connaisseur qui s'imagine qu'il doit voir d'autant mieux un objet qu'il l'approche plus près de ses yeux. Ces gens étaient aveuglés par les détails. Quand ils procédaient d'après Hogg, leurs faits n'étaient jamais en résumé que des faits, matière de peu de conséquence, à moins qu'on ne se crût très avancé en concluant que c'étaient des faits, et qu'ils devaient être des faits, parce qu'ils apparaissaient tels. S'ils suivaient la méthode de Bélier, c'est à peine si leur procédé était aussi droit qu'une corne de cet animal, car ils n'ont jamais émis un axiome qui fût un véritable axiome dans toute la force du terme. Il fallait qu'ils fussent véritablement aveugles pour ne pas s'en apercevoir, même de leur temps; car à leur époque même, beaucoup d'axiomes longtemps reçus comme tels avaient été abandonnés. Par exemple: «Ex nihilo nihil fit»; «un corps ne peut agir où il n'est pas»; «il ne peut exister d'antipodes»; «l'obscurité ne peut pas sortir de la lumière»—toutes ces propositions, et une douzaine d'autres semblables, primitivement admises sans hésitation comme des axiômes, furent regardées, à l'époque même dont je parle, comme insoutenables. Quelle absurdité donc, de persister à croire aux axiômes, comme à des bases infaillibles de vérité! Mais d'après le témoignage même de leurs meilleurs raisonneurs, il est facile de démontrer la futilité, la vanité des axiômes en général. Quel fut le plus solide de leurs logiciens? Voyons! Je vais le demander à Pundit, et je reviens à la minute…. Ah! nous y voici! Voilà un livre écrit il y a à peu près mille ans et dernièrement traduit de l'Inglitch—langue qui, soit dit en passant, semble avoir été le germe de l'amriccan. D'après Pundit, c'est sans contredit le plus habile ouvrage ancien sur la logique. L'auteur, (qui avait une grande réputation de son temps) est un certain Miller, ou Mill[41]; et on raconte de lui, comme un détail de quelque importance, qu'il avait un cheval de moulin qui s'appelait Bentham. Mais jetons un coup d'oeil sur le Traité!
Ah!—«Le plus ou moins de conceptibilité», dit très bien M. Mill, «ne doit être admis dans aucun cas comme critérium d'une vérité axiomatique.» Quel moderne jouissant de sa raison songerait à contester ce truisme? La seule chose qui nous étonne, c'est que M. Mill ait pu s'imaginer qu'il était nécessaire d'appeler l'attention sur une vérité aussi simple. Mais tournons la page. Que lisons-nous ici?—«Deux contradictoires ne peuvent être vraies en même temps—c'est-à-dire, ne peuvent coexister dans la réalité.» Ici M. Mill veut dire par exemple, qu'un arbre doit être ou bien un arbre, ou pas un arbre—c'est-à-dire, qu'il ne peut être en même temps un arbre et pas un arbre. Très bien, mais je lui demanderai pourquoi. Voici sa réponse, et il n'en veut pas donner d'autre:—«parce que, dit-il, il est impossible de concevoir que les contradictoires soient vraies toutes deux à la fois.» Mais ce n'est pas du tout répondre, d'après son propre aveu; car ne vient-il pas précisément de reconnaître que «dans aucun cas le plus ou moins de conceptibilité ne doit être admis comme critérium d'une vérité axiomatique?»
Ce que je blâme chez ces anciens, c'est moins que leur logique soit, de leur propre aveu, sans aucun fondement, sans valeur, quelque chose de tout à fait fantastique, c'est surtout la sotte fatuité avec laquelle ils proscrivent toutes les autres voies qui mènent à la vérité, tous les autres moyens de l'atteindre, excepté ces deux méthodes absurdes—l'une qui consiste à se traîner, l'autre à ramper—où ils ont osé emprisonner l'âme qui aime avant tout à planer.
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