George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3


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moi que le nombre de mes années soit déjà le double des tiennes; mon regard sans amour peut s'arrêter sur toi, et voir briller, sans danger, tes beautés ravissantes. Heureux, si je ne les vois jamais dans leur déclin! et plus heureux encore, lorsque tant de jeunes cœurs seront déchirés, de sauver le mien du destin cruel que tes yeux préparent à ceux dont l'admiration pour toi naîtra dans l'avenir, mais qui éprouveront les tourmens qui se trouvent mêlés aux heures même les plus enivrantes, de l'amour!

      Oh! que cet œil qui, vif comme celui de la gazelle, tantôt brillamment hardi, tantôt délicieusement modeste, séduit lorsqu'il s'égare, éblouit quand il se fixe; que cet œil s'arrête sur ces pages, et ne refuse pas à mes vers ce sourire pour lequel mon cœur soupirerait peut-être vainement, si je pouvais être pour toi quelque chose de plus qu'un ami. Cher enfant, accorde-moi cette grâce! Ne me demande pas pourquoi je dédie mes chants à une beauté si jeune; mais permets-moi de joindre à ma couronne passagère un lis impérissable et sans tache.

      C'est ainsi que ton nom sera attaché à mes vers; et aussi long-tems que des yeux indulgens jetteront un regard sur les pages d'Harold, le nom d'Yanthé, consacré dans ces vers, sera vu le premier, et le dernier oublié. Mes jours une fois comptés, puisse cet ancien hommage attirer tes jolis doigts sur la lyre de celui qui t'a célébrée dans tout l'éclat de tes charmes! C'est tout ce que je puis désirer pour ma mémoire; l'espérance n'oserait réclamer autant, l'amitié pourrait-elle demander moins?

      Chant Premier

      1. O toi, à qui l'Hellénie donnait une origine céleste! Muse! créée ou inventée au gré du ménestrel; depuis que des lyres modernes t'ont fait rougir, la mienne n'ose pas t'appeler de ta colline sacrée. Cependant j'ai erré sur les bords de ton ruisseau célèbre; oui, j'ai soupiré sur les autels de Delphes, depuis long-tems déserts6; où, excepté le faible murmure de ta source antique, tout est muet; mon humble voix n'éveillera point les neuf sœurs fatiguées, pour favoriser une histoire aussi simple, et des chants aussi obscurs que les miens.

      2. Naguère dans l'île d'Albion habitait un jeune homme qui ne trouvait aucun charme dans les sentiers de la vertu; mais il consumait ses jours dans les excès les plus grossiers, et fatiguait de ses joies l'oreille assoupie de la nuit. Hélas! c'était enfin un être déhonté, livré tout entier à la bonne chère et aux plaisirs impies. Peu de choses terrestres lui étaient agréables, excepté des courtisanes, des convives sensuels et des flatteurs de hauts et de bas degrés.

      3. Childe Harold était ce personnage. Mais il ne me convient pas de dire d'où il tirait son nom et sa noblesse; il suffit de savoir que peut-être, dans d'autres tems, ils furent renommés et pleins de gloire: mais un misérable vaurien souille à jamais un nom, quelque illustre qu'il ait été dans les vieux tems. Non, tout ce que la science du blason tire d'un cercueil étroit; la prose la plus fleurie, les mensonges flatteurs de la poésie ne peuvent ennoblir de mauvaises actions ou justifier un crime.

      4. Childe Harold, comme un autre insecte, se jouait au soleil de son midi, sans prévoir qu'avant la fin de son jour éphémère, un orage glacé pouvait ruiner toutes ses espérances. Mais long-tems avant qu'il eût atteint le tiers de sa carrière, Childe Harold avait éprouvé quelque chose de pire que le malheur: c'était le dégoût de la satiété. Il se fatigua d'habiter sa terre natale, qui lui sembla plus triste que la cellule d'un ermite.

      5. Il avait parcouru le vaste labyrinthe du vice, sans s'étonner de ses désordres. Il avait soupiré pour un grand nombre de beautés, mais il n'en aima qu'une; et cette femme seule qu'il aimait, hélas! ne put jamais être à lui. Ah! combien elle fut heureuse d'échapper à celui dont les baisers eussent souillé un être si chaste; à celui qui eût bientôt abandonné ses charmes pour des jouissances vulgaires, dépouillé ses féconds domaines pour couvrir ses profusions, et dédaigné de goûter les félicités de la paix intérieure!

      6. Childe Harold avait le cœur entièrement desséché, et il voulait fuir ses compagnons de débauches. On dit que de tems en tems une larme soudaine était prête à s'échapper de ses yeux, mais l'orgueil l'y venait glacer aussitôt. Il promenait souvent ses tristes rêveries dans la solitude, et il résolut de quitter sa terre natale pour visiter, au-delà des mers, des climats brûlans. Rassasié du plaisir, il aspirait après le malheur, et pour changer de spectacle il serait même descendu dans le séjour des ombres.

      7. Childe Harold abandonna le château de son père. C'était un vaste et vénérable édifice, si vieux qu'il semblait assez solide seulement pour ne pas tomber, malgré l'énorme appui de ses ailes massives. Monastique demeure, condamnée à de vils usages! Là où la superstition fit jadis son antre, les joyeuses nymphes de Paphos y venaient chanter et sourire: et les moines ont pu croire que leur tems était revenu; si les anciennes histoires disent vrai, et n'ont point fait tort à ces saints hommes.

      8. Cependant souvent, dans ses ivresses les plus insensées, des angoisses étranges passaient sur le front d'Harold, comme si le souvenir de quelque lutte sanglante, ou d'une passion trompée, l'eût poursuivi sans cesse. Mais personne ne connaissait ce secret, et ne cherchait peut-être à le connaître; car il n'avait point cette ame ouverte et simple qui trouve du soulagement à confier ses peines, et il ne recherchait point les conseils ou les consolations d'un ami, quels que fussent les chagrins qu'il ne pouvait effacer de sa mémoire.

      9. Et personne ne l'aimait, quoiqu'il rassemblât dans son château et ses domaines des débauchés venus de loin et de près. Il savait qu'ils étaient seulement les flatteurs de l'heure splendide de ses fêtes, et des parasites ingrats de ses festins. – Oui! personne ne l'aimait, pas même ses maîtresses chéries. – La pompe et le pouvoir seulement charment le cœur des femmes; et partout où brillent ces avantages, l'amour trouve un compagnon de plaisir. Les jeunes femmes, comme les papillons, se laissent prendre aux brillantes apparences, et Mammon réussit où des séraphins pourraient se désespérer.

      10. Childe Harold avait une mère; il ne l'oublia point, quoiqu'au moment du départ il évita de la voir. Il avait une sœur qu'il aimait; mais il ne la vit pas non plus avant de commencer son long pélerinage. S'il avait des amis, il ne dit adieu à aucun; cependant ne concluez pas de là que son cœur était un cœur d'airain. Oui, ceux qui ont connu ce que c'est que d'aimer avec affection des objets chéris sentiront dans leur douleur que de semblables adieux brisent le cœur dont ils espéraient adoucir les regrets.

      11. Son château, ses domaines variés et nombreux, les dames au doux sourire dans le sein desquelles il avait trouvé la volupté, et dont les grands yeux bleus, les cheveux noués avec grâce et les mains blanches comme la neige, auraient pu ébranler la sainteté d'un anachorète; ses coupes remplies d'un vin précieux, et tout ce qui pouvait inviter à la volupté; il abandonne tout sans regret pour traverser les mers, franchir les rivages musulmans et passer la ligne centrale de la terre.

      12. Les voiles étaient enflées, et la brise légère soufflait agréablement, comme si elle eût été joyeuse de l'emporter loin de sa demeure paternelle. Les blancs rochers du rivage disparurent rapidement à ses regards, et furent bientôt perdus dans l'écume des flots qui les environnent. Alors, peut-être, il se repentit de son désir de pélerinage; mais la pensée silencieuse resta endormie dans son sein; il ne s'échappa de ses lèvres aucun murmure, tandis que les autres passagers étaient tristes, et pleuraient en adressant de lâches gémissemens aux brises insensibles à leurs plaintes.

      13. Mais lorsque le soleil se fut plongé dans la mer, il saisit sa harpe dont il jouait de tems en tems, et dont il tirait une mélodie sans art, lorsqu'il croyait n'être pas entendu par une oreille étrangère. Maintenant il laisse errer ses doigts sur l'instrument docile, et il chante son adieu dans les ombres du crépuscule. Cependant le vaisseau fuit avec ses ailes blanches, et les bords flottans disparaissent à la vue. Harold adressa ainsi aux élémens son dernier Bon Soir.

I

      Adieu, adieu! ma terre natale disparaît sur les ondes bleues; les vents de nuit soupirent, les vagues s'élèvent, et la sauvage mouette crie. Ce soleil qui se pose là-bas sur la mer, nous le suivons dans sa fuite; adieu, pour quelque tems, à lui, et à toi, ma terre natale, – Bon Soir.

II

      Dans