Edward Gibbon

Private Letters of Edward Gibbon (1753-1794) Volume 2 (of 2)


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de goûter de cinq ou six vins différens, et vous ordonne de boire une bouteille de claret après le dessert. Mais enfin je ne soupe jamais, je me couche de fort bonne heure, je reçois peu de visites, les matinées sont longues, les étés sont libres, et dès que je ferme ma porte, je suis oublié du monde entier. Dans une société plus bornée et plus amicale, les démarches sont publiques, les droits sont réciproques, l'on dîne de bonne heure, on se goûte trop pour ne pas passer l'après-midi ensemble; on soupe, on veille, et les plaisirs de la soirée ne laissent pas de déranger le repos de la nuit, et le travail du lendemain.

      HIS HESITATION TO ACCEPT.

      Quel est cependant le résultat de ces plaintes? c'est seulement que la mariée est trop belle, et que j'ose me servir de l'excuse honnête de la santé et du privilège d'un homme de lettres; il ne tiendra qu'à moi de modérer un peu l'excès de mes jouissances. Pour cet engouement que vous m'annoncez, et qui a toujours été le défaut des peuples les plus spirituels, je l'ai déjà éprouvé sur un plus grand théâtre. Il y a six ans que l'ami de Madame Necker fut reçu à Paris, comme celui de George Deyverdun pourroit l'être à Lausanne. Je ne connois rien de plus flatteur que cet accueil favorable d'un public poli et éclairé. Mais cette faveur, si douce pour l'étranger, n'est-elle pas un peu dangereuse pour l'habitant exposé à voir flétrir ses lauriers, par la faute ou par l'inconstance de ses juges? Non; on se soutient toujours, peut être pas précisément au même point d'élévation. A l'abri de trois gros volumes in-quarto en langue étrangère, encore ce qui n'est pas un petit avantage, je conserverai toujours la réputation littéraire, et cette réputation donnera du relief aux qualités sociales, si l'on trouve l'historien sans travers, sans affectation et sans prétentions.

      Je serai donc charmé et content de votre société, et j'aurois pu dire en deux mots, ce qui j'ai bavardé en deux pages; mais il y a tant de plaisir à bavarder avec un ami! car enfin je possède à Lausanne un véritable ami; et les simples connoissances remplaceront sans beaucoup de peine, tout ce qui s'appelle liaison, et même amitié, dans ce vaste désert de Londres. Mais au moment où j'écris, je vois de tous côtés une foule d'objets dont la perte sera bien plus difficile à réparer. Vous connoissiez ma bibliothèque; mais je suis en état de vous rendre le propos de votre maison c'est bien autre chose à cette heure; formée peu à peu, mais avec beaucoup de soin et de dépense, elle peut se nommer aujourd'hui un beau cabinet de particulier. Non content de remplir à rangs redoublés la meilleure pièce qui lui étoit destinée, elle s'est débordée dans la chambre sur la rue, dans votre ancienne chambre à coucher, dans la mienne, dans tous les recoins de la maison de Bentinck-street, et jusques dans une chaumière que je me suis donnée à Hampton Court.

      J'ai mille courtisans rangés autour de moi:

      Ma retraite est mon Louvre, et j'y commande en roi.

      Le fonds est de la meilleure compagnie Grecque, Latine, Italienne, Françoise, et Angloise, et les auteurs les moins chers à l'homme de goût, des ecclésiastiques, des Byzantins, des Orientaux, sont les plus nécessaires à l'historien de la Décadence et de la Chute, &c. Vous ne sentez que trop bien le désagrément de laisser, et l'impossibilité de transporter cinq ou six milles volumes, d'autant plus que le ciel n'a pas voulu faire de la Suisse un pays maritime. Cependant mon zèle pour la réussite de nos projets communs, me fait imaginer que ces obstacles pourront s'applanir, et que je puis adoucir ou supporter ces privations douloureuses. Les bons auteurs classiques, la bibliothèque des nations, se retrouvent dans tous les pays. Lausanne n'est pas dépourvu de livres, ni de politesse, et j'ai dans l'esprit qu'on pourroit acquérir pour un certain tems, quelque bibliothèque d'un vieillard ou d'un mineur, dont la famille ne voudroit pas se défaire entièrement. Quant aux outils de mon travail, nous commencerons par examiner l'état de nos richesses; après quoi il faudroit faire un petit calcul du prix, du poids et de la rareté de chaque ouvrage, pour juger de ce qu'il seroit nécessaire de transporter de Londres, et de ce qu'on acheteroit plus commodément en Suisse; à l'égard de ces frais, on devroit les envisager comme les avances d'une manufacture transplantée en pays étranger, et dont on espère retirer dans la suite un profit raisonnable. Malheureusement votre bibliothèque publique, en y ajoutant même celle de M. de Bochat, est assez piteuse; mais celles de Berne et de Basle sont très nombreuses, et je compterois assez sur la bonhommie Helvétique, pour espérer que, moyennant des recommendations et des cautions, il me seroit permis d'en tirer les livres dont j'aurois essentiellement besoin. Vous êtes très bien placé pour prendre les informations, et pour faire les démarches convenables; mais vous voyez du moins combien je me retourne de tous les côtés, pour esquiver la difficulté la plus formidable.

      HIS FRIEND AND VALET.

      Venons à présent à des objets moins relevés, mais très importans à l'existence et au bien-être de l'animal, le logement, les domestiques, et la table. Pour mon appartement particulier, une chambre à coucher, avec un grand cabinet et une antichambre, auroient suffi à tous mes besoins; mais si vous pouvez vous en passer, je me promenerai avec plaisir dans l'immensité de vos onze pièces, qui s'accommoderont sans doute aux heures et aux saisons différentes. L'article des domestiques renferme une assez forte difficulté, sur laquelle je dois vous consulter. Vous connoissez, et vous estimez Caplen mon valet de chambre, maître d'hotel, &c. qui a été nourri dans notre maison, et qui comptoit d'y finir ses jours. Depuis votre départ, ses talens et ses vertus se sont dévelloppés de plus en plus, et je le considère bien moins sur le pied d'un domestique, que sur celui d'un ami. Malheureusement il ne sait que l'Anglois, et jamais il n'apprendra de langue étrangère. Il m'accompagna, il y a six ans, dans mon voyage à Paris, mais il rapporta fidèlement à Londres toute l'ignorance, et tous les préjugés d'un bon patriote. A Lausanne il me coûteroit beaucoup, et à l'exception du service personnel, il ne nous seroit que d'une très petite utilité. Cependant je supporterois volontiers cette dépense, mais je suis très persuadé que, si son attachement le portoit à me suivre, il s'ennuyeroit à mourir dans un pays où tout lui seroit étranger et désagréable. Il faudroit donc me détacher d'un homme dont je connois le zèle, la fidélité, rompre tout d'un coup de petites habitudes qui sont liées avec le bien-être journalier et momentané, et se résoudre à lui substituer un visage nouveau, peut-être un mauvais sujet, toujours quelque aventurier Suisse pris sur le pavé de Londres. Vous rappellez-vous un certain George Suess qui a fait autrefois avec moi le voyage de France et d'Italie? Je le crois marié et établi à Lausanne; s'il vit encore, si vous pouvez l'engager à se rendre ici, pour me ramener en Suisse, la compagnie d'un bon et ancien serviteur ne laisseroit pas d'adoucir la chute, et il resteroit peut-être auprès de moi, jusqu'à ce que nous eussions choisi un jeune homme du pays, adroit, modeste et bien élevé, à qui je ferois un parti avantageux.

      Les autres domestiques, gouvernantes, laquais, cuisinière, &c. se prennent et se renvoyent sans difficulté. Un article bien plus important, c'est notre table, car enfin nous ne sommes pas assez hermites, pour nous contenter des légumes et des fruits de votre jardin, tout excellens qu'ils sont; mais je n'ai presque rien à ajouter à l'honnêteté de vos propos, qui me donnent beaucoup plus de plaisir que de surprise. Si je me trouvois sans fortune, au lieu de rougir des bienfaits de l'amitié, j'accepterois vos offres aussi simplement que vous les faites. Mais nous ne sommes pas réduits à ce point, et vous comprenez assez qu'une déconfiture angloise laisse encore une fortune fort décente au Pays de Vaud, et pour vous dire quelque chose de plus précis, je dépenserois sans peine et sans inconvénient cinq ou six cens Louis. Vous connoissez le résultat aussi bien que les détails d'un ménage; en supposant une petite table de deux philosophes Epicuriens, quatre, cinq, ou six domestiques, des amis assez souvent, des repas assez rarement, beaucoup de sensualité, et peu de luxe, à combien estimez-vous en gros la dépense d'un mois et d'une année? Le partage que vous avez déjà fait, me paroît des plus raisonnables; vous me logez, et je vous nourris. A votre calcul, j'ajouterois mon entretien personnel, habits, plaisirs, gages de domestiques, &c. et je verrois d'une manière assez nette, l'ensemble de mon petit établissement.

      HIS HOPES OF A POLITICAL PLACE.

      Après avoir essuyé tant de détails minutieux, le cher lecteur s'imagine sans doute que la résolution de me fixer pendant quelque tems aux bords du Lac Léman, est parfaitement décidée. Hélas! rien n'est moins vrai; mais je me suis livré