avez rien à me commander…

ANNETTE

      Va, mon garçon, va…

      Friélo sort, en courant, par le fond, droite.

      SCÈNE IV

      ANNETTE, seule

      La