Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке
vie que je mène ici est réellement fatigante, par l’excès de son repos et son insipide uniformité. En lisant votre lettre et le détail de votre charmante journée, j’ai été tenté vingt fois de prétexter une affaire, de voler à vos pieds et de vous y demander, en ma faveur, une infidélité à votre Chevalier, qui, après tout, ne mérite pas son bonheur. Savez-vous que vous m’avez rendu jaloux de lui ? Que me parlez-vous d’éternelle rupture ? J’abjure ce serment prononcé dans le délire : nous n’aurions pas été dignes de le faire, si nous eussions dû le garder. Ah ! que je puisse un jour me venger dans vos bras du dépit involontaire que m’a causé le bonheur du Chevalier ! je suis indigné, je l’avoue, quand je songe que cet homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, en suivant tout bêtement l’instinct de son cœur, trouve une félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh ! je la troublerai… Promettez-moi que je la troublerai. Vous-même n’êtes-vous pas humiliée ? Vous vous donnez la peine de le tromper, et il est plus heureux que vous. Vous le croyez dans vos chaînes ! et c’est bien vous qui êtes dans les siennes. Il dort tranquillement, tandis que vous veillez pour ses plaisirs. Que ferait de plus son esclave ?
Tenez, ma belle amie, tant que vous vous partagez entre plusieurs, je n’ai pas la moindre jalousie : je ne vois alors dans vos amants que les successeurs d’Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire où je régnais seul. Mais que vous vous donniez entièrement à un d’eux ! qu’il existe un autre homme aussi heureux que moi ! je ne le souffrirai pas ; n’espérez pas que je le souffre. Ou reprenez-moi, ou au moins prenez-en un autre ; et ne trahissez pas, par un caprice exclusif, l’amitié inviolable que nous nous sommes jurée.
C’est bien assez, sans doute, que j’aie à me plaindre de l’amour. Vous voyez que je me prête à vos idées, et que j’avoue mes torts. En effet, si l’amour est de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu’on désire, d’y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien réellement amoureux. Je n’en suis guère avancé. Je n’aurais même rien du tout à vous apprendre à ce sujet, sans un événement qui me donne beaucoup à réfléchir, et dont je ne sais encore si je dois craindre ou espérer.
Vous connaissez mon chasseur, trésor d’intrigue, et vrai valet de comédie ; vous jugez bien que ses instructions portaient d’être amoureux de la femme de chambre, et d’enivrer les gens. Le coquin est plus heureux que moi ; il a déjà réussi. Il vient de découvrir que Madame de Tourvel a chargé un de ses gens de prendre des informations sur ma conduite, et même de me suivre dans mes courses du matin, autant qu’il le pourrait, sans être aperçu. Que prétend cette femme ? Ainsi donc la plus modeste de toutes ose encore risquer des choses qu’à peine nous oserions nous permettre ! Je jure bien… Mais, avant de songer à me venger de cette ruse féminine, occupons-nous des moyens de la tourner à notre avantage. Jusqu’ici ces courses qu’on suspecte n’avaient aucun objet ; il faut leur en donner un. Cela mérite toute mon attention, et je vous quitte pour y réfléchir. Adieu, ma belle amie.
Toujours du château de…, ce 15 août 17**.
Lettre XVI. Cécile Volanges à Sophie Carnay
Ah ! ma Sophie, voici bien des nouvelles ! je ne devrais peut-être pas te les dire : mais il faut bien que j’en parle à quelqu’un ; c’est plus fort que moi. Ce Chevalier Danceny… Je suis dans un trouble, que je ne peux pas écrire : je ne sais par où commencer. Depuis que je t’avais raconté la jolie soirée[11] que j’avais passée chez Maman avec lui et Mme de Merteuil, je ne t’en parlais plus : c’est que je ne voulais plus en parler à personne ; mais j’y pensais pourtant toujours. Depuis il était devenu triste, mais si triste, si triste que ça me faisait de la peine ; et quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non ; mais je voyais bien que si. Enfin hier il l’était encore plus que de coutume. Ça n’a pas empêché qu’il n’ait eu la complaisance de chanter avec moi comme à l’ordinaire ; mais, toutes les fois qu’il me regardait cela me serrait le cœur. Après que nous eûmes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son étui ; et, en m’en rapportant la clef, il me pria d’en jouer encore le soir, aussitôt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout ; je ne voulais même pas : mais il m’en pria tant, que je lui dis qu’oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma femme de chambre fut sortie, j’allai pour prendre ma harpe. Je trouvai dans les cordes une lettre, pliée seulement, et point cachetée, et qui était de lui. Ah ! si tu savais tout ce qu’il me mande ! Depuis que j’ai lu sa lettre, j’ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l’ai relue quatre fois tout de suite, et puis je l’ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cœur ; et, quand j’ai été couchée, je l’ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. Dès que je fermais les yeux, je le voyais là, qui me disait lui-même tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard ; et aussitôt que je me suis réveillée (il était encore de bien bonne heure), j’ai été reprendre sa lettre pour la relire à mon aise. Je l’ai emportée dans mon lit, et puis je l’ai baisée, comme si… C’est peut-être mal fait de baiser une lettre comme ça ? mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
À présent, ma chère amie, si je suis bien aise, je suis aussi bien embarrassée ; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette lettre-là. Je sais bien que ça ne se doit pas, et pourtant il me le demande ; et, si je ne réponds pas, je suis sûre qu’il va encore être triste. C’est pourtant bien malheureux pour lui ! Qu’est-ce que tu me conseilles ? mais tu n’en sais pas plus que moi. J’ai bien envie d’en parler à Mme de Merteuil qui m’aime bien. Je voudrais bien le consoler ; mais je ne voudrais rien faire qui fût mal. On nous recommande tant d’avoir bon cœur ! et puis on nous défend de suivre ce qu’il nous inspire, quand c’est pour un homme. Dame ! Ça n’est pas juste non plus. Est-ce qu’un homme n’est pas notre prochain comme une femme, et plus encore ? car enfin n’a-t-on pas son père comme sa mère, son frère comme sa sœur ? il reste toujours le mari de plus. Cependant, si j’allais faire quelque chose qui ne fût pas bien, peut-être que M. Danceny lui-même n’aurait plus bonne idée de moi ! Oh ! ça, par exemple, j’aime encore mieux qu’il soit triste . Et puis, enfin, je serai toujours à temps. Parce qu’il a écrit hier, je ne suis pas obligée d’écrire aujourd’hui : aussi bien je verrai Mme de Merteuil ce soir, et si j’en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu’elle me dira, je n’aurai rien à me reprocher. Et puis peut-être me dira-t-elle que je peux lui répondre un peu, pour qu’il ne soit plus si triste ! Oh ! je suis bien en peine.
Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses.
De…, ce 19 août 17**.
Lettre XVII. Le Chevalier Danceny à Cécile Volanges
Avant de me livrer, Mademoiselle, dirai-je au plaisir ou au besoin de vous écrire ? je commence par vous supplier de m’entendre. Je sens que pour oser vous déclarer mes sentiments, j’ai besoin d’indulgence ; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire, après tout, que vous montrer votre ouvrage ? Et qu’ai-je à vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et même mon silence, ne vous aient dit avant moi ? Eh ! pourquoi vous fâcheriez-vous d’un sentiment que vous avez fait naître ? Emané de vous, sans doute il est digne de vous être offert ; s’il est brûlant comme mon âme, il est pur comme la vôtre. Serait-ce un crime d’avoir su apprécier votre charmante figure, vos talents séducteurs, vos grâces enchanteresses, et cette touchante candeur qui ajoute un prix inestimable à des qualités déjà si précieuses ? non, sans doute ; mais, sans être coupable, on peut être malheureux ; et c’est le sort qui m’attend, si vous refusez d’agréer mon hommage. C’est le premier que mon cœur ait offert. Sans vous je serais encore, non pas heureux, mais tranquille. Je vous ai vue ; le repos a fui loin de moi, et mon bonheur est incertain. Cependant vous vous étonnez de ma tristesse ; vous m’en demandez la cause : quelquefois même j’ai cru voir qu’elle vous affligeait. Ah ! dites un mot, et ma félicité deviendra votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu’un mot peut aussi combler mon malheur. Soyez donc l’arbitre de ma destinée. Par vous je vais être éternellement heureux ou