Уильям Шекспир

Le marchand de Venise


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Le marchand de Venise

      NOTICE

      SUR LE MARCHAND DE VENISE

      Le fond de l'aventure qui fait le sujet du Marchand de Venise se retrouve dans les chroniques ou dans la littérature de tous les pays, tantôt en entier, tantôt dépouillé de l'épisode très-piquant qu'y ajoutent les amours de Bassanio et de Portia. Un jugement pareil à celui de Portia a été attribué à Sixte V qui, plus sévère, condamna, dit-on, à l'amende les deux contractants, pour les punir de l'immoralité d'un pareil marché. En cette occasion il s'agissait d'un pari, et le juif était le perdant. Un recueil de nouvelles françaises, intitulé Roger-Bontemps en belle humeur, raconte la même aventure, mais à l'avantage du chrétien, et c'est le sultan Saladin qui est le juge. Dans un manuscrit persan qui rapporte le même fait, il s'agit d'un pauvre musulman de Syrie avec qui un riche juif fait ce marché pour avoir les moyens de le perdre et parvenir ainsi à posséder sa femme dont il est amoureux; le cas est décidé par un cadi d'Émèse. Mais l'aventure tout entière se trouve consignée, avec quelques différences, dans un très-ancien ouvrage écrit en latin et intitulé: Gesta Romanorum, et dans le Pecorone de ser Giovanni, recueil de nouvelles composé avant la fin du quatorzième siècle et par conséquent très-antérieur à Sixte V, ce qui rend tout à fait improbable l'anecdote rapportée sur ce pape par Grégoire Léti.

      Dans la nouvelle de ser Giovanni, la dame de Belmont n'est point une jeune fille forcée de soumettre son choix aux conditions prescrites par le singulier testament de son père, mais une jeune veuve qui, de sa propre volonté, impose une condition beaucoup plus singulière à ceux que le hasard ou le choix fait aborder dans son port. Obligés de partager le lit de la dame, s'ils savent profiter des avantages que leur offre une pareille situation, ils obtiendront avec la possession de la veuve sa main et tous ses biens. Dans le cas contraire, ils perdent leur vaisseau et son chargement, et repartent sur-le-champ avec un cheval et une somme d'argent qu'on leur fournit pour retourner chez eux. Peu effrayés d'une pareille épreuve, beaucoup ont tenté l'aventure, tous ont succombé; car, à peine dans le lit, ils s'endorment d'un profond sommeil, d'où ils ne se réveillent que pour apprendre le lendemain que la dame plus matinale a déjà fait décharger le navire, et préparer la monture qui doit reconduire chez lui le malencontreux prétendant. Aucun n'a été tenté de renouveler une entreprise si chère, et dont le mauvais succès a découragé les plus vifs aspirants. Le seul Gianetto (c'est dans la nouvelle le nom du jeune Vénitien) s'est obstiné, et après deux premières déconvenues, il veut risquer une troisième aventure: son parrain Ansaldo, sans s'inquiéter de la perte des deux premiers vaisseaux dont il ignore la cause, lui en équipe un troisième, avec lequel Gianetto lui promet de réparer leurs malheurs. Mais épuisé par les précédentes entreprises, il est obligé pour celle-là d'emprunter à un juif la somme de dix mille ducats, aux mêmes conditions que celles qu'impose Shylock à Antonio. Gianetto arrive, et, averti par une suivante de ne pas boire le vin qu'on lui présentera avant de se mettre au lit, il surprend à son tour la dame qui, fort troublée d'abord de le trouver éveillé, se résigne cependant à son sort, et s'estime heureuse de le nommer le lendemain son époux. Gianetto, enivré de son bonheur, oublie le pauvre Ansaldo jusqu'au jour fatal de l'échéance du billet. Un hasard le lui rappelle alors; il part en diligence pour Venise, et le reste de l'histoire se passe comme l'a représenté Shakspeare.

      On conçoit aisément la raison et la nécessité des divers changements qu'il a fait subir à cette aventure; elle n'était cependant pas tellement impossible à représenter de son temps sur le théâtre qu'on ne puisse croire qu'il a été induit à ces changements par le besoin de donner plus de moralité à ses personnages et plus d'intérêt à son action. Aussi la situation du généreux Antonio, la peinture de son caractère si dévoué, courageux et mélancolique à la fois, ne sont-elles pas l'unique source du charme qui règne si puissamment dans tout l'ouvrage. Les lacunes que laisse cette situation sont du moins si heureusement remplies qu'on ne s'aperçoit d'aucun vide, tant l'âme est doucement occupée des sentiments qui en naissent naturellement. Il semble que Shakspeare ait voulu peindre ici, sous leurs différents points de vue, les premiers beaux jours d'un heureux mariage. Le discours de Portia à Bassanio, au moment où le sort vient de décider en sa faveur, et où elle se regarde déjà comme son heureuse épouse, est rempli d'un abandon si pur, d'une soumission conjugale si touchante et si noble à la fois, que son caractère en acquiert un charme inexprimable, et que Bassanio, prenant dès cet instant la situation supérieure qui lui convient, n'a plus à craindre d'être rabaissé par l'esprit et le courage de sa femme, quelque décidé que soit le parti qu'elle va prendre l'instant d'après; on sait maintenant que, le moment de la nécessité passé, tout rentrera dans l'ordre, et que les grandes qualités qu'elle saura soumettre à son devoir de femme ne feront qu'ajouter au bonheur de son mari.

      Dans une classe subordonnée, Lorenzo et Jessica nous donnent le spectacle de ce tendre badinage de deux jeunes époux si remplis de leur bonheur qu'ils le répandent sur les choses les plus étrangères à eux-mêmes et jouissent des pensées et des actions les plus indifférentes, comme d'autant de portions d'une existence que le bonheur envahit tout entière. Cet entretien de Lorenzo et de Jessica, ce jardin, ce clair de lune, cette musique qui prépare le retour de Portia, de Bassanio, et l'arrivée d'Antonio, disposent l'âme à toutes les douces impressions que fera naître l'image d'une félicité complète, dans la réunion de Portia et de Bassanio au milieu de tous les amis qui vont jouir de leurs soins et de leurs bienfaits. Shakspeare est presque le seul poëte dramatique qui n'ait pas craint de s'arrêter sur le tableau du bonheur; il sentait qu'il avait de quoi le remplir.

      L'invention des trois coffres, dont l'original se trouve aussi en plusieurs endroits, existe, à peu près telle que l'a employée Shakspeare, dans une autre aventure des Gesta Romanorum, si ce n'est que la personne soumise à l'épreuve est la fille d'un roi de la Pouille qui, par la sagesse de son choix, est jugée digne d'épouser le fils de l'empereur de Rome. On voit par là que ces Gesta Romanorum ne remontent pas précisément aux temps antiques.

      Le caractère du juif Shylock est justement célèbre en Angleterre.

      Cette pièce a été représentée avant 1598. C'est ce qu'on sait de plus certain sur sa date. Plusieurs pièces sur le même sujet avaient déjà été mises au théâtre; il avait été aussi le fond de plusieurs ballades.

      En 1701, M. Grandville, depuis lord Lansdowne, remit au théâtre le Marchand de Venise, avec des changements considérables, sous le titre du Juif de Venise. On l'a joué longtemps sous cette nouvelle forme.

      LE MARCHAND DE VENISE

      PERSONNAGES

      LE DUC DE VENISE,} amoureux de

      LE PRINCE DE MAROC,} Portia.

      LE PRINCE D'ARAGON, }

      ANTONIO, marchand de Venise.

      BASSANIO, son ami.

      SALANIO,} amis d'Antonio et de

      GRATIANO,} Bassanio.

      SALARINO,}

      LORENZO, amant de Jessica.

      SHYLOCK, juif.

      TUBAL, autre juif, ami de Shylock.

      LANCELOT GOBBO, jeune lourdaud, domestique de Shylock.

      LE VIEUX GOBBO, père de Lancelot.

      LÉONARDO, domestique de Bassanio.

      BALTHASAR, domestiques de Portia.

      STEPHANO, " " "

      UN VALET.

      PORTIA, riche héritière.

      NÉRISSA, suivante de Portia.

      JESSICA, fille de Shylock.

Sénateurs de Venise, officiers de la cour de justice, un geôlier, valets et autres personne de suiteLa scène est tantôt à Venise, tantôt à Belmont, château de Portia

      ACTE PREMIER

      SCÈNE I

Dans une rue de Venise Entrent ANTONIO, SALARINO et SALANIO

      ANTONIO. – De bonne foi, je ne sais pourquoi je suis triste. J'en suis fatigué: vous dites que vous en êtes fatigués aussi; mais comment j'ai pris ce chagrin, où je l'ai trouvé, rencontré,