avec eux, étaient arrivés les cauchemars horribles. Les souvenirs se frayaient un passage dans son subconscient pendant qu’il dormait, ou qu’il essayait de le faire. D’affreuses scènes de torture. Des bombes lâchées sur des immeubles. L’impact de balles à bout portant sur un crâne humain.
Le pire, c’est qu’il ne savait pas s’ils étaient réels ou non. Le Dr. Guyer, le brillant neurologue suisse qui l’avait aidé à retrouver la mémoire, l’avait averti que certaines choses pourraient ne pas être réelles, mais seulement un produit de son système limbique manifestant des fantasmes, des suspicions et des cauchemars comme étant la réalité.
Sa propre réalité semblait à peine vraie.
Zéro allait à la cuisine chercher un verre d’eau, pieds nus et groggy, quand la sonnette retentit. Il sursauta à cette rupture soudaine du silence, tous ses muscles se tendant instinctivement. Il était toujours un peu nerveux, même après tout ce temps. Puis, il regarda l’horloge digitale sur le four. Il était presque seize heures trente. Ça ne pouvait être qu’une seule personne.
Il ouvrit la porte et s’efforça de sourire à son vieil ami. “Pile à l’heure.”
Alan Reidigger sourit à son tour en brandissant un pack de six, le pouce et l’index repliés autour de l’anse en plastique. “Pour ta séance de thérapie hebdomadaire.”
Zéro renifla un coup et s’écarta sur le côté. “Viens, on va s’installer dehors.”
Il traversa la petite maison et ouvrit la porte vitrée coulissante qui menait au patio. L’air de la mi-octobre n’était pas encore froid, mais assez frais pour lui rappeler qu’il était pieds nus. Ils s’installèrent sur deux transats pendant qu’Alan libérait deux canettes et en passait une à Zéro.
Il fronça les yeux en voyant l’étiquette. “C’est quoi ça ?”
“Aucune idée. Le type de la boutique a jeté un coup d’œil à ma barbe et à ma chemise en flanelle, puis il a dit que j’allais aimer ce truc.” Alan rigola, ouvrit la canette et but une longue gorgée. Il fit la grimace. “C’est… original. Ou peut-être que je me fais vieux.” Il se tourna vers Zéro d’un air sérieux. “Alors, comment tu vas ?”
Comment tu vas. Cette question lui parût soudain étrange. Si n’importe qui d’autre qu’Alan la lui avait posée, il l’aurait prise comme une formalité et aurait répondu rapidement et simplement : “Bien, et toi ?” Mais il savait qu’Alan voulait vraiment savoir.
Pourtant, il ne savait pas quoi répondre. Tant de choses avaient changé en dix-huit mois, pas seulement dans la vie personnelle de Zéro, mais en général. Les USA avaient évité la guerre avec l’Iran et ses voisins, mais les tensions restaient élevées. Le gouvernement américain avait apparemment récupéré de l’infiltration des conspirateurs et de l’influence russe, mais seulement en nettoyant les lieux. Le Président Eli Pierson était resté en poste sept mois de plus après la tentative d’assassinat qu’il avait subie, mais il avait été poussé dehors à l’élection suivante par le candidat démocrate. La victoire avait été facile après que le gouvernement de Pierson se fut révélé être un véritable nid de serpents.
Mais Zéro s’en fichait pas mal. Il n’avait plus d’implication dans tout ça. Il n’avait même pas d’opinion sur le nouveau président. Il savait à peine ce qui se passait dans le monde, évitant de regarder les infos autant que possible. C’était juste un citoyen quelconque à présent. Tout ce qui se déroulait dans l’ombre se faisait sans son influence.
“Je vais bien.”
Mais son regard se faisait insistant.
“Vraiment, je vais bien.”
Alan but une autre gorgée, visiblement dubitatif mais ne l’exprimant pas. “Et Maria ?”
Un léger sourire s’afficha sur les lèvres de Zéro. “Elle va bien.” Et c’était vrai. Son nouveau poste lui convenait à merveille. Après la révélation sur la conspiration, la CIA avait été complètement restructurée. David Barren, membre de haut rang du Conseil de la Sécurité Nationale et père de Maria, avait été nommé directeur par intérim de l’agence et avait supervisé la vérification de la moindre personne sous son égide, jusqu’à ce qu’un nouveau directeur soit nommé, un ancien directeur de la NSA du nom d’Edward Shaw.
Maria Johansson avait été nommée directrice adjointe à la Division des Activités Spéciales, un poste précédemment détenu par Shawn Cartwright, l’ancien patron de Zéro à présent décédé. Elle avait à son tour nommé Todd Strickland en tant qu’Agent Spécial en Charge, rôle précédemment assuré par un certain Agent Kent Steele.
Et elle excellait à son poste. Il n’y aurait pas de corruption dans son service, pas d’agent renégat comme Jason Carver, et pas de conspiratrice de l’ombre comme Ashleigh Riker. Il était toutefois évident que le travail de terrain lui manquait. Pas souvent, mais parfois, elle accompagnait son équipe sur une opération.
Zéro, de son côté, n’avait pas repris le travail, ni à la CIA, ni même en tant que professeur. Il n’avait rien recommencé du tout.
“Comment ça se passe au garage ?” demanda-t-il à Alan, afin de dévier la conversation sur autre chose que lui-même et son introspection morose.
“Beaucoup de boulot,” répondit nonchalamment Reidigger. Il tenait le Third Street Garage et, malgré le passé d’Alan dans l’espionnage et les opérations sous couverture, c’était réellement un garage. “Pas grand-chose de plus à dire. Comment avance le sous-sol ?”
Zéro fit les gros yeux. “C’est en cours.” Après le départ de ses filles, il n’avait pas pu se résoudre à rester seul dans leur maison d’Alexandria. Il l’avait mise en vente et accepté la première offre d’achat qui s’était présentée. À ce moment-là, Maria et lui avaient déjà officialisé leur relation et elle cherchait elle aussi à changer de décor, donc ils avaient acheté une petite maison dans la banlieue de la communauté non incorporée de Langley, non loin du QG de la CIA. Un “Pavillon d’artiste” : voilà comment l’agent immobilier l’avait qualifié. C’était un endroit simple qui leur convenait à tous les deux. L’une des nombreuses choses qu’il avait en commun avec Maria était le goût de la simplicité. Ils auraient pu s’offrir quelque chose de plus grand, de plus moderne, mais cette petite maison à un seul étage leur allait très bien. C’était douillet, agréable, avec une grande baie vitrée à l’avant, une suite parentale mansardée à l’étage et un sous-sol en béton lisse sur le sol et les murs.
Environ quatre mois plus tôt, au début de l’été, Zéro s’était mis en tête de finir le sous-sol pour en faire un espace de vie utilisable. Depuis, il n’était pas allé plus loin que monter les rails pour les murs et poser quelques panneaux pelucheux d’isolation rose.
Ces derniers temps, rien que l’idée de descendre là-dessous le fatiguait d’avance.
“Si tu veux que je vienne t’aider, n’hésite pas à m’appeler,” proposa Alan.
“Ouais.” Alan faisait la même offre chaque semaine. “Rome ne s’est pas faite en un jour, tu sais.”
“Ça aurait été le cas s’ils avaient engagé des entrepreneurs qui connaissent leur boulot.” Alan lui décocha un clin d’œil.
Zéro haussa les épaules en souriant. La canette dans sa main semblait légère, trop légère. Il la secoua et fut surpris de constater qu’elle était vide. Il ne se souvenait même pas avoir bu une gorgée de ce truc et avait encore moins une idée de son goût. Il posa la canette sur le sol à côté de lui et tendit la main pour en attraper une autre.
“Doucement,” lui dit Reidigger avec un sourire. Il fit un geste pour désigner le ventre de Zéro et la petite bedaine qui se développait à cet endroit.
“Ouais, ouais.” Ok, il avait pris quelques kilos avec sa semi-retraite. Quatre, peut-être même six. Il ne savait pas exactement