Артур Конан Дойл

La grande ombre


Скачать книгу

aux environs de l'auberge un bout de fille en jupe courte arrivant à peine aux genoux.

      Et comme je m'avançais obliquement, le cou tendu, je me sentis toucher le coude, et me trouvai en face d'une dame vêtue de noirs debout sur les marches, et j'appris que c'était ma cousine Edie.

      Je le savais, dis-je, et pourtant si elle ne m'avait pas touché, j'aurais pu passer vingt fois près d'elle sans la reconnaître.

      Ma parole, si Jim Horscroft m'avait alors demandé si elle était jolie ou non, je n'aurais su que lui répondre.

      Elle était brune, bien plus brune que ne le sont ordinairement nos jeunes filles du border, et pourtant à travers ce teint charmant, s'entrevoyait une nuance de carmin pareille à la teinte plus chaude qu'on remarque au centre d'une rose soufre.

      Ses lèvres étaient rouges, exprimant la douceur, et la fermeté, mais dès ce moment même, je vis au premier coup d'oeil flotter au fond de ses grands yeux une expression de malice narquoise.

      Elle s'empara de moi séance tenante, comme si j'avais fait partie de son héritage. Elle allongea la main et me cueillit.

      Elle était en toilette de deuil, comme je l'ai dit, et dans un costume qui me fit l'effet d'une mode extraordinaire, et elle portait un voile noir qu'elle avait écarté de devant sa figure.

      – Ah! Jock, me dit-elle en mettant dans son anglais un accent maniéré qu'elle avait appris à la pension. Non, non, nous sommes un peu trop grands pour cela?..

      Cela, c'était parce que, avec ma sotte gaucherie, j'avançais ma figure brune pour l'embrasser, comme je l'avais fait la dernière fois que nous nous étions vus…

      – Soyez bon garçon et donnez un shilling au conducteur, qui a été extrêmement complaisant pour moi pendant le trajet.

      Je rougis jusqu'aux oreilles, car je n'avais en poche qu'une pièce d'argent de quatre pence.

      Jamais le manque d'argent ne me parut plus pénible qu'à ce moment- là.

      Mais elle me devina d'un simple regard, et aussitôt une petite bourse en moleskine à fermoir d'argent me fut glissée dans la main.

      Je payai l'homme et allais rendre la bourse à Edie, mais elle me força de la garder.

      – Vous serez mon intendant, Jock, dit-elle en riant. C'est là votre voiture, elle à l'air bien drôle. Mais où vais je m'asseoir?

      – Sur le sac, dis-je.

      – Et comment faire pour monter?

      – Mettez le pied sur le moyeu, dis-je, je vous aiderai.

      Je me hissai d'un saut, et je pris deux petites mains gantées dans les miennes.

      Comme elle passait par-dessus le côté de la carriole, son haleine passa sur sa figure, une haleine douce et chaude, et aussitôt s'effacèrent par lambeaux ces langueurs vagues et inquiètes de mon âme.

      Il me sembla que cet instant m'enlevait à moi-même et faisait de moi un des membres de la race des hommes.

      Il ne fallut pour cela que le temps qu'il faut à un cheval pour agiter sa queue, et pourtant un événement s'était produit.

      Une barrière avait surgi quelque part.

      J'entrai dans une vie plus large et plus intelligente.

      J'éprouvai tout cela sous une brusque averse, et pourtant dans ma timidité, dans ma réserve, je ne sus faire autre chose que d'égaliser le rembourrage du sac.

      Elle suivait des yeux la diligence qui reprenait à grand bruit la direction de Berwick.

      Tout à coup elle se mit à faire voltiger en l'air son mouchoir.

      – Il a ôté son chapeau, dit-elle, je crois qu'il a dû être officier. Il avait l'air très distingué. Peut-être l'avez-vous remarqué, un gentleman sur l'impériale, très beau, avec un pardessus brun.

      Je secouai la tête, et toute la joie qui m'avait envahi fit place à une sotte mauvaise humeur.

      – Ah! mais je ne le reverrai jamais. Voici toutes les collines vertes, et la route brune et tortueuse; elles sont bien restées les mêmes qu'autrefois. Vous aussi, Jock, je trouve que vous n'avez pas beaucoup changé. J'espère que vos manières sont meilleures que jadis; vous ne chercherez pas à me mettre des grenouilles dans le cou, n'est-ce pas?

      Rien qu'à cette idée, je sentis un frisson dans tout le corps.

      – Nous ferons tout notre possible pour vous rendre heureuse à West Inch, dis-je en jouant avec le fouet.

      – Assurément, c'est bien de la bonté de votre part que d'accueillir une pauvre fille isolée, dit-elle.

      – C'est bien de la bonté de votre part que de venir, cousine Edie, balbutiai-je. Vous trouverez la vie bien monotone, je le crains, dis-je.

      – Elle sera assez calme en effet, Jock, n'est-ce pas? Il n'y a pas beaucoup d'hommes par là-bas, autant qu'il men souvient.

      – Il y a le Major Elliott, à Corriemuir. Il vient passer la soirée de temps à autre. C'est un brave vieux soldat, qui a reçu une balle dans le genou, pendant qu'il servait sous Wellington.

      – Ah! quand je parle d'hommes, je ne veux pas parler des vieilles gens qui ont une balle dans le genou, je parle de gens de notre âge, dont on peut se faire des amis. À propos, ce vieux docteur si aigre, il avait un fils, n'est ce pas?

      – Oh! oui, c'est Jim Horscroft, mon meilleur ami.

      – Est-il chez lui?

      – Non, il reviendra bientôt. Il fait encore ses études à Édimbourg.

      – Alors nous nous tiendrons mutuellement compagnie jusqu'à son retour, Jock. Ah! je suis bien lasse, et je voudrais être arrivée à West Inch.

      Je fis arpenter la route à la vieille Souter Johnnie, d'une allure à laquelle elle n'a jamais marché ni avant, ni depuis.

      Une heure après, Edie était assise devant la table à souper.

      Ma mère avait servi non seulement du beurre, mais encore de la gelée de groseilles qui, dans son assiette de verre, scintillait à la lumière de la chandelle et faisait fort bon effet.

      Je n'eus pas de peine à m'apercevoir que mes parents étaient tout aussi surpris que moi, du changement qui s'était opéré en elle, mais qu'ils l'étaient d'une autre façon que moi.

      Ma mère était si impressionnée par l'objet en plumes qu'elle lui vit autour du cou, qu'elle l'appelait Miss Calder au lieu de Edie, et ma cousine, de son air joli et léger, la menaçait du doigt toutes les fois qu'elle se servait de ce nom.

      Après le souper, quand elle fut allée se coucher, ils ne purent parler d'autre chose que de son air et de son éducation.

      – Tout de même, pour le dire en passant, fit mon père, elle n'a pas l'air d'avoir le coeur brisé par la mort de mon frère.

      Alors, pour la première fois, je me souvins qu'elle n'avait pas dit un mot à ce sujet, depuis que nous nous étions revus.

      III – L'OMBRE SUR LES EAUX

      Il ne fallut pas longtemps à la cousine Edie pour régner souverainement à West Inch et pour faire de nous tous, y compris mon père, ses sujets.

      Elle avait de l'argent, et tant qu'elle voulait, bien qu'aucun de nous ne sût combien.

      Lorsque ma mère lui dit que quatre shillings par semaine paieraient toutes ses dépenses, elle porta spontanément la somme à sept shillings six pence.

      La chambre du sud, la plus ensoleillée, et dont la fenêtre était encadrée de chèvrefeuille, lui fut assignée, et c'était merveille de voir les bibelots qu'elle avait apportés de Berwick pour les y ranger.

      Elle faisait le voyage deux fois par semaine, et comme la carriole ne lui plaisait pas, elle loua le gig d'Angus Whitehead, qui avait la ferme de l'autre côté de la côte.

      Et il était rare qu'elle revînt sans apporter quelque