Emile Chevalier

Les derniers iroquois


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Le cri de guerre des Iroquois va retentir!

      Après ces mots le sachem, se carrant majestueusement dans sa peau de bison, comme un empereur dans un manteau de pourpre, sortit avec dignité du wigwam, en faisant signe au nain de l’accompagner.

      Une fois sur la place du village, Nar-go-tou-ké indiqua du doigt à Jean le chemin de la Prairie, village distant de deux lieues de Caughnawagha, sur la même rive.

      Le bancal saisit immédiatement le sens de cette indication, et il se mit à arpenter le terrain avec une célérité qui eût fait envie à un coureur de profession.

      L’Indien alors descendit au bord du Saint-Laurent. Il sauta dans un tronc d’arbre creusé en forme de canot et suivit pendant quelque temps le cours de l’eau.

      Le soleil, au terme de sa carrière, achevait de ronger son disque enflammé derrière les bois de Lachine. Moutonneux, bruyant, le fleuve, inondé de ses tièdes rayons, réfléchissait des lueurs éblouissantes, qui scintillaient parfois, ainsi que des éclairs, quand une banquise voguait sous leurs larmes de feu; car, après avoir été, pendant cinq mois, emprisonné, par l’hiver, dans une barrière de glace, le Saint-Laurent venait enfin de forcer les murs du cachot, et se trémoussait en fuyant vers son embouchure avec l’ardeur d’un captif qui a brisé ses fers.

      À un faible intervalle, on entendait le mugissement des ondes sur les rapides[28] du Sault Saint-Louis.

      À chaque instant, des piverts rasaient la surface à tire d’aile, en poussant leur note aiguë, et des bataillons de canards sauvages sillonnaient les airs.

      Bientôt Nar-go-tou-ké tourna brusquement à gauche et remonta le courant, en traçant une ligne diagonale.

      Devant lui, à trois ou quatre cents brasses, apparaissaient deux îlots.

      L’un en amont, à une portée de fusil du second, et d’un accès assez facile; l’autre au-dessous, hérissé d’écueils, que le fleuve déchirait de ses flots rageurs avec un fracas formidable.

      Le pied de ce dernier baigne dans les rapides, et sur sa tête, constamment battue par des vagues aussi hautes que des montagnes qui rejaillissent en poussière liquide dans l’île, se présente comme un front de chevaux de frise en granit, infranchissables.

      C’est l’île au Diable, la justement nommée. Elle a au plus un demi-mille de circonférence.

      Inabordable par en bas et par en haut, elle n’offre aucune baie, aucune anse, aucune crique sur ses flancs. Bien des gens croient encore qu’il est impossible d’y pénétrer. Du reste, plus d’un batelier audacieux et téméraire a péri en essayant d’aller la reconnaître. Je ne sais rien d’affreux, rien de sauvage comme ce lieu inhospitalier. On dirait qu’il n’a été jeté au milieu du Saint-Laurent que pour narguer l’esprit ingénieux des blancs et servir de trône aux martins-pêcheurs, qu’on voit, en toute saison, insolemment juchés à la cime des rochers et des broussailles qui le défendent[29].

      Il est notoire cependant que quelques canots montés par des Indiens ont réussi à y atterrir.

      C’était vers l’île au Diable que tendaient les efforts de Nar-go-tou-ké.

      Durant une demi-heure, il scia le courant du fleuve, et, parvenu à la hauteur du premier îlot, il se laissa emporter au fil de l’eau, en imprimant, avec sa pagaie, une légère oblique à l’embarcation; puis, sans s’émouvoir des fureurs de l’élément sur lequel son canot dansait comme une plume que ballotte la brise, sans s’inquiéter des paquets d’eau écumante qui le couvraient à toute minute, il se contenta de maintenir le léger esquif en équilibre, jusqu’à ce qu’il atteignit un chicot en face de l’île au Diable, à vingt brasses de celle-ci.

      Le canot dérivait avec une effrayante vitesse.

      Lâchant sa pagaie, l’Iroquois s’étendit tout de son long à la proue, et, en rasant le récif si près qu’on eût cru qu’il l’aurait heurté, ce qui pour lui eût été la mort, il empoigna un câble qui flottait devant.

      D’abord, il laissa filer le câble dans sa main demi-fermée, car s’il eût arrêté subitement son bateau, le contrecoup l’aurait sans doute fait chavirer. Et, après avoir ralenti, peu à peu, la course du canot, il revint à l’autre extrémité et le fit remonter tout doucement en le halant par la corde.

      Cette corde tournait le chicot; elle était fixée par le bout à un anneau de fer, scellé dans une anfractuosité des rochers de l’île au Diable.

      Dès qu’on la tenait, il n’était plus guère difficile, avec des précautions et la connaissance de la localité, d’arriver au but de la périlleuse navigation.

      Continuant de haler son embarcation, et se faisant de sa pagaie une gaffe pour l’empêcher d’être brisée par la violence des remous contre les énormes cailloux erratiques dont la côte est jonchée, Nar-go-tou-ké se dirigea habilement à travers les terribles obstacles qui se dressaient autour de lui, et, à la nuit tombante, il débarquait sain et sauf dans l’îlot.

      Ayant tiré sur la grève et caché son canot, il se faufila, en rampant sur les pieds et sur les mains, sous des buissons si fourrés qu’ils paraissaient impénétrables, si épineux que quiconque eût ignoré le passage secret pris par l’Indien se fût vainement déchiré le corps pour essayer de les franchir.

      Au bout de deux minutes celui-ci déboucha dans une étroite clairière ombragée par un cèdre à la large envergure.

      Une cotte de halliers semblables à ceux que Nar-go-tou-ké venait du traverser le cuirassait.

      Et à son pied s’élevait un énorme monolithe, représentant une figure étrange, grossièrement sculptée, assise sur une sorte de trône à dossier.

      Cette statue avait bien vingt pieds de hauteur et dix de large à sa base. Des mousses, des lichens, des graminées l’habillaient d’une épaisse robe de verdure.

      En se redressant dans la clairière, Nar-go-tou-ké découvrit une immense colonne de fumée et de flammes, qui ondulait du côté des rapides en haut de la Prairie.

      Puis le glas funèbre du tocsin, dont les notes vibrantes dominaient le vacarme de la cataracte, frappa son oreille.

      – Qu’est-ce que cela? mes alliés seraient-ils déjà entrés sur le sentier de la guerre? murmura-t-il.

      Et, s’élançant sur la statue, il grimpa jusqu’aux premiers rameaux du cèdre.

      De ce point, l’œil embrassait une vaste circonférence.

      Nar-go-tou-ké ne l’eut pas plus tôt atteint qu’il s’écria avec un indicible accent de stupeur:

      – Le Montréalais est en feu! Jouskeka, protège mon fils!

      V. Le Montréalais

      Les moyens d’existence des sauvages[30] de Caughnawagha sont très bornés: la pêche, la chasse constituent les principaux. Et de même que les Hurons de Lorette, les curiosités indiennes, telles que mocassins, bourses, toques, paniers, porte-cigares, etc., fabriqués par leurs femmes et vendus soit aux étrangers, soit à des négociants de Montréal, les aident beaucoup à vivre.

      Le gouvernement anglais leur a accordé des terres d’une grande fertilité autour de leur village, mais ils mourraient plutôt de faim que de les ensemencer. Une forêt assez considérable, contiguë à ces terres, leur fournit du bois de chauffage pour l’hiver. Si déplorable est cependant chez les hommes la paresse, ou plutôt le mépris du travail manuel, que la plupart périraient de froid si les squaws ne faisaient, pendant la bonne saison, quelques provisions de combustible.

      Néanmoins il existe pour eux une source de gain dont ils profitent généralement volontiers.

      Nous avons déjà parlé des rapides de Caughnawagha, appelés aussi rapides du Sault Saint-Louis, – nom chrétien de cette bourgade, – et parfois, rapides de Lachine.

      C’est une chaîne d’écueils, qui barre la navigation du Saint-Laurent au bas de Caughnawagha et à deux lieues environ de Montréal.

      Pour