suite d'une querelle, tué M. Chaworth, l'un de ses proches parens, fut enfermé à la Tour de Londres, et peu de tems après déclaré, dans la chambre haute, coupable d'homicide; mais ayant réclamé son privilége de pair, le jugement n'intervint pas. Il était si loin de rougir d'avoir tué ce M. Chaworth, spadassin de profession, qu'il porta toujours une sorte de culte à l'épée dont il s'était servi pour le frapper. C'était, au reste, un de ces hommes singuliers plus communs en Angleterre que dans aucun autre pays. Il consuma les longues années de sa vieillesse dans le château de Newstead, ancienne abbaye de chanoines réguliers de saint Augustin, devenue, depuis Henri VIII, la principale résidence des Byron; et c'est là qu'ayant pris en horreur tous les hommes (particulièrement tous les membres de sa famille), son occupation favorite était d'apprivoiser plusieurs grillots: il était parvenu à les habituer à recevoir ses caresses ou ses châtimens; quand leur familiarité devenait excessive, il les fouettait avec des brins de paille réunis. William mourut en 1798, sans laisser ou ressentir, en quittant la vie, le moindre regret.
Il n'avait pas d'enfans, et son frère, le célèbre commodore Byron, malheureux dans sa famille comme dans ses voyages, n'avait laissé qu'un fils, dont les intrigues galantes avaient été le scandale des trois royaumes. John Byron épousa d'abord lady Carmarthen, quand la publicité de ses coupables liaisons avec cette dame eut amené un divorce entre elle et son premier mari. Après sa mort5, il avait aimé, enlevé et épousé miss Catherine Gordon, riche héritière du duché d'Aberdeen, et descendue en ligne droite du roi d'Écosse, Jacques II. Mais en quelques années il eut dévoré le patrimoine de sa nouvelle femme: obligé de quitter l'Angleterre, il était mort à Valenciennes en 1791, n'ayant plus conservé, depuis sa fuite, les moindres rapports avec sa femme et le fils unique qu'il avait eu d'elle.
Ce dernier était notre poète. Georges Byron Gordon naquit le 22 janvier 1788, à Londres suivant les uns, à Marlodge, près d'Aberdeen, suivant les autres, et enfin à Douvres suivant M. Dallas. C'est aux Anglais qu'il appartient de rechercher le lieu qui peut réellement se glorifier d'avoir vu naître Lord Byron. Nous remarquerons seulement qu'on ne doit pas s'étonner de lire dans les écrivains de l'antiquité que plusieurs villes se soient disputé l'honneur d'avoir été la patrie d'Homère, puisque la même incertitude enveloppe, à nos yeux, le berceau du plus illustre barde contemporain.
Ce qu'il y a de certain, et ce qu'il est plus important de mentionner, c'est que les premières années du jeune Gordon se passèrent dans une campagne située à quelques milles d'Aberdeen. Demeuré la seule consolation de sa mère, il en devint bientôt l'idole; et, grâce à de nombreux signes d'une constitution délicate, madame Gordon, au lieu de lui faire apprendre à lire, le laissa jusqu'à neuf ans gravir à son gré, du matin au soir, les monts neigeux, hérissés et pittoresques, qui font de l'Écosse le pays le plus inspirateur de l'Europe. Bien qu'il eût un léger défaut de conformation dans l'un de ses pieds, c'était le plus infatigable, le plus agile de tous les enfans de son âge; et sa mère, en le voyant chaque soir revenir les habits en lambeaux et les membres déchirés, ne pouvait s'empêcher, comme la mère de Duguesclin et de Henri IV, de se plaindre au ciel de lui avoir donné un si méchant et si remuant enfant. «Ah! mon fils, s'écriait-elle dans sa douleur, vous serez bien un jour un vrai Byron!»
Ainsi, comme Walter Scott et Campbell, Lord Byron fit ses premières études (celles peut-être qui ont sur le reste de la vie la plus ineffaçable influence) au milieu des montagnards de l'Écosse. Chaque jour sa jeune imagination ruminait des chants mélancoliques, de vieux et héroïques récits, et des superstitions pleines de poésie. On respire d'ailleurs, sur les montagnes, je ne sais quel air de liberté, dont il serait également impossible d'expliquer la raison, ou de contester l'influence. Dans la suite, Byron se rappela toujours, avec délices, les montagnes de l'Écosse; il est peu de ses poèmes dans lesquels il ne se soit plu à chanter quelque montagne, et les plus belles stances des Heures de loisir sont adressées aux rochers de Loch-na-Garr.
Quand la santé de Gordon, ainsi fortifiée par une première éducation généreuse, eut cessé d'inspirer des alarmes à sa mère, on lui fit suivre les leçons des pédagogues d'Aberdeen. Il se fit alors plus remarquer par son caractère indomptable que par une profonde aptitude aux exercices classiques.
En 1798, quand, par la mort du vieux Lord Byron, ses droits à la pairie eurent été définitivement reconnus, le censeur de l'école d'Aberdeen avait effacé de la liste des collégiens son ancien nom de Georgius Byron Gordon pour y substituer celui de Dominus de Byron. Georges avait alors dix ans, et précisément la veille, il avait reçu (non sans résistance) le fouet, à l'occasion de la faute d'un autre écolier. L'un de ses amis, étonné, et peut-être jaloux de ce nouveau titre, lui en demanda la raison. «Elle ne vient pas de moi, répondit fièrement Byron; le hasard a voulu que je fusse fouetté hier pour ce qu'un autre avait fait, il me donne aujourd'hui le titre de Lord pour ce qu'un autre a cessé de faire. Je n'ai rien dont je puisse le remercier; je ne lui avais rien demandé.»
Quelque tems après, le comte de Carlisle, époux d'Isabelle, sœur du défunt Lord Byron, et désigné, en cette qualité, pour servir de tuteur à son jeune neveu, l'appela à Londres auprès de lui, afin de le mettre en état, disait-il, de recevoir une éducation vraiment libérale et digne de son rang. À douze ans, Byron fut envoyé à Harrow, pension située à dix milles de Londres, où sont, en général, élevés les enfans de la haute société anglaise. Dans cette pension, son esprit reçut de nouveaux développemens; tour à tour on le vit se livrer aux plus violens exercices, à la gaîté la plus franche, à la plus profonde tristesse: quelquefois ardent à l'étude, ordinairement distrait de tous les travaux universitaires; lisant Ossian et négligeant les classiques; dédaignant de faire les moindres efforts pour obtenir les palmes de collége; toujours fier, dédaigneux et inquiet; objet de la haine de la plupart de ses maîtres, et, comme à Aberdeen, de l'admiration de ses condisciples.
Un jour, à sa voix, les élèves de Harrow se révoltèrent. Dans leur rage, ils voulaient mettre le feu à leurs salles d'étude: Byron les apaisa comme il les avait d'abord enflammés, avec quelques mots. Montrant les noms de leurs pères écrits sur les murailles, il leur demanda s'ils auraient bien le courage d'effacer ces chers vestiges. Tous les enfans se turent, et le mouvement fut arrêté.
Chaque année il allait passer le tems des vacances dans le château de Newstead-Abbey, devenu mille fois plus célèbre pour avoir été la résidence d'un poète que pour avoir vu les exploits des meilleurs chevaliers du moyen âge. On peut en lire la magnifique description dans le quinzième chant de Don Juan. – C'est alors qu'il vit Maria Chaworth, et que, pour la première fois, il devint amoureux. Les deux familles de Chaworth et de Byron étaient alliées; mais, depuis la mort de l'un des oncles de Maria, tué, comme nous l'avons dit, par le dernier Lord Byron, elles avaient cessé de se voir. En dépit de tous les calculs de famille, le jeune Byron trouva moyen de déclarer son naissant amour à la belle Maria. Celle-ci, plus âgée que lui de quelques années, n'attacha pas d'abord un grand prix à la passion d'un enfant de quinze ans; elle le désola: elle fit pis encore, elle le trompa. Long-tems son adroite coquetterie, sans renoncer à de plus vulgaires conquêtes, eût voulu s'attacher Lord Byron; mais enfin, cessant de dissimuler, elle disparut un jour avec l'un des plus ridicules dandys des trois royaumes. Byron la regretta comme jadis Gallus avait regretté Lycoris, et les larmes qu'il répandit révélèrent l'ardente sensibilité de son ame; mais cette première passion eut sur toute sa vie la plus heureuse influence. C'est à miss Chaworth qu'il n'hésita pas d'attribuer son génie poétique, et du moins elle lui donna, la première, le désir de bégayer des vers. Depuis ce tems le nom de Maria eut toujours sur son imagination un pouvoir presque magique.
De Harrow il fut envoyé à Cambridge pour y finir ses études. On a beaucoup parlé d'un jeune ours qu'il y avait choisi pour son ami et son compagnon de chambre; Byron eut, toute sa vie, une grande tendresse pour les animaux: en Italie, il traînait après lui plusieurs singes, un boule-dogue, un mâtin anglais, deux chats, trois paons et quelques poules. Il n'est donc pas surprenant qu'il essayât, à Cambridge, d'apprivoiser un ours, tâche difficile, et par cela même attrayante pour lui. À ceux de ses condisciples qui, jaloux peut-être de l'intérêt presque exclusif qu'il portait à ce