Molière Jean Baptiste Poquelin

L'étourdi


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      Jean Baptiste Poquelin

      Molière

      L’ÉTOURDI

Comédie

      Personnages

      Lélie, fils de Pandolfe.

      Célie, esclave de Trufaldin.

      Mascarille, valet de Lélie.

      Hippolyte, fille d’Anselme.

      Anselme, père d’Hippolyte.

      Trufaldin, vieillard.

      Pandolfe, père de Lélie.

      Léandre, fils de famille.

      Andrès, cru égyptien.

      Ergaste, ami de Mascarille.

      Un courrier.

      Deux troupes de masques.

      La scène est à Messine.

      ACTE PREMIER

      Scène première

      Lélie

      Lélie

      Eh bien ! Léandre, eh bien ! il faudra contester ;

      Nous verrons de nous deux qui pourra l’emporter ;

      Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle,

      Aux voeux de son rival portera plus d’obstacle :

      Préparez vos efforts, et vous défendez bien,

      Sûr que de mon côté je n’épargnerai rien.

      Scène II

      Lélie, Mascarille.

      Lélie

      Ah ! Mascarille !

      Mascarille

      Quoi ?

      Lélie

      Voici bien des affaires ;

      J’ai dans ma passion toutes choses contraires :

      Léandre aime Célie, et, par un trait fatal,

      Malgré mon changement, est encor mon rival.

      Mascarille

      Léandre aime Célie !

      Lélie

      Il l’adore, te dis-je.

      Mascarille

      Tant pis.

      Lélie

      Eh, oui, tant pis ; c’est ce qui m’afflige.

      Toutefois j’aurais tort de me désespérer :

      Puisque j’ai ton secours, je puis me rassurer ;

      Je sais que ton esprit, en intrigues fertile,

      N’a jamais rien trouvé qui lui fût difficile ;

      Qu’on te peut appeler le roi des serviteurs ;

      Et qu’en toute la terre…

      Mascarille

      Eh ! trêve de douceurs,

      Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,

      Nous sommes les chéris et les incomparables ;

      Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,

      Nous sommes les coquins qu’il faut rouer de coups.

      Lélie

      Ma foi, tu me fais tort avec cette invective.

      Mais enfin discourons un peu de ma captive :

      Dis si les plus cruels et plus durs sentiments

      Ont rien d’impénétrable à des traits si charmants.

      Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage

      Je vois pour sa naissance un noble témoignage ;

      Et je crois que le ciel dedans un rang si bas

      Cache son origine, et ne l’en tire pas.

      Mascarille

      Vous êtes romanesque avecque vos chimères ;

      Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires ?

      C’est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu’il dit :

      Vous savez que sa bile assez souvent s’aigrit ;

      Qu’il peste contre vous d’une belle manière,

      Quand vos déportements lui blessent la visière.

      Il est avec Anselme en parole pour vous

      Que de son Hippolyte on vous fera l’époux,

      S’imaginant que c’est dans le seul mariage

      Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage

      Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,

      D’un objet inconnu vous recevez les lois,

      Que de ce fol amour la fatale puissance

      Vous soustrait au devoir de votre obéissance,

      Dieu sait quelle tempête alors éclatera,

      Et de quels beaux sermons on vous régalera.

      Lélie

      Ah ! trêve, je vous prie, à votre rhétorique !

      Mascarille

      Mais vous, trêve plutôt à votre politique !

      Elle n’est pas fort bonne, et vous devriez tâcher…

      Lélie

      Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher,

      Que chez moi les avis ont de tristes salaires,

      Qu’un valet conseiller y fait mal ses affaires ?

      Mascarille (à part.)

      Il se met en courroux.

      (haut.)

      Tout ce que j’en ai dit

      N’était rien que pour rire et vous sonder l’esprit.

      D’un censeur de plaisirs ai-je fort l’encolure ?

      Et Mascarille est-il ennemi de nature ?

      Vous savez le contraire, et qu’il est très certain

      Qu’on ne peut me taxer que d’être trop humain.

      Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de père :

      poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire.

      Ma foi, j’en suis d’avis, que ces pénards chagrins

      Nous viennent étourdir de leurs contes badins,

      Et, vertueux par force, espèrent par envie

      Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie.

      Vous savez mon talent, je m’offre à vous servir.

      Lélie

      Ah ! c’est par ces discours que tu peux me ravir.

      Au reste, mon amour, quand je l’ai fait paraître,

      N’a point été mal vu des yeux qui l’ont fait naître.

      Mais Léandre, à l’instant, vient de me déclarer

      Qu’à