Чарльз Дарвин

De l'origine des espèces


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en comparant les diverses sous-variétés de ces deux races, et principalement celles provenant de pays éloignés, établir entre elles et le Biset une série presque complète reliant les deux extrêmes (on peut établir les mêmes séries dans quelques autres cas, mais non pas avec toutes les races); troisièmement, que les principaux caractères de chaque race sont, chez chacune d'elles, essentiellement variables, tels que, par exemple, les caroncules et la longueur du bec chez le Messager anglais, le bec si court du Culbutant, et le nombre des plumes caudales chez le pigeon Paon (l'explication évidente de ce fait ressortira quand nous traiterons de la sélection); quatrièmement, que les pigeons ont été l'objet des soins les plus vigilants de la part d'un grand nombre d'amateurs, et qu'ils sont réduits à l'état domestique depuis des milliers d'années dans les différentes parties du monde. Le document le plus ancien que l'on trouve dans l'histoire relativement aux pigeons remonte à la cinquième dynastie égyptienne, environ trois mille ans avant notre ère; ce document m'a été indiqué par le professeur Lepsius; d'autre part, M. Birch m'apprend que le pigeon est mentionné dans un menu de repas de la dynastie précédente. Pline nous dit que les Romains payaient les pigeons un prix considérable: «On en est venu, dit le naturaliste latin, à tenir compte de leur généalogie et de leur race.» Dans l'Inde, vers l'an 1600, Akber-Khan faisait grand cas des pigeons; la cour n'en emportait jamais avec elle moins de vingt mille. «Les monarques de l'Iran et du Touran lui envoyaient des oiseaux très rares;» puis le chroniqueur royal ajoute: «Sa Majesté, en croisant les races, ce qui n'avait jamais été fait jusque-là, les améliora étonnamment.» Vers cette même époque, les Hollandais se montrèrent aussi amateurs des pigeons qu'avaient pu l'être les anciens Romains. Quand nous traiterons de la sélection, on comprendra l'immense importance de ces considérations pour expliquer la somme énorme des variations que les pigeons ont subies. Nous verrons alors, aussi, comment il se fait que les différentes races offrent si souvent des caractères en quelque sorte monstrueux. Il faut enfin signaler une circonstance extrêmement favorable pour la production de races distinctes, c'est que les pigeons mâles et femelles s'apparient d'ordinaire pour la vie, et qu'on peut ainsi élever plusieurs races différentes dans une même volière.

      Je viens de discuter assez longuement, mais cependant de façon encore bien insuffisante, l'origine probable de nos pigeons domestiques; si je l'ai fait, c'est que, quand je commençai à élever des pigeons et à en observer les différentes espèces, j'étais tout aussi peu disposé à admettre, sachant avec quelle fidélité les diverses races se reproduisent, qu'elles descendent toutes d'une même espèce mère et qu'elles se sont formées depuis qu'elles sont réduites en domesticité, que le serait tout naturaliste à accepter la même conclusion à l'égard des nombreuses espèces de passereaux ou de tout autre groupe naturel d'oiseaux sauvages. Une circonstance m'a surtout frappé, c'est que la plupart des éleveurs d'animaux domestiques, ou les cultivateurs avec lesquels je me suis entretenu; ou dont j'ai lu les ouvrages, sont tous fermement convaincus que les différentes races, dont chacun d'eux s'est spécialement occupé, descendent d'autant d'espèces primitivement distinctes. Demandez, ainsi que je l'ai fait, à un célèbre éleveur de boeufs de Hereford, s'il ne pourrait pas se faire que son bétail descendît d'une race à longues cornes, ou que les deux races descendissent d'une souche parente commune, et il se moquera de vous. Je n'ai jamais rencontré un éleveur de pigeons, de volailles, de canards ou de lapins qui ne fût intimement convaincu que chaque race principale descend d'une espèce distincte. Van Mons, dans son traité sur les poires et sur les pommes, se refuse catégoriquement à croire que différentes sortes, un pippin Ribston et une pomme Codlin, par exemple, puissent descendre des graines d'un même arbre. On pourrait citer une infinité d'autres exemples. L'explication de ce fait me paraît simple: fortement impressionnés, en raison de leurs longues études, par les différences qui existent entre les diverses races, et quoique sachant bien que chacune d'elles varie légèrement, puisqu'ils ne gagnent des prix dans les concours qu'en choisissant avec soin ces légères différences, les éleveurs ignorent cependant les principes généraux, et se refusent à évaluer les légères différences qui se sont accumulées pendant un grand nombre de générations successives. Les naturalistes, qui en savent bien moins que les éleveurs sur les lois de l'hérédité, qui n'en savent pas plus sur les chaînons intermédiaires qui relient les unes aux autres de longues lignées généalogiques, et qui, cependant, admettent que la plupart de nos races domestiques descendent d'un même type, ne pourraient-ils pas devenir un peu plus prudents et cesser de tourner en dérision l'opinion qu'une espèce, à l'état de nature, puisse être la postérité directe d'autres espèces?

      PRINCIPES DE SÉLECTION ANCIENNEMENT APPLIQUÉS ET LEURS EFFETS.

      Considérons maintenant; en quelques lignes, la formation graduelle de nos races domestiques, soit qu'elles dérivent d'une seule espèce, soit qu'elles procèdent de plusieurs espèces voisines. On peut attribuer quelques effets à l'action directe et définie des conditions extérieures d'existence, quelques autres aux habitudes, mais il faudrait être bien hardi pour expliquer, par de telles causes, les différences qui existent entre le cheval de trait et le cheval de course, entre le Limier et le Lévrier, entre le pigeon Messager et le pigeon Culbutant. Un des caractères les plus remarquables de nos races domestiques, c'est que nous voyons chez elles des adaptations qui ne contribuent en rien au bien-être de l'animal ou de la plante, mais simplement à l'avantage ou au caprice de l'homme. Certaines variations utiles à l'homme se sont probablement produites soudainement, d'autres par degrés; quelques naturalistes, par exemple, croient que le Chardon à foulon armé de crochets, que ne peut remplacer aucune machine, est tout simplement une variété du Dipsacus sauvage; or, cette transformation peut s'être manifestée dans un seul semis. Il en a été probablement ainsi pour le chien Tournebroche; on sait, tout au moins, que le mouton Ancon a surgi d'une manière subite. Mais il faut, si l'on compare le cheval de trait et le cheval de course, le dromadaire et le chameau, les diverses races de moutons adaptées soit aux plaines cultivées, soit aux pâturages des montagnes, et dont la laine, suivant la race, est appropriée tantôt à un usage, tantôt à un autre; si l'on compare les différentes races de chiens, dont chacune est utile à l'homme à des points de vue divers; si l'on compare le coq de combat, si enclin à la bataille, avec d'autres races si pacifiques, avec les pondeuses perpétuelles qui ne demandent jamais à couver, et avec le coq Bantam, si petit et si élégant; si l'on considère, enfin, cette légion de plantes agricoles et culinaires, les arbres qui encombrent nos vergers, les fleurs qui ornent nos jardins, les unes si utiles à l'homme en différentes saisons et pour tant d'usages divers, ou seulement si agréables à ses yeux, il faut chercher, je crois, quelque chose de plus qu'un simple effet de variabilité. Nous ne pouvons supposer, en effet, que toutes ces races ont été soudainement produites avec toute la perfection et toute l'utilité qu'elles ont aujourd'hui; nous savons même, dans bien des cas, qu'il n'en a pas été ainsi. Le pouvoir de sélection, d'accumulation, que possède l'homme, est la clef de ce problème; la nature fournit les variations successives, l'homme les accumule dans certaines directions qui lui sont utiles. Dans ce sens, on peut dire que l'homme crée à son profit des races utiles.

      La grande valeur de ce principe de sélection n'est pas hypothétique. Il est certain que plusieurs de nos éleveurs les plus éminents ont, pendant le cours d'une seule vie d'homme, considérablement modifié leurs bestiaux et leurs moutons. Pour bien comprendre les résultats qu'ils ont obtenus, il est indispensable de lire quelques-uns des nombreux ouvrages qu'ils ont consacrés à ce sujet et de voir les animaux eux-mêmes. Les éleveurs considèrent ordinairement l'organisme d'un animal comme un élément plastique, qu'ils peuvent modifier presque à leur gré. Si je n'étais borné par l'espace, je pourrais citer, à ce sujet, de nombreux exemples empruntés à des autorités hautement compétentes. Youatt, qui, plus que tout autre peut-être, connaissait les travaux des agriculteurs et qui était lui-même un excellent juge en fait d'animaux, admet que le principe de la sélection «permet à l'agriculteur, non seulement de modifier le caractère de son troupeau, mais de le transformer entièrement. C'est la baguette magique au moyen de laquelle il peut appeler à la vie les formes et les modèles qui lui plaisent.» Lord Somerville dit, à propos de ce que les éleveurs ont fait pour le mouton: «Il semblerait qu'ils aient tracé l'esquisse d'une forme parfaite en soi, puis qu'ils lui ont donné l'existence.» En Saxe, on comprend