des ministres de la religion se tire de nostre mort et de nos vices. Nul médecin ne prend plaisir à la santé de ses amis mêmes, ni soldats à la paix de la ville; ainsi du reste.»
Il suit de là que, si les vœux secrets de chaque producteur étaient réalisés, le monde rétrograderait rapidement vers la barbarie. La voile proscrirait la vapeur, la rame proscrirait la voile, et devrait bientôt céder les transports au chariot, celui-ci au mulet, et le mulet au porte-balle. La laine exclurait le coton, le coton exclurait la laine, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la disette de toutes choses eût fait disparaître l'homme même de dessus la surface du globe.
Supposez pour un moment que la puissance législative et la force publique fussent mises à la disposition du comité Mimerel, et que chacun des membres qui composent cette association eût la faculté de lui faire admettre et sanctionner une petite loi: est-il bien malaisé de deviner à quel code industriel serait soumis le public?
Si nous venons maintenant à considérer l'intérêt immédiat du consommateur, nous trouverons qu'il est en parfaite harmonie avec l'intérêt général, avec ce que réclame le bien-être de l'humanité. Quand l'acheteur se présente sur le marché, il désire le trouver abondamment pourvu. Que les saisons soient propices à toutes les récoltes; que des inventions de plus en plus merveilleuses mettent à sa portée un plus grand nombre de produits et de satisfactions; que le temps et le travail soient épargnés; que les distances s'effacent; que l'esprit de paix et de justice permette de diminuer le poids des taxes; que les barrières de toute nature tombent; en tout cela, l'intérêt immédiat du consommateur suit parallèlement la même ligne que l'intérêt public bien entendu. Il peut pousser ses vœux secrets jusqu'à la chimère, jusqu'à l'absurde, sans que ses vœux cessent d'être humanitaires. Il peut désirer que le vivre et le couvert, le toit et le foyer, l'instruction et la moralité, la sécurité et la paix, la force et la santé s'obtiennent sans efforts, sans travail et sans mesure, comme la poussière des chemins, l'eau du torrent, l'air qui nous environne, la lumière qui nous baigne, sans que la réalisation de tels désirs soit en contradiction avec le bien de la société.
On dira peut-être que, si ces vœux étaient exaucés, l'œuvre du producteur se restreindrait de plus en plus, et finirait par s'arrêter faute d'aliment. Mais pourquoi? Parce que, dans cette supposition extrême, tous les besoins et tous les désirs imaginables seraient complétement satisfaits. L'homme, comme la Toute-Puissance, créerait toutes choses par un seul acte de sa volonté. Veut-on bien me dire, dans cette hypothèse, en quoi la production industrielle serait regrettable?
Je supposais tout à l'heure une assemblée législative composée de travailleurs, dont chaque membre formulerait en loi son vœu secret, en tant que producteur; et je disais que le code émané de cette assemblée serait le monopole systématisé, la théorie de la disette mise en pratique.
De même, une Chambre, où chacun consulterait exclusivement son intérêt immédiat de consommateur, aboutirait à systématiser la liberté, la suppression de toutes les mesures restrictives, le renversement de toutes les barrières artificielles, en un mot, à réaliser la théorie de l'abondance.
Il suit de là:
Que consulter exclusivement l'intérêt immédiat de la production, c'est consulter un intérêt antisocial;
Que prendre exclusivement pour base l'intérêt immédiat de la consommation, ce serait prendre pour base l'intérêt général.
Qu'il me soit permis d'insister encore sur ce point de vue, au risque de me répéter.
Un antagonisme radical existe entre le vendeur et l'acheteur3.
Celui-là désire que l'objet du marché soit rare, peu offert, à un prix élevé.
Celui-ci le souhaite abondant, très-offert, à bas prix.
Les lois qui devraient être au moins neutres, prennent parti pour le vendeur contre l'acheteur, pour le producteur contre le consommateur, pour la cherté contre le bon marché4, pour la disette contre l'abondance.
Elles agissent, sinon intentionnellement, du moins logiquement, sur cette donnée: Une nation est riche quand elle manque de tout.
Car elles disent: C'est le producteur qu'il faut favoriser en lui assurant un bon placement de son produit. Pour cela, il faut en élever le prix; pour en élever le prix, il faut en restreindre l'offre; et restreindre l'offre, c'est créer la disette.
Et voyez: je suppose que, dans le moment actuel, où ces lois ont toute leur force, on fasse un inventaire complet, non en valeur, mais en poids, mesures, volumes, quantités, de tous les objets existants en France, propres à satisfaire les besoins et les goûts de ses habitants, blés, viandes, draps, toiles, combustibles, denrées coloniales, etc.
Je suppose encore que l'on renverse le lendemain toutes les barrières qui s'opposent à l'introduction en France des produits étrangers.
Enfin, pour apprécier le résultat de cette réforme, je suppose que l'on procède trois mois après à un nouvel inventaire.
N'est-il pas vrai qu'il se trouvera en France plus de blé, de bestiaux, de drap, de toile, de fer, de houille, de sucre, etc., lors du second qu'à l'époque du premier inventaire?
Cela est si vrai que nos tarifs protecteurs n'ont pas d'autre but que d'empêcher toutes ces choses de parvenir jusqu'à nous, d'en restreindre l'offre, d'en prévenir la dépréciation, l'abondance.
Maintenant, je le demande, le peuple est-il mieux nourri, sous l'empire de nos lois, parce qu'il y a moins de pain, de viande et de sucre dans le pays? Est-il mieux vêtu parce qu'il y a moins de fil, de toiles et de draps? Est-il mieux chauffé parce qu'il y a moins de houille? Est-il mieux aidé dans ses travaux parce qu'il y a moins de fer, de cuivre, d'outils, de machines?
Mais, dit-on, si l'étranger nous inonde de ses produits, il emportera notre numéraire.
Eh qu'importe? L'homme ne se nourrit pas de numéraire, il ne se vêt pas d'or, il ne se chauffe pas avec de l'argent. Qu'importe qu'il y ait plus ou moins de numéraire dans le pays, s'il y a plus de pain aux buffets, plus de viande aux crochets, plus de linge dans les armoires, et plus de bois dans les bûchers?
Je poserai toujours aux lois restrictives ce dilemme:
Ou vous convenez que vous produisez la disette, ou vous n'en convenez pas.
Si vous en convenez, vous avouez par cela même que vous faites au peuple tout le mal que vous pouvez lui faire. Si vous n'en convenez pas, alors vous niez avoir restreint l'offre, élevé les prix et, par conséquent, vous niez avoir favorisé le producteur.
Vous êtes funestes ou inefficaces. Vous ne pouvez être utiles5.
II. – OBSTACLE, CAUSE
L'obstacle pris pour la cause, – la disette prise pour l'abondance, – c'est le même sophisme sous un autre aspect. Il est bon de l'étudier sous toutes ses faces.
L'homme est primitivement dépourvu de tout.
Entre son dénûment et la satisfaction de ses besoins, il existe une multitude d'obstacles que le travail a pour but de surmonter. Il est curieux de rechercher comment et pourquoi ces obstacles mêmes à son bien-être sont devenus, à ses yeux, la cause de son bien-être.
J'ai besoin de me transporter à cent lieues. Mais entre les points de départ et d'arrivée s'interposent des montagnes, des rivières, des marais, des forêts impénétrables, des malfaiteurs, en un mot, des obstacles; et, pour vaincre ces obstacles, il faudra que j'emploie beaucoup d'efforts, ou, ce qui revient au même, que d'autres emploient beaucoup d'efforts, et m'en fassent payer le prix. Il est clair qu'à cet égard j'eusse été dans une condition meilleure si ces obstacles n'eussent pas existé.
Pour traverser la vie et parcourir cette longue série de jours qui sépare le berceau de la tombe, l'homme a besoin de s'assimiler une quantité prodigieuse d'aliments, de se garantir contre l'intempérie