Baron Gaspard Gourgaud

Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1


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l'ennemi, qui aurait débarqué aux îles d'Hyères, pourrait s'emparer de la batterie malgré le fort la Malgue, et fermer ainsi les rades.

      Le fort la Malgue aurait dû être placé sur la hauteur dite du cap Brun. Il serait, il est vrai, plus éloigné de la place de six cents toises; mais il protégerait le cap qui ferme la rade: d'ailleurs, il aurait une force double, placé sur ce point culminant. Une redoute de cent cinquante mille francs aurait été suffisante sur l'emplacement actuel du fort la Malgue.

      Les batteries de l'Éguillette et de Balagnier défendent la petite rade, et sont défendues par les hauteurs du Cair où était situé le petit Gibraltar. L'ennemi, en s'emparant de ces hauteurs, aurait pu brûler l'escadre française en rade, même en négligeant la presqu'île de Cepé; aussi était-il d'usage de placer là un deuxième camp. On a établi sur ce promontoire une redoute (modèle no 1) d'un million, qui, avec deux ou trois cents hommes de garnison, en assure la possession.

      Les batteries de la grande tour, opposées à Balagnier et l'Éguillette, se trouvent dominées par le fort la Malgue.

      Pour empêcher l'ennemi de mouiller dans la rade d'Hyères, il faut des mortiers dits à la Villantroys qui lancent leurs projectiles à deux mille cinq cents toises au moins, ainsi que des pièces sur affût de 43°. Le mouillage est éloigné de deux mille trois cents toises de toutes côtes; avant que les batteries de ces rades ne fussent ainsi armées, les Anglais y mouillaient constamment. Des îles d'Hyères à Saint-Tropez, toutes les batteries sont de la troisième espèce ou seulement destinées à protéger les caboteurs. Saint-Tropez doit être considéré comme batterie de la deuxième espèce. Fréjus et Juan offrent des mouillages à des escadres de guerre; il était nécessaire d'y établir des batteries de la première espèce.

      Le golfe Juan qui touche à Antibes, est la meilleure rade des côtes de Provence depuis Toulon. On y a vu des escadres de douze vaisseaux, bloquées par des escadres anglaises supérieures, y rester en sûreté sous la protection des batteries que le général d'artillerie avait fait construire. Le mouillage d'Antibes et de Nice ne doit être défendu que par des batteries de la deuxième espèce. Villefranche a une excellente rade, capable de recevoir de grandes escadres. Elle fut armée avec des batteries de la première espèce. Aucune escadre n'a jamais été dans le cas de s'y refugier; mais tout avait été disposé pour y assurer une bonne protection. De Nice à Vado, ce qui fait la distance d'une trentaine de lieues, il n'y a que des batteries de la troisième espèce. Vado est une rade qui, quoique médiocre, est regardée comme la quatrième dans cette partie de la Méditerranée: on y avait élevé de fortes batteries.

      De là à Gênes, il n'y a que des batteries pour la protection du cabotage.

      Gênes est un port médiocre; il peut cependant servir de refuge à quelques vaisseaux. On avait projeté de faire une nouvelle levée pour rendre le mouillage plus sûr.

      § VIII

      Napoléon joignit à Nice le quartier-général de l'armée d'Italie, en mars 1794. Elle était alors commandée par le général Dumerbion, vieil et brave officier, qui avait été dix ans capitaine de grenadiers, dans les troupes de ligne. Il avait des connaissances; mais la goutte le retenait au lit, la moitié du temps: il avait fait la guerre entre le Var et la Roya, et connaissait parfaitement toutes les positions des montagnes qui couvraient Nice.

      Le nouveau général d'artillerie alla visiter tous les avant-postes, et reconnaître la ligne occupée par l'armée. Il est du devoir d'un général d'artillerie de connaître l'ensemble des opérations de l'armée, étant obligé de fournir les divisions d'armes et de munitions. Ses relations avec les commandants d'artillerie, dans chacune d'elles, le mettent au courant de tous les mouvements, et la conduite de son grand parc dépend de ces renseignements.

      Au retour de cette tournée, il remit au général Dumerbion un mémoire sur l'attaque malheureuse du général Brunet, sur les moyens de prendre Saorgio, et de rejeter l'ennemi au delà des grandes Alpes, en s'emparant du col de Tende. Si l'on réussissait à se porter ainsi sur la chaîne supérieure des Alpes, on aurait des positions inexpugnables, qui, n'exigeant que peu de monde pour leur défense, rendraient disponibles beaucoup de troupes.

      Ces idées, développées devant un conseil où siégeaient Robespierre jeune et Ricord, représentants du peuple, furent adoptées sans aucune opposition. Depuis la prise de Toulon, la réputation du général d'artillerie accréditait suffisamment ses projets.

      Le territoire de Nice est compris entre le Var et la Roya. La chaussée de Nice à Turin qui passe à Saorgio ne suit aucune vallée; elle passe à travers les collines et les montagnes. La vallée du col de Tende est la Roya. Cette rivière prend sa source dans le col même, et descend à la mer près de Vintimille; elle offre des débouchés.

      La Nervia prenant sa source près de Montjove, plus bas que Saorgio et que le col Ardente, ne descend pas de la haute chaîne des Alpes, non plus que le Taggio, dont la source est entre Triola et le col Ardente.

      § IX

      Le 8 avril, en conséquence des plans du général d'artillerie, une partie de l'armée, sous les ordres du général Masséna (le général Dumerbion étant retenu au lit par un accès de goutte), filant le long de la corniche, par Menton, passa la Roya. Elle se divisa en quatre colonnes: la première remonta la Roya; la deuxième, la Nervia; la troisième, le Taggio; la quatrième se dirigea sur Oneille.

      La colonne d'Oneille rencontra un corps autrichien et piémontais, sur les hauteurs de Sainte-Agathe, le battit et le repoussa: dans ce combat, le général de brigade Brûlé fut tué. Le quartier-général fut porté à Oneille, et on mit sur-le-champ des troupes en marche, pour s'emparer de Loano.

      D'Oneille, les troupes françaises marchèrent aux sources du Tanaro, battirent les ennemis sur les hauteurs de Ponte-Dinave, s'emparèrent du château d'Orméa, où elles firent 400 prisonniers; elles entrèrent à Garezzio, et se trouvèrent maîtresses de la chaussée qui conduit de Garezzio à Turin. On communiqua avec Loano par Bardinetto et le petit Saint-Bernard.

      Cependant le mouvement des trois colonnes qui avaient suivi les vallées de la Roya, du Taggio, et de la Nervia, et celui des troupes qui avaient débouché en Piémont par les sources du Tanaro, répandirent de justes alarmes à la cour de Sardaigne. L'armée piémontaise, occupant les camps appuyés à Saorgio, allait être coupée: elle pouvait être prise, et la perte d'une armée piémontaise de 20,000 hommes eût entraîné celle de la monarchie. L'armée piémontaise se hâta donc d'abandonner ces fameuses positions qui avaient été arrosées de tant de sang, et où les troupes piémontaises avaient acquis quelque gloire. Saorgio fut aussitôt investie, et cette place capitula. Le 29 avril, les troupes piémontaises vinrent occuper le col de Tende; mais elles n'y restèrent pas long-temps: le 7 mai, après une attaque très-vive, elles en furent chassées. Ainsi tomba au pouvoir des Français toute la crête supérieure des Alpes.

      § X

      La ligne de l'armée française fut établie ainsi: la droite était appuyée à Loano; ensuite la ligne passait à San-Bardinetto, et le petit Saint-Bernard, dominait le Tanaro, traversait la vallée, arrivait au col de Terme qui domine les sources du Tanaro, sur la gauche, au-delà d'Orméa; de là elle arrivait, par la crête supérieure des Alpes, au col de Tende. La ligne continuait sur le col supérieur qui domine la vallée de Lastrera, et venait appuyer la gauche à la droite de l'armée des Alpes, au camp de Tormes.

      Le résultat de ces manœuvres avait mis au pouvoir de l'armée d'Italie, plus de soixante bouches à feu. Saorgio avait été trouvée bien approvisionnée en vivres et munitions de toute espèce: c'était le dépôt principal de toute l'armée piémontaise.

      Le roi de Sardaigne fit juger et passer par les armes le commandant de Saorgio: il fit bien. Ce commandant pouvait se défendre encore douze ou quinze jours. Il est vrai que le résultat eût été le même; car les Piémontais ne pouvaient le secourir. Mais, à la guerre, un commandant de place n'est pas juge des évènements; il doit défendre la place jusqu'à la dernière heure; il mérite la mort quand il la rend un moment plus tôt qu'il n'y est obligé. L'armée française resta dans ces positions