Adolphe d' Ennery

Michel Strogoff


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si personne ne

      l'observe.

      Et dans quelques jours, j'aurai passé la frontière!

      SANGARRE.

      Et c'est alors, Ivan, que tu seras réellement libre.

      IVAN. Libre!.. je le suis déjà, grâce à toi, qui m'as fait évader de la forteresse de Polstock, où le czar, que je hais, me retenait prisonnier! C'est par toi, par tes Tsiganes dévouées, que j'ai pu correspondre avec Féofar-Khan! C'est grâce à toi, enfin, que j'ai pu pénétrer dans le palais du gouverneur, et que je vais obtenir ce passeport, sans lequel je n'aurais jamais pu franchir la frontière pour aller rejoindre les armées de l'émir!.. Sangarre, je ne l'oublierai pas.

      SANGARRE. Depuis le jour où tu m'as sauvée, pendant cette guerre de Khiva, depuis que le colonel Ivan Ogareff a ramené à la vie la Tsigane que les Russes venaient de knouter comme espionne, la Tsigane t'appartient corps et âme! Elle est devenue la mortelle ennemie de ces Russes qu'elle hait autant que tu les hais toi-même! Ivan, il n'y a plus rien de moscovite en toi! Que ton épaule saigne toujours à l'endroit où l'on a arraché l'épaulette comme mon épaule saignera toujours à l'endroit où le knout l'a déchirée!

      IVAN. Ne crains rien!.. ma vengeance sera de pair avec la tienne!..

      SANGARRE. Ah! je la retrouverai cette Sibérienne… cette Marfa Strogoff qui m'a dénoncée aux Russes!.. Je la retrouverai, dussé-je aller la saisir jusque dans Kolyvan dont les Tartares vont bientôt s'emparer!..

      IVAN. Comme ils s'empareront d'Irkoutsk, conduits par moi à l'assaut de cette capitale! Ah! Grand-Duc maudit, en me cassant de mon grade, en me faisant emprisonner, tu as fait manquer ce premier soulèvement que j'avais organisé! Mais, je suis libre maintenant! Rien ne pourra sauver Irkoutsk, et là, tu périras, d'une mort infamante, sur les murs mêmes de la ville en flammes!

      SANGARRE. Oui, mais il faudrait éviter tout retard, et ce passeport promis par le gouverneur…

      IVAN. Dans cinq minutes je l'aurai, et je m'élancerai, d'un seul vol, de Moscou aux avant-postes de l'émir! Prends garde, on vient!..

      SCENE VI

      LES MEMES, LE GOUVERNEUR, puis UN AIDE DE CAMP.

      Le gouverneur rentre par la gauche, tenant un passeport à la main.

      LE GOUVERNEUR.

      Tiens, es-tu content? Regarde. (Il remet le passeport à Ivan.)

      IVAN, après avoir lu. Ah! Excellence, avec un pareil permis, on passe partout! Il n'y manque plus…

      LE GOUVERNEUR. Que ma signature, et je vais à l'instant même… (Il s'approche de la table, s'assied et prend la plume. Un aide de camp entre.)

      L'AIDE DE CAMP. Un pli pour Son Excellence! (Il remet un pli cacheté. Le gouverneur le lit.)

      SANGARRE, à Ivan.

      Mais il ne signera donc pas!

      IVAN, bas.

      Patience!

      LE GOUVERNEUR, au général qu'il emmène à gauche.

      Général, nous parlions tout à l'heure du colonel Ivan Ogareff.

      SANGARRE, à part.

      Ton nom!

      IVAN, bas.

      Tais-toi!

      LE GOUVERNEUR. Ce traître qui fut cassé de son grade et condamné à mort pour avoir fomenté, une fois déjà, le soulèvement des Tartares…

      LE GENERAL. Oui, Ogareff, dont l'empereur a commué la peine en une perpétuelle détention dans la forteresse de Polstock.

      LE GOUVERNEUR. Il s'est échappé récemment de sa prison. Voilà ce qu'on m'écrit du cabinet de Pétersbourg: Ivan Ogareff s'est enfui!… Il faut mettre toute notre police sur sa trace.

      LE GENERAL. Nous ferons très sévèrement garder la frontière que, sans passeport, il ne pourra franchir.

      LE GOUVERNEUR, s'asseyant à la table et écrivant. Que les ordres soient transmis sans retard. Il importe que le Grand-Duc soit prévenu au plus tôt, car cette lettre du ministre me marque que, d'après une correspondance, saisie depuis l'évasion d'Ivan Ogareff, le plan de ce traître serait de pénétrer dans Irkoutsk, et s'il y parvient, c'est la mort du Grand-Duc, objet de sa haine personnelle!

      IVAN, à Sangarre.

      Mais ils savent donc tout?.. Allons… (S'approchant.)

      Excellence!

      LE GOUVERNEUR.

      Que me veut-on?.. Qui ose se permettre?..

      IVAN.

      Pardon, monseigneur…

      LE GOUVERNEUR. Ah! c'est toi!.. Eh bien!.. Eh bien!..attends! (Il continue d'écrire.)

      IVAN, bas.

      Que va-t-il décider?

      LE GOUVERNEUR, se levant. Au général. Faites partir cette dépêche. Grâce à elle ce misérable ne passera pas la frontière, et toi… (Ivan s'incline.) tiens, voici ton permis… Personne n'entravera ta route!

      IVAN, avec ironie. Monseigneur, vous ne saurez jamais tout ce que je vous dois de reconnaissance!

      LE GOUVERNEUR.

      C'est bon, c'est bon!.. Va!

      IVAN, à part. Viens, Sangarre… Libre maintenant, et bientôt vengé! (Ivan, Sangarre et les Tsiganes sortent par la porte de gauche, en même temps que Jollivet et Blount entrent par la droite.)

      SCENE VII

       LE GOUVERNEUR, LE GENERAL, JOLLIVET, BLOUNT, INVITES.

      LE GOUVERNEUR, aux invités. Eh bien, messieurs, n'entendez-vous pas l'orchestre qui vous appelle? Voulez-vous autoriser les journaux étrangers à dire qu'une fête donner en l'honneur de Sa Majesté n'a pas duré jusqu'au jour? Nous avons là des correspondants qui, j'en suis sûr, notent nos moindres impressions!

      JOLLIVET. Monsieur le gouverneur, les reporters sont curieux, mais non des indiscrets.

      BLOUNT. Curiousses toujours, indiscrètes jamais… les reporters anglais… jamais!

      JOLLIVET. D'ailleurs, en ce qui me concerne, je compte quitter Moscou après le bal, et je prie Votre Excellence de recevoir mes sincères remerciements.

      BLOUNT.

      Je priai de recevoir aussi les miennes… avant…

      JOLLIVET, riant. Oui, ceux de monsieur… avant, pour votre bienveillant accueil…

      LE GOUVERNEUR.

      Et de quel côté dirigez-vous vos pas, messieurs?

      BLOUNT.

      Moi… côté de Sibérie.

      JOLLIVET.

      Moi, de même!.. Nous allons voyager ensemble, cher collègue!

      BLOUNT.

      Dans le même temps, oui… ensemblement… non!

      JOLLIVET.

      Toujours charmant, M. Blount!

      LE GOUVERNEUR.

      Bon, je comprends!.. On a parlé d'un mouvement en Tartarie…

      Mais cela ne vaut pas la peine que vous vous dérangiez!

      JOLLIVET.

      Pardon, Excellence, mon métier est de tout voir…

      BLOUNT.

      Le mienne, de tout voir et de tout entendre… avant!

      JOLLIVET. Et mon journal… je veux dire… ma cousine, est très friande de ces nouvelles, dont elle recevra la primeur.

      BLOUNT.

      Le Morning-Post recevra…

      JOLLIVET. Avant?.. Impossible, cher confrère… Les dames sont toujours servies les premières!

      LE