Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 2


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plus amusant.

      – Ça dépend des goûts, dit le capitaine en feignant d’étouffer un bâillement. Moi, je n’aime pas les problèmes. C’était bon du temps où je me préparais à Saint-Cyr. Je vous écoute volontiers, quand vous parlez de ces choses-là, parce que vous en parlez bien; mais, au bout d’un quart d’heure, j’en ai assez. Retournons au billard, mon cher. J’éprouve le besoin de m’étendre sur une banquette et d’y sommeiller au doux bruit des carambolages.

      Lolif soupira, car il avait espéré un instant que Nointel allait partager sa toquade; mais le compliment fit passer le refus de collaborer.

      Nointel, en rentrant dans la salle, se disait:

      – Ce nigaud ne se doute pas qu’il vient de m’indiquer le point le plus intéressant à vérifier. S’il était moins de trois heures du matin quand les sergents de ville ont trouvé le domino, mademoiselle Lestérel serait sauvée, puisqu’il est prouvé que le domino lui appartient et que Julia a été tuée à trois heures. Je me renseignerai moi-même, si Lolif ne me renseigne pas.

      Et il s’apprêtait, en attendant, à jouir d’un repos qu’il avait bien gagné. La marquise ne recevait pas, à ce que prétendait Simancas, et tout en se promettant de forcer plus tard cette consigne, le capitaine se félicitait de pouvoir disposer de sa soirée à sa guise. Il méditait de dîner au cercle et d’aller ensuite où sa fantaisie le conduirait, à moins que Darcy ne se montrât et ne le mît en réquisition pour quelque corvée relative à la grande affaire.

      La partie avait repris. Le jeune baron de Sigolène, hardi, mais déveinard, jouait la décompte en seize contre le major Cocktail, qui lui laissait régulièrement faire douze points, et enfilait alors une série victorieuse de seize carambolages. Tréville, par patriotisme, s’obstinait à parier pour le gentilhomme du Velay et perdait avec entrain contre Alfred Lenvers qui, n’ayant pas de préjugés sur les nationalités, soutenait l’Angleterre, en attendant qu’il se présentât un pigeon à plumer au piquet. Le colonel Tartaras rageait dans un coin. Il n’avait pas encore digéré le coup de Lolif. Coulibœuf racontait à Perdrigeon qu’un jour, au cercle d’Orléans, il avait carambolé soixante-dix-neuf fois d’affilée, et Perdrigeon, qui ne l’écoutait pas, lui demandait des nouvelles d’une Déjazet de province, en représentation, pour le moment, dans les départements du Centre. Prébord et Verpel avaient disparu. Le doux Charmol, chansonnier du Caveau, les avait suivis.

      Lolif, encore tout honteux de sa récente bévue, se glissa timidement derrière les joueurs, et Nointel, après avoir choisi une place propice à la rêverie, s’établit dans une posture commode, et alluma un excellent cigare. Il n’en avait pas tiré trois bouffées, que l’imprévu se présenta sous la forme d’un domestique du Cercle, portant sur un plateau, non pas une lettre cette fois, mais une carte de visite.

      Le capitaine la prit et y lut le nom de Crozon.

      – Déjà! pensa-t-il. Le dénonciateur anonyme lui a donc désigné l’amant de sa femme? Voilà qui vaut la peine que je me dérange.

      – La personne est-elle là? demanda-t-il au valet de chambre.

      – Elle attend monsieur au parloir… c’est-à-dire, il y a deux personnes, répondit le domestique.

      – Comment, deux? Vous ne m’apportez qu’une carte.

      – Ce monsieur est accompagné d’un… d’un homme.

      – C’est bien; dites que je viens, reprit le capitaine assez surpris.

      Et il quitta, non sans regret, la banquette où il était si bien.

      – Qui diable ce baleinier m’a-t-il amené? pensait-il en traversant lentement la salle de billard. Un homme, dans le langage des laquais, cela signifie un individu mal vêtu. Est-ce que Crozon, ayant découvert que sa femme l’a trompé avec un maroufle, aurait eu l’idée baroque de traîner ici le susdit maroufle à seule fin de le châtier en ma présence? Avec cet enragé, on peut s’attendre à tout. C’est égal, il aurait pu mieux choisir son temps. Je me délectais à ne penser à rien. Enfin! il était écrit qu’aujourd’hui on ne me laisserait pas tranquille.

      Le parloir était situé à l’autre bout des appartements du cercle, et, en passant par le salon rouge, Nointel aperçut Prébord, en conférence avec Verpel et Charmol.

      – Aurait-il, par hasard, l’intention de m’envoyer des témoins? se dit Nointel. Ma foi! je n’en serais pas fâché. Un duel me dérangerait un peu dans ce moment-ci, mais j’aurais tant de plaisir à donner un coup d’épée à ce fat que je ne refuserais pas la partie.

      Il affecta de marcher à petits pas et de se retourner plusieurs fois, pour faire comprendre à ce trio qu’une rencontre serait facile à régler. Mais le beau brun et ses deux amis firent semblant de ne pas l’apercevoir, et il eut la sagesse de ne pas les provoquer. Il méprisait de tels adversaires, et d’ailleurs il lui tardait de savoir quelle nouvelle apportait M.  Crozon.

      Il trouva le beau-frère de Berthe, planté tout droit au milieu du parloir, le chapeau sur la tête, le visage enflammé, l’œil sombre, les traits contractés: l’air et l’attitude d’un homme que la colère transporte et qui s’efforce de se contenir. Derrière ce mari malheureux, se tenait un grand flandrin, maigre et osseux comme un Yankee, portant la barbe et les moustaches en brosse, et paraissant fort embarrassé de sa personne. Ce singulier personnage était vêtu d’une redingote vert olive, d’un pantalon de gros drap bleu et d’un gilet jaune en poil de chèvre.

      – Qu’est-ce que c’est que cet oiseau-là? se demandait le capitaine. Il ressemble à un trappeur de l’Arkansas, et il est habillé comme Nonancourt, dans le Chapeau de paille d’Italie.

      – M.  Bernache, premier maître mécanicien à bord de l’Étoile polaire que je commande, dit le baleinier d’une voix rauque, et avec un geste d’automate.

      En toute autre occasion, Nointel aurait ri de bon cœur de cette façon de présenter quelqu’un en lui donnant du revers de la main à travers la poitrine; mais il sentit que la situation était sérieuse, et il répondit avec un flegme parfait:

      – Je suis charmé de faire la connaissance de M.  Bernache. Veuillez m’expliquer, mon cher Crozon, ce que je puis pour son service… et pour le vôtre.

      – Vous ne devinez pas? lui demanda le marin, en le foudroyant du regard.

      – Non, sur ma parole.

      – Monsieur est mon témoin.

      – Ah! très bien. Je comprends. Vous avez reçu la lettre que vous attendiez. Vous savez maintenant à qui vous en prendre, vous allez vous battre, et vous avez choisi pour vous assister sur le terrain un camarade éprouvé, qui a navigué avec vous. Je ne puis que vous féliciter de ce choix, et je ne vous en veux pas du tout de m’avoir préféré monsieur, qui vous connaît plus que moi et qui vous représentera beaucoup mieux.

      Nointel croyait être fort habile en parlant ainsi. Il craignait que Crozon n’eût l’idée de lui adjoindre ce mécanicien comme second témoin, et il prenait les devants pour éviter la ridicule corvée dont il pensait être menacé. Il ne s’attendait guère à être interpellé comme il le fut aussitôt.

      – Ne faites donc pas semblant de ne pas comprendre, lui cria le baleinier. C’est avec vous que je veux me battre, et j’ai amené Bernache pour que nous en finissions tout de suite. Vous devez avoir ici des amis. Envoyez-en chercher un, et partons. Nous irons où vous voudrez. J’ai en bas, dans un fiacre, des épées, des pistolets et des sabres.

      Le capitaine tombait de son haut, mais il commençait à entrevoir la vérité, et il ne se troubla point.

      – Pourquoi voulez-vous donc vous battre avec moi? demanda-t-il tranquillement.

      Crozon tressaillit et dit entre ses dents:

      – Vous raillez. Il vous en coûtera cher.

      – Je ne raille pas. Je n’ai jamais été plus sérieux, et je vous prie de répondre à la question que