Choderlos de Laclos

Les liaisons dangereuses


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de l’amour. Je m’accuse de ce jugement téméraire, dans lequel j’ai eu d’autant plus de tort que lui-même a pris le soin de la justifier. J’avoue que je ne regardais que comme finesse ce qui était de sa part une honnête sincérité. Je ne sais, mais il me semble que celui qui est capable d’une amitié aussi suivie pour une femme aussi estimable n’est pas un libertin sans retour. J’ignore au reste si nous devons la conduite sage qu’il tient ici à quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde, mais il sort peu, excepté le matin, et alors il dit qu’il va à la chasse. Il est vrai qu’il rapporte rarement du gibier, mais il assure qu’il est maladroit à cet exercice. D’ailleurs, ce qu’il peut faire au dehors m’inquiète peu, et si je désirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien.

      Sur ce que vous me proposez de travailler à abréger le séjour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraît bien difficile d’oser demander à sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d’autant qu’elle l’aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par déférence et non par besoin, de saisir l’occasion de faire cette demande, soit à elle, soit à lui-même. Quant à moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu’à son retour, et il s’étonnerait, avec raison, de la légèreté qui m’en ferait changer.

      Voilà, madame, de bien longs éclaircissements, mais j’ai cru devoir à la vérité un témoignage avantageux à M. de Valmont, et dont il me paraît avoir grand besoin auprès de vous. Je n’en suis pas moins sensible à l’amitié qui a dicté vos conseils. C’est à elle que je dois aussi ce que vous me dites d’obligeant à l’occasion du retard du mariage de Mlle votre fille. Je vous en remercie bien sincèrement; mais, quelque plaisir que je me promette à passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cœur au désir de savoir Mlle de Volanges plus tôt heureuse, si pourtant elle peut jamais l’être plus qu’auprès d’une mère aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m’attachent à vous, et je vous prie d’en recevoir l’assurance avec bonté.

      J’ai l’honneur d’être, etc.

      De..., ce 13 août 17**.

       Table des matières

      CÉCILE VOLANGES à la Marquise de MERTEUIL.

      Maman est incommodée, madame, elle ne sortira point et il faut que je lui tienne compagnie; ainsi, je n’aurai pas l’honneur de vous accompagner à l’Opéra. Je vous assure que je regrette bien plus de ne pas être avec vous que le spectacle. Je vous prie d’en être persuadée. Je vous aime tant! Voudriez-vous bien dire à M. le chevalier Danceny que je n’ai point le recueil dont il m’a parlé, et que, s’il peut me l’apporter demain, il me fera grand plaisir? S’il vient aujourd’hui, on lui dira que nous n’y sommes pas, mais c’est que maman ne veut recevoir personne. J’espère qu’elle se portera mieux demain.

      J’ai l’honneur d’être, etc.

      De..., ce 13 août 17**.

       Table des matières

      La Marquise de MERTEUIL à CÉCILE VOLANGES.

      De..., ce 13 août 17**.

       Table des matières

      CÉCILE VOLANGES à SOPHIE CARNAY.

      Je ne t’ai pas écrit hier, ma chère Sophie, mais ce n’est pas le plaisir qui en est cause, je t’en assure bien. Maman était malade et je ne l’ai pas quittée de la journée. Le soir, quand je me suis retirée, je n’avais cœur à rien du tout, et je me suis couchée bien vite pour m’assurer que la journée était finie; jamais je n’en avais passé de si longue. Ce n’est pas que je n’aime bien maman, mais je ne sais pas ce que c’était. Je devais aller à l’Opéra avec Mme de Merteuil; le chevalier Danceny devait y être. Tu sais bien que ce sont les deux personnes que j’aime le mieux. Quand l’heure où j’aurais dû y être aussi est arrivée, mon cœur s’est serré malgré moi. Je me déplaisais à tout et j’ai pleuré, pleuré sans pouvoir m’en empêcher. Heureusement, maman était couchée et ne pouvait pas me voir. Je suis bien sûre que le chevalier Danceny aura été fâché aussi, mais il aura été distrait par le spectacle et par tout le monde; c’est bien différent.

      Par bonheur, maman va mieux aujourd’hui, et Mme de Merteuil viendra avec une autre personne et le chevalier Danceny; mais elle arrive toujours bien tard, Mme de Merteuil, et quand on est si longtemps toute seule, c’est bien ennuyeux. Il n’est encore que onze heures. Il est vrai qu’il faut que je joue de la harpe, et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux être bien coiffée aujourd’hui. Je crois que la mère Perpétue a raison, et qu’on devient coquette dès qu’on est dans le monde. Je n’ai jamais eu tant d’envie d’être jolie que depuis quelques jours, et je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais, et puis, auprès des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Mme de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi; cela ne me fâche pas beaucoup, parce qu’elle m’aime bien, et puis elle assure que le chevalier Danceny me trouve plus jolie qu’elle. C’est bien honnête à elle de me l’avoir dit! elle avait même l’air d’en être bien aise. Par exemple, je ne conçois pas ça. C’est qu’elle m’aime tant! et lui... oh! ça m’a fait bien plaisir! aussi, c’est qu’il me semble que rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours si je ne craignais de rencontrer ses yeux, car, toutes les fois que cela m’arrive, cela me décontenance et me fait comme de la peine, mais ça ne fait rien.

      Adieu, ma chère amie, je vais me mettre à ma toilette. Je t’aime toujours comme de coutume.

      Paris, ce 14 août 17**.

       Table des matières

      Le Vicomte de VALMONT à la Marquise de MERTEUIL.

      Il est bien honnête à vous de ne pas m’abandonner à mon triste sort. La vie que je mène ici est réellement fatigante, par l’excès de son repos et son insipide uniformité. En lisant votre lettre et le détail de votre charmante journée, j’ai été tenté vingt fois de prétexter une affaire, de voler à vos pieds et de vous y demander,