Robespierre Maximilien

Discours par Maximilien Robespierre — 17 Avril 1792-27 Juillet 1794


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eux d'autre avantage que d'avoir inventé le terme d'agitateur, apparemment parce que l'autre est usé. Suivant les gens que je viens de nommer, c'était nous qui semions la division parmi les patriotes; c'était nous qui soulevions le peuple contre les lois, contre l'Assemblée nationale, c'est-à-dire l'opinion publique contre l'intrigue et la trahison. Au reste, je ne me suis jamais étonné que mes ennemis n'aient point conçu qu'on pouvait être aimé du peuple sans intrigue, ou le servir sans intérêt. Comment l'aveugle-né peut-il avoir l'idée des couleurs, et les âmes viles deviner le sentiment de l'humanité et les passions vertueuses? Comment croiraient-ils aussi que le peuple peut lui-même dispenser justement son estime ou son mépris? Ils le jugent par eux-mêmes; ils le méprisent et le craignent; ils ne savent que le calomnier pour l'asservir et pour l'opprimer.

      On me fait aujourd'hui un reproche d'un nouveau genre. Les personnages dont j'ai parlé, dans le temps où je fus nommé accusateur public du Département de Paris, firent éclater hautement leur dépit et leur fureur; l'un d'eux abandonna même brusquement la place de président du Tribunal criminel; aujourd'hui ils me font un crime d'avoir abdiqué ces mêmes fonctions qu'ils s'indignaient de voir entre mes mains! C'est une chose digne d'attention de voir ce concert de tous les calomniateurs à gages de l'aristocratie et de la cour, pour chercher dans une démarche de cette nature des motifs lâches ou criminels! Ce qui n'est pas moins remarquable, c'est de voir MM. Brissot et Guadet en faire un des principaux chefs de l'accusation qu'ils ont dirigée contre moi. Ainsi, quand on reproche aux autres de briguer les places avec bassesse, on ne peut m'imputer que mon empressement à les fuir ou à les quitter. Au reste, je dois sur ce point à mes concitoyens une explication; et je remercie mes adversaires de m'avoir eux-mêmes présenté cette occasion de la donner publiquement. Ils feignent d'ignorer les motifs de ma démission; mais le grand bruit qu'ils en ont fait me prouverait qu'ils les connaissent trop bien; quand je ne les aurais pas d'avance annoncés très clairement à cette Société et au public, il y a trois mois, le jour même de l'installation du Tribunal criminel; je vais les rappeler. Après avoir donné une idée exacte des fonctions qui m'étaient confiées; après avoir observé que les crimes de lèse-nation n'étaient pas de la compétence de l'accusateur public; qu'il ne lui était pas permis de dénoncer directement les délits ordinaires, et que son ministère se bornait à donner son avis sur les affaires envoyées au Tribunal criminel en vertu des décisions du juré d'accusation; qu'il renfermait encore la surveillance sur les officiers de police, le droit de dénoncer directement leurs prévarications au Tribunal criminel, je suis convenu que, renfermée dans ces limites, cette place était peut-être la plus intéressante de la magistrature nouvelle. Mais j'ai déclaré que, dans la crise orageuse qui doit décider de la liberté de la France et de l'univers, je connaissais un devoir encore plus sacré que d'accuser le crime ou de défendre l'innocence et la liberté individuelle, avec un titre public, dans des causes particulières, devant un Tribunal judiciaire; ce devoir est celui de plaider la cause de l'humanité et de la liberté, comme homme et comme citoyen, au tribunal de l'univers et de la postérité; j'ai déclaré que je ferais tout ce qui serait en moi pour remplir à la fois ces deux lâches: mais que, si je m'apercevais qu'elles étaient au-dessus de mes forces, je préférerais la plus utile et la plus périlleuse; que nulle puissance ne pouvait me détacher de cette grande cause des nations que j'avais défendue, que les devoirs de chaque homme étaient écrits dans son coeur et dans son caractère, et que, s'il le fallait, je saurais sacrifier ma place à mes principes et mon intérêt particulier à l'intérêt général. J'ai conservé cette place jusqu'au moment où je me suis assuré qu'elle ne me permettait pas de donner aucun moment au soin général de la chose publique; alors je me suis déterminé à l'abdiquer. Je l'ai abdiquée, comme on jette son bouclier pour combattre plus facilement les ennemis du bien public; je l'ai abandonnée, je l'ai désertée, comme on déserte ses retranchements, pour monter à la brèche. J'aurais pu me livrer sans danger au soin paisible de poursuivre les auteurs des délits privés, et me faire pardonner peut-être par les ennemis de la Révolution une inflexibilité de principes qui subjuguait leur estime. J'aime mieux conserver la liberté de déjouer les complots tramés contre le salut public; et je dévoue ma tête aux fureurs des Syllas et des Clodius. J'ai usé du droit qui appartient à tout citoyen, et dont l'exercice est laissé à sa conscience. Je n'ai vu là qu'un acte de dévouement, qu'un nouvel hommage rendu par un magistrat aux principes de l'égalité et à la dignité du citoyen; si c'est un crime, je fais des voeux pour que l'opinion publique n'en ait jamais de plus dangereux à punir.

      Ainsi donc, les actions les plus honnêtes ne sont que de nouveaux aliments de calomnie! Cependant, par quelle étrange contradiction feignez-vous de me croire nécessaire à une place importante, lorsque vous me refusez toutes les qualités d'un bon citoyen? Que dis-je? Vous me faites un crime d'avoir abandonné des fonctions publiques; et vous prétendez que, pour me soustraire à ce que vous appelez l'idolâtrie du peuple, je devrais me condamner moi-même à l'ostracisme! Qu'est-ce donc que cette idolâtrie prétendue, si ce n'est pas une nouvelle injure que vous faites au peuple? N'est-ce pas être aussi trop méfiant et trop soupçonneux à la fois, de paraître tant redouter un simple citoyen qui a toujours servi la cause de l'égalité avec désintéressement, et de craindre si peu les chefs de factions entourés de la force publique, qui lui ont déjà porté tant de coups mortels?

      Mais quelle est donc cette espèce d'ostracisme dont vous parlez? Est-ce la renonciation à toute espèce d'emplois publics, même pour l'avenir? Si elle est nécessaire pour vous rassurer contre moi, parlez, je m'engage à en déposer dans vos mains l'acte authentique et solennel. Est-ce la défense d'élever désormais la voix pour défendre les principes de la Constitution et les droits du peuple? De quel front oseriez-vous me la proposer? Est-ce un exil volontaire, comme M. Guadet l'a annoncé en propres termes? Ah! ce sont les ambitieux et les tyrans qu'il faudrait bannir. Pour moi, où voulez-vous que je me retire? Quel est le peuple où je trouverai la liberté établie? Et quel despote voudra me donner un asile? Ah! on peut abandonner sa patrie heureuse et triomphante; mais menacée, mais déchirée, mais opprimée, on ne la fuit pas, on la sauve, ou on meurt pour elle. Le ciel qui me donna une âme passionnée pour la liberté et qui me fit naître sous la domination des tyrans, le ciel qui prolongea mon existence jusqu'au règne des factions et des crimes, m'appelle peut-être à tracer de mon sang la route qui doit conduire mon pays au bonheur et à la liberté; j'accepte avec transport cette douce et glorieuse destinée. Exigez-vous de moi un autre sacrifice? Oui, il en est un que vous pouvez demander encore; je l'offre à ma patrie, c'est celui de ma réputation. Je vous la livre, réunissez-vous tous pour la déchirer, joignez-vous à la foule innombrable de tous les ennemis de la liberté, unissez, multipliez vos libelles périodiques, je ne voulais de réputation que pour le bien de mon pays: si, pour la conserver, il faut trahir, par un coupable silence, la cause de la vérité et du peuple, je vous l'abandonne; je l'abandonne à tous les esprits faibles et versatiles que l'imposture peut égarer, à tous les méchants qui la répandent. J'aurai l'orgueil encore de préférer à leurs frivoles applaudissements le suffrage de ma conscience et l'estime de tous les hommes vertueux et éclairés; appuyé sur elle et sur la vérité, j'attendrai le secours tardif du temps, qui doit venger l'humanité trahie et les peuples opprimés.

      Voilà mon apologie; c'est vous dire assez, sans doute, que je n'en avais pas besoin. Maintenant il me serait facile de vous prouver que je pourrais faire la guerre offensive avec autant d'avantages que la guerre défensive. Je ne veux que vous donner une preuve de modération. Je vous offre la paix, aux seules conditions que les amis de la patrie puissent accepter. A ces conditions, je vous pardonne volontiers toutes vos calomnies; j'oublierai même cette affectation cruelle avec laquelle vous ne cessez de défigurer ce que j'ai dit pour m'accuser d'avoir fait contre l'Assemblée nationale les réflexions qui s'adressaient à vous, cette artificieuse politique avec laquelle vous vous êtes toujours efforcés de vous identifier avec elle, d'inspirer de sinistres préventions contre moi à ceux de ses membres pour qui j'ai toujours marqué le plus d'égards et d'estime. Ces conditions, les voici.

      Je ne transige point sur les principes de la justice et sur les droits de l'humanité. Vous me parlerez tant que vous voudrez du Comité autrichien; vous ajouterez même que je suis son agent involontaire, suivant l'expression familière de quelques-uns de vos papiers. Moi qui ne suis point initié dans les secrets de la