mouillée, les cheveux hérissés, l’air effaré, resta immobile et tremblante. La maman, étonnée d’abord, lui trouva une figure si ridicule qu’elle éclata de rire.
« Voilà une belle idée que vous avez eue, mademoiselle ! lui dit-elle. Si vous voyiez la figure que vous avez, vous ririez de vous-même comme je le fais maintenant. Je vous avais défendu de sortir ; vous avez désobéi comme d’habitude ; pour votre punition vous allez rester à dîner comme vous êtes, les cheveux en l’air, la robe trempée, afin que votre papa et votre cousin Paul voient vos belles inventions. Voici un mouchoir pour achever de vous essuyer la figure, le cou et les bras. »
Au moment où Mme de Réan finissait de parler, Paul entra avec M. de Réan ; tous deux s’arrêtèrent stupéfaits devant la pauvre Sophie, rouge, honteuse, désolée et ridicule ; et tous deux éclatèrent de rire. Plus Sophie rougissait et baissait la tête, plus elle prenait un air embarrassé et malheureux, et plus ses cheveux ébouriffés et ses vêtements mouillés lui donnaient un air risible. Enfin M. de Réan demanda ce que signifiait cette mascarade et si Sophie allait dîner en mardi gras de carnaval.
Madame de Réan. – C’est sans doute une invention pour faire friser ses cheveux ; elle veut absolument qu’ils frisent comme ceux de Camille, qui mouille les siens pour les faire friser ; Sophie a pensé qu’il en serait de même pour elle.
M. de Réan. – Ce que c’est que d’être coquette ! On veut se rendre jolie et l’on se rend affreuse.
Paul. – Ma pauvre Sophie, va vite te sécher, te peigner et te changer. Si tu savais comme tu es drôle, tu ne voudrais pas rester deux minutes comme tu es.
Madame de Réan. – Non, elle va dîner avec sa belle coiffure en l’air et avec sa robe pleine de sable et d’eau…
Paul, interrompant et avec compassion. – Oh ! ma tante, je vous en prie, pardonnez-lui, et permettez-lui d’aller se peigner et changer de robe. Pauvre Sophie, elle a l’air si malheureux !
M. de Réan. – Je fais comme Paul, chère amie, et je demande grâce pour cette fois. Si elle recommence, ce sera différent.
Sophie, pleurant. – Je vous assure, papa, que je ne recommencerai pas.
Madame de Réan. – Pour faire plaisir à votre papa, mademoiselle, je vous permets d’aller dans votre chambre et de vous déshabiller ; mais vous ne dînerez pas avec nous ; vous ne viendrez au salon que lorsque nous serons sortis de table.
Paul. – Oh ! ma tante, permettez-lui…
Madame de Réan. – Non, Paul, ne me demande plus rien ; ce sera comme je l’ai dit. (À Sophie.) Allez, mademoiselle.
Sophie dîna dans sa chambre, après avoir été peignée et habillée. Paul vint la chercher après dîner et l’emmena jouer dans un salon où étaient les joujoux. Depuis ce jour Sophie n’essaya plus de se mettre à la pluie pour faire friser ses cheveux.
VIII. Les sourcils coupés
Une autre chose que Sophie désirait beaucoup, c’était d’avoir des sourcils très épais. On avait dit un jour devant elle que la petite Louise de Berg serait jolie si elle avait des sourcils. Sophie en avait peu et ils étaient blonds, de sorte qu’on ne les voyait pas beaucoup. Elle avait entendu dire aussi que, pour faire épaissir et grandir les cheveux, il fallait les couper souvent.
Sophie se regarda un jour à la glace, et trouva que ses sourcils étaient trop maigres.
« Puisque, dit-elle, les cheveux deviennent plus épais quand on les coupe, les sourcils, qui sont de petits cheveux, doivent faire de même. Je vais donc les couper pour qu’ils repoussent très épais. »
Et voilà Sophie qui prend des ciseaux et qui coupe ses sourcils aussi court que possible. Elle se regarde dans la glace, trouve que cela lui fait une figure toute drôle, et n’ose pas rentrer au salon.
« J’attendrai, dit-elle, que le dîner soit servi ; on ne pensera pas à me regarder pendant qu’on se mettra à table. »
Mais sa maman, ne la voyant pas venir, envoya le cousin Paul pour la chercher.
« Sophie, Sophie, es-tu là ? s’écria Paul en entrant. Que fais-tu ? viens dîner.
– Oui, oui, j’y vais », répondit Sophie en marchant à reculons, pour que Paul ne vît pas ses sourcils coupés.
Sophie pousse la porte et entre.
À peine a-t-elle mis les pieds dans le salon, que tout le monde la regarde et éclate de rire.
« Quelle figure ! dit M. de Réan.
Elle a coupé ses sourcils, dit Mme de Réan.
Qu’elle est drôle ! qu’elle est drôle ! dit Paul.
C’est étonnant comme ses sourcils coupés la changent, dit M. d’Aubert, le papa de Paul.
Je n’ai jamais vu une plus singulière figure », dit Mme d’Aubert.
Sophie restait les bras pendants, la tête baissée, ne sachant où se cacher. Aussi fut-elle presque contente quand sa maman lui dit :
« Allez-vous-en dans votre chambre, mademoiselle, vous ne faites que des sottises. Sortez, et que je ne vous voie plus de la soirée. »
Sophie s’en alla ; sa bonne se mit à rire à son tour quand elle vit cette grosse figure toute rouge et sans sourcils. Sophie eut beau se fâcher, toutes les personnes qui la voyaient riaient aux éclats et lui conseillaient de dessiner avec du charbon la place de ses sourcils. Un jour Paul lui apporta un tout petit paquet bien ficelé, bien cacheté.
« Voici, Sophie, un présent que t’envoie papa, dit Paul d’un petit air malicieux.
– Qu’est-ce que c’est ? » dit Sophie, en prenant le paquet avec empressement.
Le paquet fut ouvert : il contenait deux énormes sourcils bien noirs, bien épais. « C’est pour que tu les colles à la place où il n’y en a plus », dit Paul. Sophie rougit, se fâcha et les jeta au nez de Paul, qui s’enfuit en riant.
Ses sourcils furent plus de six mois à repousser, et ils ne revinrent jamais aussi épais que le désirait Sophie ; aussi, depuis ce temps, Sophie ne chercha plus à se faire de beaux sourcils.
IX. Le pain des chevaux
Sophie était gourmande. Sa maman savait que trop manger est mauvais pour la santé ; aussi défendait-elle à Sophie de manger entre ses repas : mais Sophie, qui avait faim, mangeait tout ce qu’elle pouvait attraper.
Mme de Réan allait tous les jours après déjeuner, vers deux heures, donner du pain et du sel aux chevaux de M. de Réan ; il en avait plus de cent.
Sophie suivait sa maman avec un panier plein de morceaux de pain bis, et lui en présentait un dans chaque stalle où elle entrait ; mais sa maman lui défendait sévèrement d’en manger, parce que ce pain noir et mal cuit lui ferait mal à l’estomac.
Elle finissait par l’écurie des poneys. Sophie avait un poney à elle, que lui avait donné son papa : c’était un tout petit cheval noir, pas plus grand qu’un petit âne ; on lui permettait de donner elle-même du pain à son poney. Souvent elle mordait dedans avant de le lui présenter.
Un jour qu’elle avait plus envie de ce pain bis que de coutume, elle prit le morceau dans ses doigts, de manière à n’en laisser passer qu’un petit bout.
« Le poney mordra ce qui dépasse de mes doigts, dit-elle, et je mangerai le reste. »
Elle présenta le pain à son petit cheval, qui saisit le morceau et en même temps le bout du doigt de Sophie, qu’il mordit violemment. Sophie n’osa pas crier, mais la douleur lui fit lâcher le pain, qui tomba à terre : le cheval laissa alors le doigt pour manger le pain.
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