sur ce point. Qu’en dis-tu, Mary, toi qui es une fille réfléchie, qui lis des livres savans et fais des extraits?“
Mary désirait faire une réponse spirituelle, mais ne savait trop comment s’en acquitter.
„Pendant que Mary pense à ma question, reprit-il, revenons à M. Bingley.
» — Je suis lasse d’en entendre parler, s’écria Mme Bennet.
» — J’en suis fâché; mais que ne me le disiez-vous plutôt; si j’avais su cela hier, je ne lui eus certainement pas fait visite; c’est malheureux, mais puisque j’y suis allé, nous ne pouvons éviter de faire connaissance avec lui.“
L’étonnement que témoignèrent ces dames fit grand plaisir à M. Bennet; sa femme assura cependant, après ses premières expressions de joie, qu’elle s’y était toujours attendue.
„— Comme vous êtes bon, mon cher M. Bennet; j’étais bien sûre que je vous déciderais enfin, je savais que vous aimiez trop vos filles pour négliger une pareille connaissance; eh bien, je suis vraiment satisfaite! c’est une si bonne plaisanterie que vous y ayez été sans nous en dire un mot!
» — À présent, Kitty, tu peux tousser autant que tu voudras“, dit M. Bennet, en quittant l’appartement.
„Quel excellent père vous avez, mes enfans, dit Mme Bennet, aussitôt que la porte fut fermée, vous ne pouvez assez le remercier d’une telle marque de bonté; à notre âge il n’est point agréable, je vous assure, d’être continuellement à faire de nouvelles connaissances; mais nous pensons à vous et sacrifions notre tranquillité au désir de vous voir heureuses. Lydia, ma belle, je parie que M. Bingley dansera avec toi au premier bal.
» — Oh! reprit Lydia, je ne crains pas d’être oubliée, car, bien que je sois la plus jeune, je suis la plus grande.“
Le reste de la journée se passa gaiement, on fit mille conjectures sur la personne de M. Bingley, sur le jour où il rendrait la visite de M. Bennet et l’époque où l’on pourrait l’engager à dîner.
CHAPITRE III
Toutes les questions que Mme Bennet et ses cinq filles purent faire à ce sujet, n’engagèrent point son mari à leur dire comment il avait trouvé M. Bingley; elles l’attaquèrent de différentes manières, par des demandes, des suppositions ingénieuses: mais il éluda leur finesse et elles furent obligées de s’en rapporter à leur voisine lady Lucas, qui en parlait très-favorablement. Sir William avait été enchanté de M. Bingley; il était jeune, beau, extrêmement aimable et, pour couronner le tout, il comptait aller au premier bal avec une nombreuse société; rien ne pouvait être plus délicieux! Aimer la danse était déjà le premier pas fait pour devenir amoureux, et de grandes espérances furent fondées sur la sensibilité du cœur de M. Bingley.
„Si je puis voir une de mes filles heureusement établie à Netherfield, dit Mme Bennet à son mari, et les autres également bien mariées, je n’aurai plus rien à désirer.“
Quelques jours après M. Bingley vint rendre visite à M. Bennet, qui le reçut dans son cabinet; le premier avait espéré qu’on le présenterait à ces demoiselles, dont il avait ouï vanter la beauté; mais il ne vit que le père. Ces dames furent plus heureuses; elles eurent l’avantage de s’assurer, par une des fenêtres, qu’il portait un habit bleu et montait un cheval noir.
On l’invita bientôt à dîner; et Mme Bennet avait déjà donné les ordres nécessaires, afin que son repas lui fît honneur, lorsqu’on lui remit une réponse qui dérangea tous ses plans: M. Bingley était obligé de partir sur-le-champ pour Londres et par conséquent ne pouvait avoir l’honneur d’accepter leur invitation; Mme Bennet fut très-mortifiée, elle ne s’était pas imaginé qu’il eût eu affaire à Londres, aussitôt après son arrivée dans Herfortshire, et commença à craindre qu’il ne fût toujours à courir de côté et d’autre, au lieu de rester, comme il le devait, à Netherfield. Lady Lucas la tranquillisa un peu en lui disant qu’il n’était peut-être allé à Londres qu’afin de ramener une nombreuse société pour le jour de l’assemblée. Bientôt après on apprit que M. Bingley devait revenir avec douze dames et sept messieurs; ces demoiselles se plaignirent beaucoup d’un aussi grand nombre de femmes; mais furent consolées en entendant dire, la veille du bal, qu’il n’avait amené de la ville que ses cinq sœurs et un cousin. Enfin, lorsque M. Bingley entra dans la salle de Meryton, sa société ne consistait qu’en cinq personnes; lui, ses deux sœurs, le mari de l’aînée et un de ses amis.
M. Bingley était un fort joli homme, il se présentait avec grâce et paraissait fort enjoué; ses sœurs, grandes et assez belles, affichaient les manières du bel air; son beau-frère, M. Hurst, avait le ton d’un homme de bonne compagnie; mais son ami, M. Darcy, attira bientôt les regards de toute l’assemblée: il était grand, avait de beaux traits, un maintien noble, et l’on se disait à l’oreille qu’il possédait 10,000 livres sterling de rente. Les hommes assurèrent qu’il était bien, les femmes le préféraient à M. Bingley, et pendant une partie de la soirée il fut le héros du bal; mais ses manières froides et réservées ayant déplu, il perdit soudain l’approbation générale; on s’aperçut qu’il était fier, dédaigneux, qu’il ne trouvait rien à son gré; enfin toute sa fortune et la beauté de sa terre de Derbyshire ne purent empêcher qu’on ne trouvât que sa physionomie était désagréable et qu’il ne méritait nullement d’être comparé à son ami.
M. Bingley eut bientôt fait connaissance avec toutes les principales personnes de l’assemblée; il était gai et sans affectation, il dansa toute la soirée, parut mécontent que le bal finît sitôt et fit même entendre qu’il donnerait à danser à Netherfield. Des qualités aussi aimables parlent d’elles-mêmes! Quelle différence entre lui et son ami! M. Darcy n’avait dansé qu’une fois avec Mme Hurst et une fois avec Mlle Bingley: il avait refusé d’être présenté à aucune autre femme, et le reste de la soirée il s’était promené de long en large dans le salon, ne parlant qu’aux personnes de sa société. Son caractère fut promptement défini, on le jugeait l’homme le plus fier, le plus désagréable qui existât; et toute la société espérait qu’il ne se présenterait plus aux assemblées de Meryton. Parmi les plus irrités contre lui était Mme Bennet, dont le dégoût pour sa conduite en général, fut encore augmenté par une malhonnêteté faite par lui à une de ses filles. La rareté des cavaliers avait obligé Elisabeth Bennet à rester assise pendant deux contredanses, M. Darcy était debout assez près d’elle pour qu’elle pût entendre une conversation entre lui et M. Bingley, qui, quittant la danse pendant quelques instans, vint presser son ami de l’y joindre.
„Allons, Darcy, dit-il, à quoi pensez-vous? Je ne puis souffrir de vous voir ainsi à rien faire, vous feriez bien de danser.
» — Bien certainement je n’en ferai rien, vous savez combien je déteste la danse, à moins que je n’aie une danseuse avec laquelle je sois lié; vos sœurs sont engagées, et il n’y a pas une autre femme dans le salon à qui je donnerais la main avec plaisir.
» — Je ne voudrais pas être aussi difficile que vous pour tout l’or du monde, s’écria Bingley, sur mon honneur je n’ai jamais vu autant de jolies femmes, et il y en a plusieurs qui sont très-aimables.
» — Vous dansez maintenant avec la seule belle personne qu’il y ait ici,“ dit Darcy, en regardant l’aînée des demoiselles Bennet.
» — Oh! elle est d’une rare beauté! mais voilà une de ses sœurs assise derrière vous, qui ne lui cède guères, et je la crois aussi très-agréable; laissez-moi demander à ma danseuse la permission de vous présenter.
» — Laquelle voulez-vous dire?“ Et, s’étant retourné, il considéra un instant Elisabeth, puis répondit froidement: „Elle est passable, mais pas assez belle pour me tenter, d’ailleurs je ne suis pas homme à prendre soin des délaissées; mais vous perdez votre temps avec moi, vous feriez mieux d’aller jouir des sourires gracieux de votre