George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11


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parmi ceux dont l'imagination s'arrête avec complaisance sur sa Beatrix, qui se rappellent seulement le nom de sa Gemma Donati?

      Tel court qu'ait été l'intervalle depuis la mort de Lord Byron, l'influence charitable du tems qui adoucit et souvent annule les jugemens rigoureux du monde contre le génie, se fait déjà sentir. On commence à comprendre et à reconnaître enfin, maintenant que son esprit a passé de ce monde, la totale déraison de vouloir juger un tel caractère d'après les règles ordinaires, et de s'attendre à trouver les élémens de l'ordre et du bonheur dans une ame des profondeurs de laquelle s'échappaient continuellement «des flots de lave.» En revenant sur les circonstances de son mariage, la balance est tenue d'une main plus juste, et tout en accordant un légitime tribut d'intérêt et de compassion à celle qui, pour la fatalité de son repos, fut enveloppée dans la même destinée, qui, avec les vertus et les talens qui auraient fait le bonheur d'un homme ordinaire, entreprit dans un funeste moment de maîtriser «le fougueux Pégase,» et échoua dans une tâche où il n'est pas sûr que la plus capable de l'accomplir eût réussi, – on juge enfin, avec plus d'indulgence, ce grand génie martyr de lui-même, chez qui tant d'autres causes, outre la flamme inquiète qui brûlait dans son sein, se réunissaient pour jeter le désordre dans son esprit, et comme il le dit lui-même si expressivement, «le rendre impropre au bonheur,» son sort fut d'être tel qu'il a été ou moins grand. – En domptant cette ame impétueuse, on eût peut-être éteint le feu sacré qui la dévorait, car il n'exista jamais un individu auquel, comme auteur ou comme homme, le vers suivant paraisse plus applicable:

Si non errasset, fecerat ille minus 20

Note 20: (retour) S'il n'avait pas erré, il eût fait bien moins de grandes choses.

      Pendant le cours de ces événemens, dont sa mémoire et son cœur conservèrent des traces si douloureuses pendant le reste de sa courte vie, il se présenta quelques circonstances relatives à sa vie littéraire, sur lesquelles nous appellerons maintenant l'attention du lecteur, éprouvant une espèce de soulagement à la détourner du pénible sujet sur lequel nous nous sommes arrêtés si long-tems.

      La lettre qui suit est une réponse à une autre qu'il avait reçue de M. Murray, et dans laquelle ce dernier lui envoyait un bon de 1,000 guinées pour les manuscrits de ses deux poèmes, le Siége de Corinthe et Parisina.

      LETTRE CCXXXVI

A M. MURRAY

      2 janvier 1816.

      «Votre offre est libérale à l'excès (vous voyez que je me sers de ce mot en parlant de vous, et à vous, quoique je n'aie pas voulu consentir à ce que vous vous l'appliquassiez avec M. ***). C'est beaucoup plus que les deux poèmes ne peuvent réellement valoir; mais je ne puis et ne veux l'accepter. Je vous laisse parfaitement libre de les joindre à la collection, sans aucune demande ou attente quelconque de ma part; mais je ne puis consentir à ce qu'ils soient publiés séparément. Je ne veux pas risquer le peu de réputation (méritée ou non) que j'ai pu acquérir sur des compositions qui, dans mon opinion, sont très-inférieures à ce qu'elles devraient être (et, comme je m'en flatte même, à quelques-unes des autres), quoiqu'elles puissent fort bien passer comme des choses sans prétentions, et pour grossir la publication avec d'autres pièces fugitives.

      »Je suis bien aise que l'écriture vous ait fait présager favorablement de la morale de l'ouvrage, – mais il ne faut pas vous fier à cela, car mon copiste écrit tout ce que je lui dicte, avec toute l'ignorance de l'innocence. J'espère cependant dans ce cas qu'il n'y a pas grand danger ni pour l'une ni pour l'autre.

      »P. S. Je vous ai renvoyé votre bon déchiré, de crainte qu'il n'arrivât quelqu'accident en route. Je vous prie de ne pas faire naître les tentations sur la mienne. Ce n'est pas par mépris de cette idole universelle, ni qu'il y ait chez moi maintenant de superflu en fait de trésors; mais ce qui est juste est juste, et ne doit pas céder aux circonstances.»

      Malgré la ruine de sa fortune, le poète continua de regarder comme sacrée la résolution qu'il avait prise de ne pas se servir du produit de ses ouvrages, et il refusa, comme nous venons de le voir, la somme qui lui fut offerte des manuscrits du Siége de Corinthe et de Parisina, somme qui demeura intacte entre les mains de l'éditeur. Il arriva vers le même tems, à un écrivain célèbre sur la politique, de se trouver réduit, par quelque malheur, à de grands embarras pécuniaires, et cette circonstance étant venue à la connaissance de M. Rogers et de sir James Mackintosh, ils pensèrent qu'une partie de la somme que Lord Byron laissait ainsi sans emploi, ne pouvait être mieux placée qu'à venir au secours de cet auteur. Cette idée ne fut pas plus tôt suggérée au noble poète, qu'il agit immédiatement en conséquence, et la lettre suivante, adressée à M. Rogers, est relative à ses intentions à cet égard.

      LETTRE CCXXXVII

À M. ROGERS

      20 février 1816.

      «Je vous ai écrit ce matin à la hâte, par le canal de Murray, pour vous dire que je ferai avec plaisir ce que vous et Mackintosh m'avez suggéré au sujet de M. ***. Mais comme je n'ai jamais vu M. *** qu'une seule fois, et n'ai aucun titre à sa connaissance, je pense qu'il vaudra mieux que sir J. et vous arrangiez cette affaire de la manière la moins offensante pour sa délicatesse, et sans qu'il y ait de ma part apparence d'intrusion ou de vouloir me montrer officieux. J'espère que vous y pourrez réussir, car il me serait très-pénible de rien faire à son égard qui pût paraître indélicat. La somme offerte par Murray est de 1,500 livres sterling; – je l'ai refusée, d'abord parce que je l'ai regardée comme au-delà de la valeur que ces deux ouvrages pouvaient avoir pour Murray, et d'après quelques autres motifs de peu d'importance. J'ai cependant, d'après votre suggestion et celle de sir J., terminé avec Murray, et je propose de faire passer à M. *** la somme de 600 livres sterling, de la manière qui paraîtra la plus convenable à votre ami: je destine le reste pour d'autres objets.

      »Comme Murray a offert librement cet argent en paiement des manuscrits, l'affaire peut être terminée de suite. Je suis prêt à signer et à apposer mon sceau immédiatement, et peut-être sera-ce aussi bien de n'y pas mettre de retard. Je serai charmé d'être de quelque utilité à M. ***; seulement épargnez-lui les tourmens de ces sortes d'affaires, et la pensée d'avoir contracté une obligation, enfin tout ce qui amène les gens à se haïr.

      »Votre très-sincèrement dévoué,»B.

      Les autres objets dont il parle ici ont rapport à l'intention où il était de partager le reste de cette somme entre deux auteurs célèbres dans la littérature, et qui avaient également besoin d'un tel secours, M. *** et M. Mathurin. Ce projet cependant, quoique conçu avec la plus grande sincérité par le poète, ne s'exécuta pas. M. Murray, qui connaissait bien les fâcheuses extrémités où Lord Byron lui-même se trouvait réduit, et qui prévoyait qu'il pourrait venir un tems où il serait bien aise de trouver cet argent, malgré la manière dont il était gagné, refusa d'en faire l'avance, lorsqu'il apprit l'usage auquel il était destiné, alléguant que, quoique engagé, non-seulement par sa parole, mais encore par sa volonté, à en payer le montant à Lord Byron, il ne se croyait pas obligé à s'en dessaisir en faveur des autres. On verra dans la lettre suivante combien le noble poète, menacé lui-même de saisies de tous côtés, mit de vivacité à le presser sur ce point.

      LETTRE CCXXXVIII

A M. MURRAY

      22 février 1816.

      «Quand je refusai la somme que vous m'offriez, et même me pressiez d'accepter, c'était en raison d'une publication séparée, comme nous le savons, vous et moi; je suis convenu, et je conviens encore que cette somme était considérable, et ce fut un de mes motifs pour la refuser, jusqu'à ce que je fusse mieux instruit du parti que vous en pouviez tirer. Quant à ce qui s'est passé ou va se passer à l'égard de M. ***, c'est un cas qui ne diffère en aucune façon de la cession que j'ai faite précédemment à M. Dallas de mes premiers manuscrits. – Si je vous avais pris au mot, c'est-à-dire que j'eusse pris votre argent, j'aurais pu m'en servir comme bon m'aurait semblé, et il devait vous être également