Jean de la Fontaine

Fables de La Fontaine


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      VII

       Table des matières

      Jupiter dit un jour: Que tout ce qui respire

       S’en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur;

       Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,

       Il peut le déclarer sans peur:

       Je mettrai remède à la chose.

       Venez, singe; parlez le premier, et pour cause:

       Voyez ces animaux, faites comparaison

       De leurs beautés avec les vôtres.

       Êtes-vous satisfait?—Moi, dit-il; pourquoi non?

       N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?

       Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché;

       Mais pour mon frère l’ours, on ne l’a qu’ébauché:

       Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre.

       L’ours venant là-dessus, on crut qu’il s’alloit plaindre.

       Tant s’en faut: de sa forme il se loua très-fort;

       Glosa sur l’éléphant, dit qu’on pourroit encor

       Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles;

       Que c’étoit une masse informe et sans beauté.

       L’éléphant étant écouté,

       Tout sage qu’il étoit, dit des choses pareilles:

       Il jugea qu’à son appétit

       Dame baleine étoit trop grosse.

       Dame fourmi trouva le ciron trop petit,

       Se croyant pour elle un colosse.

       Jupin les renvoya s’étant censurés tous;

       Du reste, contents d’eux. Mais parmi les plus fous

       Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,

       Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,

       Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes:

       On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.

       Le fabricateur souverain

       Nous créa besaciers[3] tous de même manière, Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui: Il fit pour nos défauts la poche de derrière, Et celle de devant pour les défauts d’autrui.

      VIII

       Table des matières

      Une hirondelle en ses voyages

       Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

       Peut avoir beaucoup retenu.

       Celle-ci prévoyoit jusqu’aux moindres orages,

       Et devant qu’ils fussent éclos,

       Les annonçoit aux matelots.

       Il arriva qu’au temps que la chanvre se sème,

       Elle vit un manant[4] en couvrir maints sillons. Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons; Je vous plains, car, pour moi, dans ce péril extrême, Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin. Voyez-vous cette main qui par les airs chemine? Un jour viendra, qui n’est pas loin, Que ce qu’elle répand sera votre ruine. De là naîtront engins à vous envelopper, Et lacets pour vous attraper; Enfin mainte et mainte machine Qui causera dans la saison Votre mort ou votre prison: Gare la cage ou le chaudron! C’est pourquoi, leur dit l’hirondelle, Mangez ce grain; et croyez-moi. Les oiseaux se moquèrent d’elle: Ils trouvoient aux champs trop de quoi. Quand la chènevière fut verte, L’hirondelle leur dit: Arrachez brin à brin Ce qu’a produit ce maudit grain, Ou soyez sûrs de votre perte.— Prophète de malheur! babillarde! dit-on, Le bel emploi que tu nous donnes! Il nous faudroit mille personnes Pour éplucher tout ce canton. La chanvre étant tout à fait crue, L’hirondelle ajouta: Ceci ne va pas bien; Mauvaise graine est tôt venue. Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien, Dès que vous verrez que la terre Sera couverte, et qu’à leurs blés Les gens n’étant plus occupés Feront aux oisillons la guerre; Quand reginglettes et réseaux Attraperont petits oiseaux, Ne volez plus de place en place, Demeurez au logis ou changez de climat: Imitez le canard, la grue et la bécasse. Mais vous n’êtes pas en état De passer, comme nous, les déserts et les ondes, Ni d’aller chercher d’autres mondes, C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr: C’est de vous renfermer au trou de quelque mur. Les oisillons loin de l’entendre, Se mirent à jaser aussi confusément Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre Ouvroit la bouche seulement. Il en prit aux uns comme aux autres: Maint oisillon se vit esclave retenu.

      Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,

       Et ne croyons le mal que quand il est venu.

      IX

       Table des matières

      Autrefois le rat de ville

       Invita le rat des champs,

       D’une façon fort civile,

       A des reliefs d’ortolans.

      Sur un tapis de Turquie

       Le couvert se trouva mis.

       Je laisse à penser la vie

       Que firent ces deux amis.

       Le régal fut fort honnête:

       Rien ne manquoit au festin;

       Mais quelqu’un troubla la fête

       Pendant qu’ils étoient en train.

      A la porte de la salle

       Ils entendirent du bruit:

       Le rat de ville détale;

       Son camarade le suit.

      Le bruit cesse, on se retire.

       Rats en campagne aussitôt;

       Et le citadin de dire:

       Achevons tout notre rôt.

      C’est assez, dit le rustique;