Emile Zola

Une page d'amour


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madame.

      Il s'enhardissait, il regardait dans la chambre, très impressionné par les tentures de velours bleu.

      – Rosalie n'est pas là, reprit Hélène; mais elle va rentrer… Sa tante m'apprend que vous êtes son bon ami.

      Le petit soldat ne répondit pas; il baissa la tête, en riant d'un air gauche, et se remit à gratter le tapis du bout de son pied.

      – Alors, vous devez l'épouser, quand vous sortirez du service? continua la jeune femme.

      – Bien sûr, dit-il en devenant très-rouge, bien sûr, c'est juré…

      Et, gagné par l'air bienveillant de la dame, tournant son képi entre ses doigts, il se décida à parler.

      – Oh! il y a beau temps… Quand nous étions tout petiots, nous allions à la maraude ensemble. Nous avons joliment reçu des coups de gaule; pour ça, c'est bien vrai… Il faut vous dire que les Lacour et les Pichon demeuraient dans la même traverse, côte à côte. Alors, n'est-ce pas? la Rosalie et moi, nous avons été élevés quasiment à la même écuelle… Puis, tout son monde est mort. Sa tante Marguerite lui a donné la soupe. Mais elle, la mâtine, elle avait déjà des bras du tonnerre…

      Il s'arrêta, sentant qu'il s'enflammait, et il demanda d'une voix hésitante:

      – Peut-être bien qu'elle vous a conté tout ça?

      – Oui, mais dites toujours, répondit Hélène qu'il amusait.

      – Enfin, reprit-il, elle était joliment forte, quoique pas plus grosse qu'une mauviette; elle vous troussait la besogne, fallait voir! Tenez, un jour, elle a allongé une tape à quelqu'un de ma connaissance, oh! une tape! J'en ai gardé le bras noir pondant huit jours… Oui, c'est venu comme ça. Dans le pays, tout le monde nous mariait ensemble. Alors, nous n'avions pas dix ans que nous nous sommes tapé dans la main… Et ça tient, madame, ça tient…

      Il posait une main sur son coeur, on écartant les doigts. Hélène pourtant était redevenue grave. Cette idée d'introduire un soldat dans sa cuisine l'inquiétait. Monsieur le curé avait beau le permettre, elle trouvait cela un peu risqué. Dans les campagnes, on est fort libre, les amoureux vont bon train. Elle laissa voir ses craintes. Quand Zéphyrin eut compris, il pensa crever de rire; mais il se retenait, par respect.

      – Oh! madame, oh! madame… On voit bien que vous ne la connaissez point. J'en ai reçu, des calottes!.. Mon Dieu! les garçons, ça aime à rire, n'est-ce pas? Je la pinçais, des fois. Alors, elle se retournait, et v'lan! en plein museau… C'est sa tante qui lui répétait: «Vois-tu, ma fille, ne te laisse pas chatouiller, ça ne porte pas chance.» Le curé aussi s'en mêlait, et c'est peut-être bien pour ça que notre amitié tient toujours… On devait nous marier après le tirage au sort. Puis, va te faire fiche! les choses ont mal tourné. La Rosalie a dit qu'elle servirait à Paris pour s'amasser une dot en m'attendant… Et voilà, et voilà…

      Il se dandinait, passait son képi d'une main dans l'autre. Mais, comme Hélène gardait le silence, il crut comprendre qu'elle doutait de sa fidélité. Cela le blessa beaucoup. Il s'écria avec feu:

      – Vous pensez peut-être que je la tromperai?.. Puisque je vous dis que c'est juré! Je l'épouserai, voyez-vous, aussi vrai que le jour nous éclaire… Et je suis tout prêt à vous signer ça… Oui, si vous voulez, je vais vous signer un papier… Une grosse émotion le soulevait. Il marchait dans la chambre, cherchant des yeux s'il n'apercevait pas une plume et de l'encre. Hélène tenta vivement de le calmer. Il répétait:

      – J'aimerais mieux vous signer un papier… Qu'est-ce que ça vous fait? vous sériez bien tranquille ensuite.

      Mais, juste à ce moment, Jeanne, qui avait disparu de nouveau, rentra en dansant et on tapant des mains.

      – Rosalie! Rosalie! Rosalie! chantait-elle sur un air sautillant qu'elle composait.

      Par les portes ouvertes, on entendit en effet l'essoufflement de la bonne qui montait, chargée de son panier. Zéphyrin recula dans un coin de la pièce; un rire silencieux fondait sa bouche d'une oreille à l'autre, et ses yeux en trous de vrille luisaient d'une malice campagnarde. Rosalie entra droit dans la chambre, comme elle en avait l'habitude familière, pour montrer les provisions du matin à sa maîtresse.

      – Madame, dit-elle, j'ai acheté des choux-fleurs… Voyez donc!.. Deux pour dix-huit sous, ce n'est pas cher…

      Elle tendait son panier entr'ouvert, lorsqu'on levant la tête, elle aperçut Zéphyrin qui ricanait. Une stupeur la cloua sur le tapis. Il s'écoula deux ou trois secondes, elle ne l'avait sans doute pas reconnu tout de suite sous l'uniforme. Ses yeux ronds s'agrandirent, sa petite face grasse devint pâle, tandis que ses durs cheveux noirs remuaient.

      – Oh! dit-elle simplement.

      Et, de surprise, elle lâcha son panier. Les provisions roulèrent sur le tapis, les choux-fleurs, des oignons, des pommes. Jeanne, enchantée, poussa un cri et se jeta par terre, au milieu de la chambre, courant après les pommes, jusque sous les fauteuils et l'armoire à glace. Cependant, Rosalie, toujours paralysée, ne bougeait pas, répétait:

      – Comment! c'est toi!.. Qu'est-ce que tu fais la, dis? qu'est-ce que tu fais la?

      Elle se tourna vers Hélène et demanda:

      – C'est donc vous qui l'avez laissé entrer?

      Zéphyrin ne parlait pas, se contentait de cligner les paupières d'un air malin. Alors, des larmes d'attendrissement montèrent aux yeux de Rosalie, et pour témoigner sa joie de le revoir, elle ne trouva rien de mieux que de se moquer de lui.

      – Ah! va, reprit-elle en s'approchant, t'es joli, t'es propre, avec cet habit-là!.. J'aurais pu passer à côté de toi, je n'aurais pas seulement dit: Dieu te bénisse!.. Comme te voilà fait! T'as l'air d'avoir ta guérite sur ton dos. Et ils t'ont joliment rasé la tête, tu ressembles au caniche du sacristain… Bon Dieu! que t'es laid, que t'es laid!

      Zéphyrin, vexé, se décida à ouvrir la bouche.

      – Ce n'est pas ma faute, bien sûr… Si on t'envoyait au régiment, nous verrions un peu.

      Ils avaient complètement oublié où ils se trouvaient, et la chambre, et Hélène, et Jeanne, qui continuait à ramasser les pommes. La bonne s'était plantée debout devant le petit soldat, les mains nouées sur son tablier.

      – Alors, tout va bien là-bas? demanda-t-elle.

      – Mais oui, sauf que la vache des Guignard est malade, l'artiste est venu, et il leur a dit comme ça qu'elle était pleine d'eau,

      – Si elle est pleine d'eau, c'est fini.. À part ça, tout va bien?

      – Oui, oui… Il y a la garde champêtre qui s'est cassé le bras.. Le père Canivet est mort… Monsieur la curé a perdu sa bourse, où il y avait trente sous, en revenant de Grandval… Autrement tout va bien.

      Et ils se turent. Ils se regardaient avec des yeux luisants, les lèvres pincées et lentement remuées dans une grimace tendre. Ce devait être leur façon de s'embrasser, car ils ne s'étaient pas même tendu la main. Mais Rosalie sortit tout à coup de sa contemplation, et elle se désola on voyant ses légumes par terre. Un beau gâchis! il lui faisait faire de propres choses! Madame aurait dû le laisser attendre dans l'escalier. Tout en grondant, elle se baissait, remettait au fond du panier les pommes, les oignons, les choux-fleurs, à la grande contrariété de Jeanne, qui ne voulait pas qu'on l'aidât. Et, comme elle s'en allait dans sa cuisine, sans regarder davantage Zéphyrin, Hélène, gagnée par la tranquille santé des deux amoureux, la retint pour lui dire:

      – Écoutez, ma fille, votre tante m'a demandé d'autoriser ce garçon à venir vous voir le dimanche… Il viendra l'après-midi, et vous tacherez que votre service n'en souffre pas trop.

      Rosalie s'arrêta, tourna simplement la tête. Elle était bien contente, mais elle gardait son air grognon.

      – Oh! madame, il va joliment me déranger! cria-t-elle.

      Et, par-dessus son épaule, elle jeta un regard