Emile Zola

Une page d'amour


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vif.

      – Non, non, cria Hélène, laissez la fenêtre ouverte… N'est-ce pas, monsieur?

      De petits souffles de vent entraient, soulevant les rideaux. Ella ne les sentait pas. Pourtant le châle était complètement tomba de ses épaules, découvrant la naissance de la gorge. Par derrière, son chignon dénoué laissait pendre des mèches folles jusqu'à ses reins. Elle avait dégagé ses bras nus, pour être plus prompte, oublieuse de tout, n'ayant plus que la passion de son enfant. Et, devant elle, affairé, le médecin ne songeait pas davantage à son veston ouvert, à son col de chemise que Jeanne venait d'arracher.

      – Soulevez-la un peu, dit-il. Non, pas ainsi… Donnez-moi votre main.

      Il lui prit la main, la posa lui-même sous la tête de l'enfant, à laquelle il voulait faire reprendra une cuillerée de potion. Puis, il l'appela près de lui. Il se servait d'elle comme d'un aide, et elle était d'une obéissance religieuse, en voyant que sa fille semblait plus calme.

      – Venez… Vous allez lui appuyer la tête sur votre épaule, pendant que j'écouterai.

      Hélène fit ce qu'il ordonnait. Alors, lui, se pencha au-dessus d'elle, pour poser son oreille sur la poitrine de Jeanne. Il avait effleuré de la joue son épaule nue, et en écoutant le coeur de l'enfant, il aurait pu entendre battre le coeur de la mère. Quand il se releva, son souffle rencontra le souffle d'Hélène.

      – Il n'y a rien de ce côté-là, dit-il tranquillement, pendant qu'elle se réjouissait. Recouchez-la, il ne faut pas la tourmenter davantage.

      Mais un nouvel accès se produisit. Il fut beaucoup moins grave. Jeanne laissa échapper quelques paroles entrecoupées. Deux autres accès avortèrent, à de courts intervalles. L'enfant était tombée dans une prostration qui parut de nouveau inquiéter le médecin. Il l'avait couchée, la tête très haute, la couverture ramenée sous le menton, et pendant près d'une heure il demeura là, à la veiller, paraissant attendre le son normal de la respiration. De l'autre côté du lit, Hélène attendait également, sans bouger.

      Peu à peu, une grande paix se fit sur la face de Jeanne. La lampe l'éclairait d'une lumière blonde. Son visage reprenait son ovale adorable, un peu allongé, d'une grâce et d'une finesse de chèvre. Ses beaux yeux fermés avaient de larges paupières bleuâtres et transparentes, sous lesquelles on devinait l'éclat sombre du regard. Son nez mince souffla légèrement, sa bouche un peu grande eut un sourire vague. Et elle dormait ainsi, sur la nappe de ses cheveux étalés, d'un noir d'encre.

      – Cette fois, c'est fini, dit le médecin à demi-voix. Et il se tourna, rangeant ses flacons, s'apprêtant à partir. Hélène s'approcha, suppliante.

      – Oh! monsieur, murmura-t-elle, ne me quittez pas. Attendez quelques minutes. Si des accès se produisaient encore… C'est vous qui l'avez sauvée.

      Il fit signe qu'il n'y avait plus rien à craindre. Pourtant, il resta, voulant la rassurer. Elle avait envoyé Rosalie se coucher. Bientôt, le jour parut, un jour doux et gris sur la neige qui blanchissait les toitures. Le docteur alla fermer la fenêtre. Et tous deux échangèrent de rares paroles, au milieu du grand silence, à voix très-basse.

      – Elle n'a rien de grave, je vous assure, disait-il. Seulement, à son âge, il faut beaucoup de soins… Veillez surtout à ce qu'elle mène une vie égale, heureuse, sans secousse.

      Au bout d'un instant, Hélène dit à son tour:

      – Elle est si délicate, si nerveuse… Je ne suis pas toujours maîtresse d'elle. Pour des misères, elle a des joies et des tristesses qui m'inquiètent, tant elles sont vives… Elle m'aime avec une passion, une jalousie qui la font sangloter, lorsque je caresse un autre enfant.

      Il hocha la tête, en répétant:

      – Oui, oui, délicate, nerveuse, jalouse… C'est le docteur Bodin qui la soigne, n'est-ce pas? Je causerai d'elle avec lui. Nous arrêterons un traitement énergique. Elle est à l'époque où la santé d'une femme se décide.

      En le voyant si dévoué, Hélène eut un élan de reconnaissance.

      – Ah! monsieur, que je vous remercie de toute la peine que vous avez prise!

      Puis, ayant élevé la voix, elle vint se pencher au-dessus du lit, de peur d'avoir réveillé Jeanne. L'enfant dormait, toute rose, avec son vague sourire aux lèvres. Dans la chambre calmée, une langueur flottait. Une somnolence recueillie et comme soulagée avait repris les tentures, les meubles, les vêtements épars. Tout se noyait et se délassait dans le petit jour entrant par les deux fenêtres.

      Hélène, de nouveau, demeurait debout dans la ruelle. Le docteur se tenait à l'autre bord du lit. Et, entre eux, il y avait Jeanne, sommeillant avec son léger souffle.

      – Son père était souvent malade, reprit doucement Hélène, revenant à l'interrogatoire. Moi, je me suis toujours bien portée.

      Le docteur, qui ne l'avait point encore regardée, leva les yeux, et ne put s'empêcher de sourire, tant il la trouvait saine et forte. Elle sourit aussi, de son bon sourire tranquille. Sa belle santé la rendait heureuse.

      Cependant, il ne la quittait pas du regard. Jamais il n'avait vu une beauté plus correcte. Grande, magnifique, elle était une Junon châtaine, d'un châtain doré à reflets blonds. Quand elle tournait lentement la tête, son profil prenait une pureté grave de statue. Ses yeux gris et ses dents blanches lui éclairaient toute la face. Elle avait un menton rond, un peu fort, qui lui donnait un air raisonnable et ferme. Mais ce qui étonnait le docteur, c'était la nudité superbe de cette mère. Le châle avait encore glissé, la gorge se découvrait, les bras restaient nus. Une grosse natte, couleur d'or bruni, coulait sur l'épaule et se perdait entre les seins. Et, dans son jupon mal attaché, échevelée et en désordre, elle gardait une majesté, une hauteur d'honnêteté et de pudeur qui la laissait chaste sous ce regard d'homme, où montait un grand trouble.

      Elle-même, un instant, l'examina. Le docteur Deberle était un homme de trente-cinq ans, à la figure rasée, un peu longue, l'oeil fin, les lèvres minces. Comme elle le regardait, elle s'aperçut à son tour qu'il avait le cou nu. Et ils restèrent ainsi face à face, avec la petite Jeanne endormie entre eux. Mais cet espace, tout à l'heure immense, semblait se resserrer. L'enfant avait un trop léger souffle. Alors, Hélène, d'une main lente, remonta son châle et s'enveloppa, tandis que le docteur boutonnait le col de son veston.

      – Maman, maman, balbutia Jeanne dans son sommeil.

      Elle s'éveillait. Quand elle eut les yeux ouverts, elle vit le médecin et s'inquiéta.

      – Qui est-ce? qui est-ce? demandait-elle.

      Mais sa mère la baisait.

      – Dors, ma chérie, tu as été un peu souffrante… C'est un ami.

      L'enfant paraissait surprise. Elle ne se souvenait de rien. Le sommeil la reprenait, et elle se rendormit, en murmurant d'un air tendre:

      – Oh! j'ai dodo!.. Bonsoir, petite mère… S'il est ton ami, il sera le mien.

      Le médecin avait fait disparaître sa pharmacie. Il salua silencieusement et se retira. Hélène écouta un instant la respiration de l'enfant. Puis, elle s'oublia, assise sur le bord du lit, les regards et la pensée perdus. La lampe, laissée allumée, pâlissait dans le grand jour.

      II

      Le lendemain, Hélène songea qu'il était convenable d'aller remercier le docteur Deberle. La façon brusque dont elle l'avait forcé à la suivre, la nuit entière passée par lui auprès de Jeanne, la laissaient gênée, en face d'un service qui lui semblait sortir des visites ordinaires d'un médecin. Cependant, elle hésita pendant deux jours, répugnant à cette démarche pour des raisons qu'elle n'aurait pu dire. Ces hésitations l'occupaient du docteur; un matin, elle le rencontra et se cacha comme un enfant. Elle fut très-contrariée ensuite de ce mouvement de timidité. Sa nature tranquille et droite protestait contre ce trouble qui entrait dans sa vie. Aussi décida-t-elle qu'elle irait remercier le docteur le jour même.

      La crise de la petite avait eu lieu dans la nuit du