parvenais à me reconnaître à l'aide d'une carte? Allons! du courage! n'ai-je pas promis à mon père d'en avoir? Je dois passer la frontière et je la passerai.
VII. – La carte tracée par André. – Comment il tire parti de ce qu'il a appris a l'école
Le garde Fritz approuva la résolution et la fermeté d'André. – A la bonne heure! dit-il. Quand on veut être un homme, il faut apprendre à se tirer d'affaire soi-même. Voyons, mon jeune ami, décrochez-moi la carte: si je ne puis marcher, du moins je puis parler. Vous avez si bonne volonté et je connais si bien le pays, que je pourrai vous expliquer votre chemin.
Alors tous deux, penchés sur la carte, étudièrent le pays.
Julien, de son côté, s'était assis sagement auprès d'eux, s'efforçant de retenir ce qu'il pourrait. Le garde parlait, montrant du doigt les routes, les sentiers, les raccourcis, faisant la description minutieuse de tous les détails du chemin. André écoutait; puis il essaya de répéter les explications; enfin il dessina lui-même tant bien que mal sa route sur un papier, avec les différents accidents de terrain qui lui serviraient comme de jalons pour s'y reconnaître.
«Ici, écrivait-il, une fontaine; là, un groupe de hêtres à travers les sapins; plus loin, un torrent avec le gué pour le franchir, un roc à pic que contourne le sentier, une tour en ruines.»
Enfin rien de ce qui pouvait aider le jeune voyageur ne fut négligé. – Tout ira bien, lui disait Fritz, si vous ne vous hâtez pas trop. Rappelez-vous que, quand on se trompe de chemin dans les bois ou les montagnes, il faut revenir tranquillement sur ses pas, sans perdre la tête et sans se précipiter: c'est le moyen de retrouver bientôt le vrai sentier.
Quand la brune fut venue, André et Julien se remirent en route, après avoir remercié de tout leur cœur le garde Fritz, qui de son lit leur répétait en guise d'adieu:
«Courage, courage! avec du courage et du sang-froid on vient à bout de tout.»
VIII. – Le sentier à travers la foret. – Les enseignements du frère ainé. – La grande Ourse et l'étoile polaire
A l'ouest, derrière les Vosges, le soleil venait de se coucher; la campagne s'obscurcissait. Sur les hautes cimes de la montagne, au loin, brillaient les dernières lueurs du crépuscule, et les noirs sapins, agitant leurs bras au souffle du vent d'automne, s'assombrissaient de plus en plus.
Les deux frères avançaient sur le sentier, se tenant par la main; bientôt ils entrèrent au milieu des bois qui couvrent toute cette contrée.
Julien marchait la tête penchée, d'un air sérieux, sans mot dire. – A quoi songes-tu, mon Julien? demanda André.
– Je tâche de bien me rappeler tout ce que disait le garde, fit l'enfant, car j'ai écouté le mieux que j'ai pu.
– Ne t'inquiète pas, Julien; je sais bien la route, et nous ne nous égarerons pas.
– D'ailleurs, reprit l'enfant de sa voix douce et résignée, si l'on s'égare, on reviendra tranquillement sur ses pas, sans avoir peur, comme le garde a dit de le faire, n'est-ce pas, André?
– Oui, oui, Julien, mais nous allons tâcher de ne pas nous égarer.
– Pour cela, tu sais, André, il faut regarder les étoiles à chaque carrefour; le garde l'a dit, je t'y ferai penser.
– Bravo, Julien, répondit André, je vois que tu n'as rien perdu de la leçon du garde; si nous sommes deux à nous souvenir, la route se fera plus facilement.
– Oui, dit l'enfant; mais je ne connais pas les étoiles par leur nom, et je n'ai pas compris ce que c'est que le grand Chariot.
– Je te l'expliquerai quand nous nous arrêterons.
Tout en devisant ainsi à voix basse, les deux frères avançaient et la nuit se faisait plus noire.
André avait tant étudié le pays toute la journée, qu'il lui semblait le reconnaître comme s'il y avait déjà passé. Malgré cela, il ne pouvait se défendre d'une certaine émotion: c'était la première fois qu'il suivait ainsi les sentiers de la montagne, et cela dans l'obscurité du soir. Toutefois c'était un courageux enfant, et qui n'oubliait jamais sa tâche de frère aîné: songeant que le petit Julien devait être plus ému que lui encore en face des grands bois sombres, André s'efforçait de surmonter les impressions de son âge, afin d'enhardir son jeune frère par son exemple et d'accomplir courageusement avec lui son devoir.
A un carrefour ils s'arrêtèrent. André regarda le ciel derrière lui.
– Vois, dit-il à son frère, ces sept étoiles brillantes, dont quatre sont en carré comme les quatre roues d'un char, et trois autres par devant, comme le cocher et les chevaux: c'est ce qu'on appelle le grand Chariot ou encore la grande Ourse; non loin se trouve une étoile assez brillante aussi, et qu'on voit toujours immobile exactement au nord: on l'appelle pour cela l'étoile polaire. Grâce à cette étoile, on peut toujours reconnaître sa route dans la nuit. La vois-tu bien? Elle est juste derrière nous: cela prouve que nous sommes dans notre chemin; nous marchons vers le sud, c'est-à-dire vers la France.
André, qui ne négligeait point les occasions d'instruire son frère en causant, lui enseigna aussi vers quel point la lune se lèverait bientôt, et à la pensée qu'elle allait éclairer leur route, les enfants se réjouirent de tout leur cœur.
IX. – Le nuage sur la montagne. – Inquiétude des deux enfants
Après un petit temps de repos ils se remirent en route. Mais tout à coup l'obscurité augmenta. Julien effrayé se serra plus près de son grand frère.
Bientôt les étoiles qui les avaient guidés jusqu'alors disparurent. Un nuage s'était formé au sommet de la montagne, et, grossissant peu à peu, il l'avait enveloppée tout entière. Les enfants eux-mêmes se trouvèrent bientôt au milieu de ce nuage. Entourés de toutes parts d'un brouillard épais, ils ne voyaient plus devant eux.
Ils s'arrêtèrent, bien inquiets; mais tous deux, pour ne pas s'affliger l'un l'autre, n'osèrent se le dire.
– Donne-moi ton paquet, dit André à Julien; je le joindrai au mien; ton bâton sera libre, il me servira à tâter la route comme font les aveugles, afin que nous ne nous heurtions pas aux racines ou aux pierres. J'irai devant; tu tiendras ma blouse, car mes deux mains vont être embarrassées; mais je t'avertirai, je te guiderai de mon mieux. N'aie pas peur, mon Julien. Tu ne vas plus avoir rien à porter, tu pourras marcher facilement.
– Oui, dit l'enfant d'une voix tremblante qu'il s'efforçait de rendre calme.
Ils se remirent en marche, lentement, avec précaution. Malgré cela, André à un moment se heurta contre une de ces grosses pierres qui couvrent les chemins de montagne; il tomba, et faillit rouler du haut des rochers, entraînant avec lui le petit Julien.
Les deux enfants comprirent alors le danger qu'ils couraient.
– Asseyons-nous, dit André tout ému, en attirant Julien près de lui.
– André, s'écria Julien, nous avons des allumettes et un bout de bougie. Le garde a dit de ne les allumer que dans un grand besoin; crois-tu qu'il serait dangereux de les allumer maintenant?
– Non, mon Julien; la brume est si épaisse que notre lumière ne risque pas d'être aperçue et d'attirer l'attention des soldats allemands qui gardent la frontière.
André, en achevant ces mots, alluma sa petite bougie, et Julien fut bien étonné de voir quelle faible et tremblante lueur elle répandait au milieu de l'épais brouillard. Pourtant on se remit en marche aussitôt, car il fallait être en France avant le lever du soleil. Julien, qui n'était plus embarrassé de