quartier-général était, le 21, à Dessau.
Voici les renseignemens qu'on a pu recueillir sur les causes de cette étrange guerre.
Le général Schmettau (mort prisonnier à Weymar) fit un mémoire écrit, avec beaucoup de force et dans lequel il établissait que l'armée prussienne devait se regarder comme déshonorée, qu'elle était cependant en état de battre les Français, et qu'il fallait faire la guerre.
Les généraux Ruchel (tué) et Blucher (qui ne s'est sauvé que par un subterfuge, en abusant de la bonne foi française), souscrivirent ce mémoire, qui était rédigé en forme de pétition au roi. Le prince Louis-Ferdinand de Prusse (tué) l'appuya de toutes sortes de sarcasmes. L'incendie gagna toutes les tètes. Le duc de Brunswick (blessé très-grièvement), homme connu pour être sans volonté et sans caractère, fut enrôlé dans la faction de la guerre. Enfin, le mémoire étant ainsi appuyé, on le presenta au roi. La reine se chargea de disposer l'esprit de ce prince, et de lui faire connaître ce qu'on pensait de lui. Elle lui rapporta qu'on disait qu'il n'était pas brave, et que, s'il ne faisait pas la guerre, c'est qu'il n'osait pas se mettre à la tête de l'armée. Le roi, réellement aussi brave qu'aucun prince de Prusse, se laissa entraîner sans cesser de conserver l'opinion intime qu'il faisait une grande faute.
Il faut signaler les hommes qui n'ont pas partagé les illusions des partisans de la guerre. Ce sont le respectable feld-maréchal Mollendorf et le général Kalkreuth.
On assure qu'après la belle charge du neuvième et du dixième régiment de hussards à Saalfeld, le roi dit: «Vous prétendiez que la cavalerie française ne valait rien, voyez cependant ce que fait la cavalerie légère, et jugez ce que feront les cuirassiers. Ces troupes ont acquis leur supériorité par quinze ans de combats. Il en faudrait autant, afin de parvenir à les égaler; mais qui de nous serait assez ennemi de la Prusse pour désirer cette terrible épreuve?»
L'empereur, déjà maître de toutes les communications et des magasins de l'ennemi, écrivit le 12 de ce mois la lettre ci-jointe (nous l'avons rapportée à son ordre de date), qu'il envoya au roi de Prusse par l'officier d'ordonnance Montesquiou.
Cet officier arriva le 13, à quatre heures après midi, au quartier du général Hohenlohe, qui le retint auprès de lui, et qui prit la lettre dont il était porteur.
Le camp dit roi de Prusse était à deux lieues en arrière. Ce prince devait donc recevoir la lettre de l'empereur au plus tard à six heures du soir. On assure cependant qu'il ne la reçut que le 14, à neuf heures du matin, c'est-à-dire, lorsque déjà l'on se battait. On rapporte aussi que le roi de Prusse dit alors: «Si cette lettre était arrivée plus tôt, peut-être aurait-on pu ne pas se battre; mais ces jeunes gens ont la tête tellement montée, que s'il eût été question hier de la paix, je n'aurais pas ramené le tiers de mon armée à Berlin.»
Le roi de Prusse a eu deux chevaux tués sous lui, et a reçu un coup de fusil dans la manche.
Le duc de Brunswick a eu tous les torts dans cette guerre; il a mal conçu et mal dirigé les mouvemens de l'armée; il croyait l'empereur à Paris, lorsqu'il se trouvait sur ses flancs; il pensait avoir l'initiative des mouvemens, et il était déjà tourné.
Au reste, la veille de la bataille, la consternation était déjà dans les chefs; ils reconnaissaient qu'on était mal posté, et qu'on allait jouer le va-tout de la monarchie. Ils disaient tous: «Eh bien? nous paierons de notre personne». Ce qui est, d'ordinaire, le sentiment des hommes qui conservent peu d'espérance.
La reine se trouvait toujours au quartier-général à Weimar; il a bien fallu lui dire enfin que les circonstances étaient sérieuses, et que le lendemain il pouvait se passer de grands événemens pour la monarchie prussienne. Elle voulait que le roi lui dît de s'en aller; et, en effet elle fut mise dans le cas de partir.
Lord Morpelh, envoyé par la cour de Londres pour marchander le sang prussien, mission véritablement indigne d'un homme tel que lui, arriva le 11 à Weimar, chargé de faire des offres séduisantes, et de proposer des subsides considérables. L'horizon s'était déjà fort obscurci, le cabinet ne voulut pas voir cet envoyé; il lui fit dire qu'il y avait peut-être peu de sûreté pour sa personne, et il l'engagea à retourner à Hambourg, pour y attendre l'événement. Qu'aurait dit la duchesse de Devonshire, si elle avait vu son gendre chargé de souffler le feu de la guerre, de venir offrir un or empoisonné, et obligé de retourner sur ses pas tristement et en grande hâte? Ou ne peut que s'indigner de voir l'Angleterre compromettre de la sorte des agens estimables et jouer un rôle aussi odieux.
On n'a point encore de nouvelles de la conclusion d'un traité entre la Prusse et la Russie, et il est certain qu'aucun Russe n'a paru, jusqu'à ce jour, sur le territoire prussien. Du reste, l'armée désire fort les voir; ils trouveront Austerlitz en Prusse.
Le prince Louis-Ferdinand de Prusse, et les autres généraux qui ont succombé sous les premiers coups des Français, sont aujourd'hui désignés comme les principaux moteurs de cette incroyable frénésie. Le roi, qui en a couru toutes les chances, et qui supporte tous les malheurs qui en ont été le résultat, est de tous les hommes entraînés par elle, celui qui y était demeuré le plus étranger.
Il y a à Leipsick une telle quantité de marchandises anglaises, qu'on a déjà offert soixante millions pour les racheter.
On se demande ce que l'Angleterre gagnera à tout ceci. Elle pouvait recouvrer le Hanovre, garder le cap de Bonne-Espérance, conserver Malte, faire une paix honorable, et rendre la tranquillité au Monde. Elle a voulu exciter la Prusse contre la France, pousser l'empereur et la France à bout; eh bien! elle a conduit la Prusse à sa ruine, procuré à l'empereur une plus grande gloire, à la France une plus grande puissance; el le temps approche où l'on pourra déclarer l'Angleterre en état de blocus continental. Est-ce donc avec du sang que les Anglais ont espéré alimenter leur commerce et ranimer leur industrie? De grands malheurs peuvent fondre sur l'Angleterre; l'Europe les attribuera à la perte de ce ministre honnête homme, qui voulait gouverner par des idées grandes et libérales, et que le peuple anglais pleurera un jour avec des larmes de sang.
Les colonnes françaises sont déjà en marche sur Potsdam et Berlin. Les députés de Potsdam sont arrivés pour demander une sauve-garde.
Le quartier impérial est aujourd'hui à Wittemberg.
Le duc de Brunswick a envoyé son maréchal du palais à l'empereur. Cet officier était chargé d'une lettre par laquelle le duc recommandait ses états à S.M.
L'empereur lui a dit: Si je faisais démolir la ville de Brunswick, et si je n'y laissais pas pierre sur pierre, que dirait votre prince? La loi du talion ne me permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu'il voulait faire dans ma capitale? Annoncer le projet de démolir des villes, cela peut être insensé; mais vouloir ôter l'honneur à toute une armée de braves gens, lui proposer de quitter l'Allemagne par journées d'étapes, à la seule sommation de l'armée prussienne, voilà ce que la postérité aura peine à croire. Le duc de Brunswick n'eût jamais dû se permettre un tel outrage; lorsqu'on a blanchi sous les armes, on doit respecter l'honneur militaire, et ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines de Champagne que ce général a pu acquérir le droit de traiter les drapeaux; français avec un tel mépris. Une pareille sommation ne déshonorera que le militaire qui l'a pu faire. Ce n'est pas au roi de Prusse que restera ce déshonneur, c'est au chef de son conseil militaire, c'est au général à qui, dans ces circonstances difficiles, il avait remis le soin des affaires; c'est enfin le duc de Brunswick que la France et la Prusse peuvent accuser seul de la guerre. La frénésie dont ce vieux général a donné l'exemple, a autorisé une jeunesse turbulente et entraîné le roi contre sa propre pensée et son intime conviction. Toutefois, monsieur, dites aux habitans du pays de Brunswick qu'ils trouveront dans les Français des ennemis généreux, que je désire adoucir à leur égard les rigueurs de la guerre, et que le mal que pourrait occasionner le passage des troupes, serait contre mon gré. Dites au général Brunswick qu'il sera traité avec tous les honneurs dus à un officier