Уильям Шекспир

Le roi Jean


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serait trop attentif et trop poli pour votre changement de destinée. – Et votre voyageur 4. – Lui et son cure-dent ont leur place aux repas de ma seigneurie; et lorsque mon estomac de chevalier est satisfait, alors je promène ma langue autour de mes dents, et j'interroge mon élégant convive sur les pays qu'il a parcourus: Mon cher monsieur (c'est ainsi que je commence, appuyé sur mon coude), je vous supplie… – Voilà la demande, et voici incontinent la réponse, comme dans un alphabet: O monsieur, dit la réponse, à vos ordres très-honorés, à votre service, à votre disposition, monsieur… -Non, monsieur, dit la question: c'est moi, mon cher monsieur, qui suis à la vôtre… et la réponse devinant toujours ainsi ce que veut la demande, épargne un dialogue de compliments, et nous entretient des Alpes, des Apennins, des Pyrénées et de la rivière du Pô, arrivant ainsi à l'heure du souper. Voilà la société digne de mon rang, et qui cadre avec un esprit ambitieux comme le mien! car c'est un vrai bâtard du temps (ce que je serai toujours quoique je fasse) celui qui ne se pénètre pas des moeurs qu'il observe, et cela, non-seulement par rapport à ses habitudes de corps et d'esprit, ses formes extérieures et son costume, mais qui ne sait pas encore débiter de son propre fonds le doux poison, si doux au goût du siècle: ce que toutefois je ne veux point pratiquer pour tromper, mais que je veux apprendre pour éviter d'être trompé, et pour semer de fleurs les degrés de mon élévation. – Mais, qui vient si vite en costume de cheval? Quelle est cette femme postillon? N'a-t-elle point de mari qui prenne la peine de sonner du cor devant elle? (Entrent lady Faulconbridge et Jacques Gourney.) O Dieu! c'est ma mère! Quoi! vous à cette heure, ma bonne dame? qui vous amène si précipitamment ici, à la cour?

      LADY FAULCONBRIDGE. – Où est ce misérable, ton frère? où est celui qui pourchasse en tous sens mon honneur?

      LE BATARD. – Mon frère Robert? le fils du vieux sir Robert? le géant Colbrand 5, cet homme puissant? est-ce le fils de sir Robert que vous cherchez ainsi?

      LADY FAULCONBRIDGE. – Le fils de sir Robert! Oui, enfant irrespectueux, le fils de sir Robert: pourquoi ce mépris pour sir Robert? Il est le fils de sir Robert, et toi aussi.

      LE BATARD. – Jacques Gourney, voudrais-tu nous laisser pour un moment?

      GOURNEY. – De tout mon coeur, bon Philippe.

      LE BATARD. – Philippe! le pierrot 6! – Jacques, il court des bruits… Tantôt je t'en dirai davantage. (Jacques sort.) – Madame je ne suis point le fils du vieux sir Robert; sir Robert aurait pu manger un vendredi saint toute la part qu'il a eue en moi, sans rompre son jeûne; Sir Robert pouvait bien faire, mais de bonne foi, avouez-le, a-t-il pu m'engendrer? Sir Robert ne le pouvait pas; nous connaissons de ses oeuvres. – Ainsi donc, ma bonne mère, à qui suis-je redevable de ces membres? Jamais sir Robert n'a aidé à faire cette jambe.

      LADY FAULCONBRIDGE. – T'es-tu ligué avec ton frère, toi, qui pour ton propre avantage devrais défendre mon honneur? Que veut dire ce mépris, varlet indiscipliné 7?

      LE BATARD. – Chevalier, chevalier, ma bonne mère, comme Basilisco *. Je viens d'être armé; et j'ai le coup sur mon épaule. Mais, ma mère, je ne suis plus le fils de sir Robert; j'ai renoncé à sir Robert et à mon héritage; nom, légitimité, tout est parti; ainsi, ma bonne mère, faites-moi connaître mon père; c'est quelque homme bien tourné, j'espère: qui était-ce, ma mère?

      LADY FAULCONBRIDGE. – As-tu nié d'être un Faulconbridge?

      LE BATARD. – D'aussi grand coeur que je renie le diable.

      LADY FAULCONBRIDGE. – Le roi Richard Coeur de Lion fut ton père; séduite par une poursuite assidue et pressante, je lui donnai place dans le lit de mon mari. Que le ciel ne me l'impute point à péché! Tu fus le fruit d'une faute qui m'est encore chère, et à laquelle je fus trop vivement sollicitée, pour pouvoir me défendre.

      LE BATARD. – Maintenant, par cette lumière, si j'étais encore à naître, madame, je ne souhaiterais pas un plus noble père. Il est des fautes privilégiées sur la terre, et la vôtre est de ce nombre: votre faute ne fut point folie. Il fallait bien mettre votre coeur à la discrétion de Richard, comme un tribut de soumission à son amour tout-puissant; de Richard dont le lion intrépide ne put soutenir la furie et la force incomparable, ni préserver son coeur royal de la main du héros 9. Celui qui ravit de force le coeur des lions, peut facilement s'emparer de celui d'une femme. Oui, ma mère, de toute mon âme je vous remercie de mon père! Qu'homme qui vive ose dire que vous ne fîtes pas bien, lorsque je fus engendré, j'enverrai son âme aux enfers. Venez, madame, je veux vous présenter à mes parents; et ils diront que le jour où Richard m'engendra, si tu lui avais dit non, c'eût été un crime. Quiconque dit que c'en fut un en a menti; je dis, moi, que ce n'en fut pas un.

FIN DU PREMIER ACTE

      ACTE DEUXIÈME

SCÈNE ILa scène est en France. – Devant les murs d'Angers Entrent d'un côté L'ARCHIDUC D'AUTRICHE et ses soldats; de l'autre PHILIPPE, roi de France et ses soldats; LOUIS, CONSTANCE, ARTHUR et leur suite

      LOUIS. – Soyez les bien arrivés devant les murs d'Angers, vaillant duc d'Autriche. – Arthur, l'illustre fondateur de ta race, Richard qui arracha le coeur à un lion et combattit dans les saintes guerres en Palestine, descendit prématurément dans la tombe par les mains de ce brave duc 10; et lui, pour faire réparation à ses descendants, est ici venu sur notre demande déployer ses bannières pour ta cause, mon enfant, et faire justice de l'usurpation de ton oncle dénaturé, Jean d'Angleterre: embrasse-le, chéris-le, souhaite-lui la bienvenue.

      ARTHUR. – Dieu vous pardonne la mort de Coeur de Lion, d'autant mieux que vous donnez la vie à sa postérité, en ombrageant ses droits sous vos ailes de guerre. Je vous souhaite la bienvenue d'une main sans pouvoir, mais avec un coeur plein d'un amour sincère: duc, soyez le bienvenu devant les portes d'Angers.

      LOUIS. – Noble enfant! qui ne voudrait te rendre justice?

      L'ARCHIDUC-Je dépose sur ta joue ce baiser plein de zèle, comme le sceau de l'engagement que prend ici mon amitié, de ne jamais retourner dans mes États jusqu'à ce qu'Angers, et les domaines qui t'appartiennent en France, en compagnie de ce rivage pâle et au blanc visage, dont le pied repousse les vagues mugissantes de l'Océan et sépare ses insulaires des autres contrées; jusqu'à ce que l'Angleterre, enfermée par la mer dont les flots lui servent de muraille, et qui se flatte d'être toujours hors de l'atteinte des projets de l'étranger, jusqu'à ce que ce dernier coin de l'Occident t'ait salué pour son roi: jusqu'alors, bel enfant, je ne songerai pas à mes États et ne quitterai point les armes.

      CONSTANCE. – Oh! recevez les remerciements de sa mère, les remerciements d'une veuve, jusqu'au jour où la puissance de votre bras lui aura donné la force de s'acquitter plus dignement envers votre amitié!

      L'ARCHIDUC. – La paix du ciel est avec ceux qui tirent leur épée pour une cause aussi juste et aussi sainte.

      PHILIPPE. – Eh bien! alors, à l'ouvrage: dirigeons notre artillerie contre les remparts de cette ville opiniâtre. – Assemblons nos plus habiles tacticiens, pour dresser les plans les plus avantageux. – Nous laisserons devant cette ville nos os de roi; nous arriverons jusqu'à la place publique, en nous plongeant dans le sang des Français, mais nous la soumettrons à cet enfant.

      CONSTANCE. – Attendez une réponse à votre ambassade, de crainte de souiller inconsidérément vos épées de sang. Châtillon peut nous rapporter d'Angleterre, par la paix, la justice que nous prétendons obtenir ici par la guerre. Nous nous reprocherions alors chaque goutte de sang que trop de précipitation et d'ardeur aurait fait verser sans nécessité.

(Châtillon entre)

      PHILIPPE. – Chose étonnante, madame! – Voilà que sur votre désir est arrivé Châtillon, notre envoyé. – Dis