Чарльз Диккенс

David Copperfield – Tome II


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je ne pouvais m'empêcher, en la regardant, de me dire que Peggotty elle-même faisait beaucoup de bruit et peu de besogne, en comparaison d'Agnès, qui faisait tant de choses sans le moindre bruit. J'en étais là quand on frappa à la porte.

      «Je pense que c'est papa, dit Agnès en devenant pâle, il m'a promis de venir.»

      J'ouvris la porte, et je vis entrer non-seulement M. Wickfield mais Uriah Heep. Il y avait déjà quelque temps que je n'avais vu M. Wickfield. Je m'attendais déjà à le trouver très-changé, d'après ce qu'Agnès m'avait dit, mais je fus douloureusement surpris en le voyant.

      Ce n'était pas tant parce qu'il était bien vieilli, quoique toujours vêtu avec la même propreté scrupuleuse; ce n'était pas non plus parce qu'il avait un teint échauffé, qui donnait mauvaise idée de sa santé; ce n'était pas parce que ses mains étaient agitées d'un mouvement nerveux, j'en savais mieux la cause que personne, pour l'avoir vue opérer pendant plusieurs années; ce n'est pas qu'il eût perdu la grâce de ses manières ni la beauté de ses traits, toujours la même; mais ce qui me frappa, c'est qu'avec tous ces témoignages évidents de distinction naturelle, il pût subir la domination impudente de cette personnification de la bassesse, Uriah Heep. Le renversement des deux natures dans leurs relations respectives, de puissance de la part d'Uriah, et de dépendance du côté de M. Wickfield, offrait le spectacle le plus pénible qu'on pût imaginer. J'aurais vu un singe conduire un homme en laisse, que je n'aurais pas été plus humilié pour l'homme.

      Il n'en avait que trop conscience lui-même. Quand il entra, il s'arrêta la tête basse comme s'il le sentait bien. Ce fut l'affaire d'un moment, car Agnès lui dit très-doucement: «Papa, voilà miss Trotwood et Trotwood que vous n'avez pas vus depuis longtemps,» et alors il s'approcha, tendit la main à ma tante d'un air embarrassé, et serra les miennes plus cordialement. Pendant cet instant de trouble rapide, je vis un sourire de malignité sur les lèvres d'Uriah. Agnès le vit aussi, je crois, car elle fit un mouvement en arrière, comme pour s'éloigner de lui.

      Quant à ma tante, le vit-elle, ne le vit-elle pas? j'aurais défié toute la science des physionomistes de le deviner sans sa permission. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu personne doué d'une figure plus impénétrable qu'elle, lorsqu'elle voulait. Sa figure ne parlait pas plus qu'un mur de ses secrètes pensées, jusqu'au moment où elle rompit le silence avec le ton brusque qui lui était ordinaire:

      «Eh bien! Wickfield, dit ma tante, et il la regarda pour la première fois. J'ai raconté à votre fille le bel usage que j'ai fait de mon argent, parce que je ne pouvais plus vous le confier depuis que vous vous étiez un peu rouillé en affaires. Nous nous sommes donc consultées avec elle, et, tout considéré, nous nous tirerons de là. Agnès, à elle seule, vaut les deux associés, à mon avis.

      – S'il m'est permis de faire une humble remarque, dit Uriah Heep en se tortillant, je suis parfaitement d'accord avec miss Betsy Trotwood, et je serais trop heureux d'avoir aussi miss Agnès pour associée.

      – Contentez-vous d'être associé vous-même, repartit ma tante; il me semble que cela doit vous suffire. Comment vous portez-vous, monsieur?»

      En réponse à cette question, qui lui était adressée du ton le plus sec, M. Heep secouant d'un air embarrassé le sac de papiers qu'il portait, répliqua qu'il se portait bien, et remercia ma tante en lui disant qu'il espérait qu'elle se portait bien aussi.

      «Et vous, Copperfield… je devrais dire monsieur Copperfield, continua Uriah, j'espère que vous allez bien. Je suis heureux de vous voir, monsieur Copperfield, même dans les circonstances actuelles: et en effet les circonstances actuelles avaient l'air d'être assez de son goût. Elles ne sont pas tout ce que vos amis pourraient désirer pour vous, monsieur Copperfield; mais ce n'est pas l'argent qui fait l'homme, c'est… je ne suis vraiment pas en état de l'expliquer avec mes faibles moyens, dit Uriah faisant un geste de basse complaisance; mais ce n'est pas l'argent!..»

      Là-dessus il me donna une poignée de main, non pas d'après le système ordinaire, mais en se tenant à quelques pas, comme s'il en avait peur, et en soulevant ma main ou la baissant tour à tour comme la poignée d'une pompe.

      «Que dites-vous de notre santé, Copperfield… pardon, je devrais dire monsieur Copperfield? reprit Uriah; M. Wickfield n'a-t-il pas bonne mine, monsieur? Les années passent inaperçues chez nous, monsieur Copperfield; si ce n'est qu'elles élèvent les humbles, c'est-à-dire ma mère et moi, et qu'elles développent, ajouta-t-il en se ravisant, la beauté et les grâces, particulièrement chez miss Agnès.»

      Il se tortilla après ce compliment d'une façon si intolérable que ma tante qui le regardait en face perdit complètement patience.

      «Que le diable l'emporte! dit-elle brusquement. Qu'est-ce qu'il a donc? Pas de mouvements galvaniques, monsieur!

      – Je vous demande pardon, miss Trotwood, dit Uriah; je sais bien que vous êtes nerveuse.

      – Laissez-nous tranquilles, reprit ma tante qui n'était rien moins qu'apaisée par cette impertinence: je vous prie de vous taire. Sachez que je ne suis pas nerveuse du tout. Si vous êtes une anguille, monsieur, à la bonne heure! mais si vous êtes un homme, maîtrisez un peu vos mouvements, monsieur! Vive Dieu! continua-t-elle dans un élan d'indignation, je n'ai pas envie qu'on me fasse perdre la tête à se tortiller comme un serpent ou comme un tire-bouchon!»

      M. Heep, comme on peut le penser, fut un peu troublé par cette explosion, qui recevait une nouvelle force de l'air indigné dont ma tante recula sa chaise en secouant la tête, comme si elle allait se jeter sur lui pour le mordre. Mais il me dit à part d'une voix douce:

      «Je sais bien, monsieur Copperfield, que miss Trotwood, avec toutes ses excellentes qualités, est très-vive; j'ai eu le plaisir de la connaître avant vous, du temps que j'étais encore pauvre petit clerc, et il est naturel qu'elle ne soit pas adoucie par les circonstances actuelles. Je m'étonne au contraire que ce ne soit pas encore pis. J'étais venu ici vous dire que, si nous pouvions vous être bons à quelque chose, ma mère et moi, ou Wickfield-et- Heep, nous en serions ravis. Je ne m'avance pas trop, je suppose? dit-il avec un affreux sourire à son associé.

      – Uriah Heep, dit M. Wickfield d'une voix forcée et monotone, est très-actif en affaires, Trotwood. Ce qu'il dit, je l'approuve pleinement. Vous savez que je vous porte intérêt de longue date; mais, indépendamment de cela, ce qu'il dit, je l'approuve pleinement.

      – Oh! quelle récompense! dit Uriah en relevant l'une de ses jambes, au risque de s'attirer une nouvelle incartade de la part de ma tante, que je suis heureux de cette confiance absolue! Mais j'espère, il est vrai, que je réussis un peu à le soulager du poids des affaires, monsieur Copperfield.

      – Uriah Heep est un grand soulagement pour moi, dit M. Wickfield de la même voix sourde et triste; c'est un grand poids de moins pour moi, Trotwood, que de l'avoir pour associé.»

      Je savais que c'était ce vilain renard rouge qui lui faisait dire tout cela, pour justifier ce qu'il m'avait dit lui-même, le soir où il avait empoisonné mon repos. Je vis le même sourire faux et sinistre errer sur ses traits, pendant qu'il me regardait avec attention.

      «Vous ne nous quittez pas, papa? dit Agnès d'un ton suppliant. Ne voulez-vous pas revenir à pied avec Trotwood et moi?»

      Je crois qu'il aurait regardé Uriah avant de répondre, si ce digne personnage ne l'avait pas prévenu.

      «J'ai un rendez-vous d'affaires, dit Uriah, sans quoi j'aurais été heureux de rester avec mes amis. Mais je laisse mon associé pour représenter la maison. Miss Agnès, votre très-humble serviteur! Je vous souhaite le bonsoir, monsieur Copperfield, et je présente mes humbles respects à miss Betsy Trotwood.»

      Il nous quitta là-dessus, en nous envoyant des baisers de sa grande main de squelette, avec un sourire de satyre.

      Nous restâmes encore une heure ou deux à causer du bon vieux temps et de Canterbury. M. Wickfield, laissé seul avec Agnès, reprit bientôt quelque gaieté, quoique toujours en proie à un abattement dont il ne pouvait s'affranchir. Il finit pourtant par s'animer et prit plaisir à nous entendre rappeler les petits événements de notre vie passée, dont il se souvenait très-bien. Il