Jean Racine

Andromaque


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victoire certaine ;

      Je pris tous mes transports pour des transports de haine.

      Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits,

      Je défiais ses yeux de me troubler jamais.

      Voilà comme je crus étouffer ma tendresse.

      En ce calme trompeur j’arrivai dans la Grèce,

      Et je trouvai d’abord ses princes rassemblés,

      Qu’un péril assez grand semblait avoir troublés.

      J’y courus. Je pensai que la guerre et la gloire

      De soins plus importants rempliraient ma mémoire ;

      Que mes sens reprenant leur première vigueur,

      L’amour achèverait de sortir de mon cœur.

      Mais admire avec moi le sort dont la poursuite

      Me fit courir alors au piège que j’évite.

      J’entends de tous côtés qu’on menace Pyrrhus ;

      Toute la Grèce éclate en murmures confus ;

      On se plaint qu’oubliant son sang et sa promesse

      Il élève en sa cour l’ennemi de la Grèce,

      Astyanax, d’Hector jeune et malheureux fils,

      Reste de tant de rois sous Troie ensevelis.

      J’apprends que pour ravir son enfance au supplice

      Andromaque trompa l’ingénieux Ulysse,

      Tandis qu’un autre enfant, arraché de ses bras,

      Sous le nom de son fils fut conduit au trépas.

      On dit que peu sensible aux charmes d’Hermione

      Mon rival porte ailleurs son cœur et sa couronne.

      Ménélas, sans le croire, en paraît affligé,

      Et se plaint d’un hymen si longtemps négligé.

      Parmi les déplaisirs où son âme se noie,

      Il s’élève en la mienne une secrète joie :

      Je triomphe ; et pourtant je me flatte d’abord

      Que la seule vengeance excite ce transport.

      Mais l’ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place :

      De mes feux mal éteints je reconnus la trace ;

      Je sentis que ma haine allait finir son cours,

      Ou plutôt je sentis que je l’aimais toujours.

      Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage.

      On m’envoie à Pyrrhus ; j’entreprends ce voyage,

      Je viens voir si l’on peut arracher de ses bras

      Cet enfant dont la vie alarme tant d’États.

      Heureux si je pouvais, dans l’ardeur qui me presse,

      Au lieu d’Astyanax, lui ravir ma princesse !

      Car enfin n’attends pas que mes feux redoublés

      Des périls les plus grands puissent être troublés.

      Puisque après tant d’efforts ma résistance est vaine,

      Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne.

      J’aime : je viens chercher Hermione en ces lieux,

      La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux.

      Toi qui connais Pyrrhus, que penses-tu qu’il fasse ?

      Dans sa cour, dans son cœur, dis-moi ce qui se passe.

      Mon Hermione encor le tient-elle asservi ?

      Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu’il m’a ravi ?

      Pylade

      Je vous abuserais si j’osais vous promettre

      Qu’entre vos mains, Seigneur, il voulût la remettre.

      Non que de sa conquête il paraisse flatté ;

      Pour la veuve d’Hector ses feux ont éclaté ;

      Il l’aime. Mais enfin cette veuve inhumaine

      N’a payé jusqu’ici son amour que de haine ;

      Et chaque jour encore on lui voit tout tenter

      Pour fléchir sa captive, ou pour l’épouvanter.

      De son fils qu’il lui cache il menace la tête,

      Et fait couler des pleurs qu’aussitôt il arrête.

      Hermione elle-même a vu plus de cent fois

      Cet amant irrité revenir sous ses lois,

      Et de ses vœux troublés lui rapportant l’hommage,

      Soupirer à ses pieds moins d’amour que de rage.

      Ainsi n’attendez pas que l’on puisse aujourd’hui

      Vous répondre d’un cœur si peu maître de lui :

      Il peut, Seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,

      Épouser ce qu’il hait, et punir ce qu’il aime.

      Oreste

      Mais dis-moi de quel œil Hermione peut voir

      Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir.

      Pylade

      Hermione, Seigneur, au moins en apparence,

      Semble de son amant dédaigner l’inconstance,

      Et croit que trop heureux de fléchir sa rigueur

      Il la viendra presser de reprendre son cœur.

      Mais je l’ai vue enfin me confier ses larmes ;

      Elle pleure en secret le mépris de ses charmes.

      Toujours prête à partir, et demeurant toujours,

      Quelquefois elle appelle Oreste à son secours.

      Oreste

      Ah ! si je le croyais, j’irais bientôt, Pylade,

      Me jeter…

      Pylade

      Achevez, Seigneur, votre ambassade.

      Vous attendez le roi : parlez, et lui montrez

      Contre le fils d’Hector tous les Grecs conjurés.

      Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse,

      Leur haine ne fera qu’irriter sa tendresse.

      Plus on les veut brouiller, plus on va les unir.

      Pressez, demandez tout, pour ne rien obtenir.

      Il vient.

      Oreste

      Eh bien ! va donc disposer la cruelle

      À revoir un amant qui ne vient que pour elle.

      Scène II

      Pyrrhus, Oreste, Phœnix

      Oreste

      Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,

      Souffrez que j’ose ici me flatter de leur choix,

      Et qu’à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie

      De voir le fils d’Achille et le vainqueur de Troie.

      Oui, comme ses exploits nous admirons vos coups :

      Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous ;

      Et