Жорж Санд

Les beaux messieurs de Bois-Doré


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tendait la main au vieux marquis. Eh bien, qu'est-ce que cela fait, puisque vous confessez avoir besoin d'un peu de contradiction pour digérer.

      – Non, mordi! répondit M. de Beuvre, si c'était avec lui, je ne m'en confesserais pas, je n'aurais fait qu'un péché d'habitude; mais je me suis laissé aller à l'humeur contredisante avec M. de Villareal, et cela est contre toute hospitalité et toute bienséance. Faites notre paix, ma chère fille, et dites-lui, vous qui me connaissez, que je suis un vieux huguenot têtu et batailleur, mais franc comme l'or et tout à son service quand même.

      M. de Beuvre se vantait. Il n'était pas un huguenot bien féroce, et les idées religieuses couraient fort embrouillées dans sa cervelle. Mais il avait des haines et des rancunes politiques assez vives, et il ne pouvait entendre parler de certains adversaires sans donner carrière à sa brusque franchise.

      Or, M. d'Alvimar l'avait blessé en prenant la défense de l'ex-gouverneur du Berry, M. le duc de la Châtre, sur le compte duquel le hasard de la conversation les avait mis.

      Lauriane, informée du sujet de la discussion, prononça doucement son verdict.

      – Je vous absous tous deux, dit-elle: vous, monsieur mon père, pour avoir pensé qu'en aucune chose de ce monde, sauf la bravoure et l'esprit, l'exemple de feu M. de la Châtre n'était bon à suivre; – vous, monsieur de Villareal, pour avoir plaidé la cause d'un homme qui n'est plus là pour se défendre.

      – Bien jugé! s'écria Bois-Doré, et parlons d'autre chose.

      – Oui, certes, ne parlons plus de ce tyran! riposta le vieux gentilhomme, ne parlons plus de ce fanatique!

      – Il vous plaît de le traiter de fanatique, reprit d'Alvimar, qui ne savait pas céder; quant à moi, qui l'ai beaucoup connu à la cour, si j'eusse osé lui adresser un reproche, c'eût été celui de ne pas aimer assez la vraie religion et de n'y voir qu'un moyen de dompter la révolte.

      – C'est vrai, c'est vrai, dit Bois-Doré, qui détestait la discussion et qui ne demandait qu'à en finir, tandis que M. de Beuvre, s'agitant sur sa chaise, faisait bien voir qu'il n'en avait pas fini.

      – Après tout, reprit d'Alvimar espérant conclure, n'a-t-il pas fidèlement et ardemment servi le roi Henri, à la mémoire duquel vous me semblez ici tout dévoués?

      – Et avec raison, monsieur! s'écria M. de Beuvre, avec raison, mordi! Où trouverez-vous un roi plus sage et plus humain? Mais combien de temps votre enragé ligueur de La Châtre ne l'a-t-il pas combattu? combien de fois ne l'a-t-il pas trahi? et combien d'écus a-t-il fallu lui donner pour qu'il se tînt tranquille? Vous êtes un jeune homme, vous, et un homme du monde; vous n'avez vu que le courtisan et le beau parleur; mais nous autres, vieux provinciaux, nous les connaissons, nos tyranneaux de province! Je voudrais bien que M. de Bois-Doré vous racontât de quelle manière ce grand guerrier fit par mensonge et trahison, la glorieuse conquête de Sancerre!

      – Merci de moi! dit Bois-Doré avec un peu d'humeur; comment voulez-vous que je me rappelle pareille chose?

      – Et pourquoi donc ne vous plairait-il pas vous en souvenir? reprit de Beuvre sans faire attention au dépit du marquis; vous n'étiez pas à la mamelle, je pense?

      – J'étais du moins si jeune, que je ne me souviens de rien, dit Bois-Doré.

      – Eh bien, moi, je me souviens! s'écria de Beuvre, impatienté de cette défection de son ami. Or, j'avais dix ans de moins que vous, mon voisin, et je n'y étais pas; j'étais page du vaillant Condé, l'aïeul de celui-ci, et un autre homme, je vous jure.

      – Voyons, dit Lauriane, qui hasarda une grande malice pour apaiser son père et détourner la querelle de son objet principal: il faut que notre marquis se confesse d'avoir été au siège de Sancerre et de s'y être vaillamment comporté, car tout le monde le sait, et c'est par modestie qu'il ne veut pas s'en souvenir.

      – Vous savez bien que je n'y étais pas, reprit Bois-Doré, puisque j'étais ici avec vous.

      – Oh! je ne parle pas du dernier siége, celui qui n'a duré que vingt-quatre heures, au mois de mai passé, et qui n'a été que le coup de grâce; je parle du grand, du fameux siége de l'an 1572.

      Bois-Doré avait horreur des dates. Il toussa, s'agita, releva le feu, qui n'était pas tombé; mais Lauriane était résolue à l'immoler sous les fleurs de la louange.

      – Je sais bien, dit-elle, que vous étiez fort jeune, mais vous vous battiez déjà comme un lion.

      – Il est vrai que mes amis firent merveille, répondit Bois-Doré, et que l'affaire fut très-chaude; mais je n'y frappai pas bien fort, malgré mon bon vouloir, à l'âge que j'avais…

      – Mordi! vous y fîtes vous-même deux prisonniers! s'écria de Beuvre en frappant du pied. Tenez, j'enrage ma vie quand je vois un homme de guerre et de cœur comme vous renier ses bonnes prouesses plus tôt que d'avouer son âge!

      Bois-Doré fut vivement blessé, et sa figure s'attrista; c'était sa seule manière de témoigner son déplaisir à ses amis.

      Lauriane vit qu'elle avait été trop loin; car elle aimait sincèrement son vieux voisin, et, quand il ne riait plus de ses taquineries, elle n'avait plus envie de rire.

      – Non, monsieur, dit-elle à son père, permettez à votre fille de vous dire que vous plaisantez. Le marquis était loin d'avoir vingt ans, et son action fut d'autant plus belle.

      – Comment! il n'avait pas vingt ans? s'écria encore de Beuvre; serais-je, tout d'un coup, devenu le plus vieux?

      – On n'a jamais que l'âge que l'on montre, reprit Lauriane, et il ne faut que regarder le marquis…

      Elle s'arrêta, n'ayant pas le courage de mentir si résolûment pour le consoler; mais l'intention suffit, car Bois-Doré se contentait de peu.

      Il la remercia d'un regard, son front s'éclaircit; de Beuvre se mit à rire, d'Alvimar admira la gentillesse de Lauriane, et l'orage fut détourné.

      VIII

      On causa sans dépit quelques instants encore.

      M. de Beuvre invita d'Alvimar à ne pas s'effaroucher de ses boutades et à revenir le surlendemain avec Bois-Doré, qui avait coutume de dîner tous les dimanches à la Motte; puis on vint annoncer que la carroche de M. le marquis était prête. (Chacun sait qu'avant Louis XIV, lequel, en personne, en ordonna autrement, carrosse était souvent des deux genres, et le plus souvent féminin, d'après l'italien carrozza.)

      Or, la carrosse ou carroche de M. de Bois-Doré était un vaste et lourd berlingot que traînaient courageusement quatre forts et beaux chevaux percherons, un peu trop gras; car tout était bien nourri, bêtes et gens, au logis du bon M. Sylvain.

      Ce respectable véhicule, destiné à affronter les routes carrossables et non carrossables, était d'une solidité à toute épreuve, et, si la souplesse de son allure laissait quelque chose à désirer, on était du moins assuré de ne s'y pas trop briser les os, même en cas du chute, à cause de l'énorme rembourrage de l'intérieur.

      Il y avait six pouces d'épaisseur de laine et d'étoupe sous la doublure de damas, en sorte qu'on y avait, sinon toutes ses aises, du moins une sorte de sécurité.

      C'était, du reste, un beau chariot, tout couvert de cuir, garni de clous dorés qui formaient des bordures d'ornement autour des panneaux. Il y avait, pour descendre et monter, une petite échelle que l'on retirait et plaçait dedans quand on était en route.

      Aux quatre coins de cette citadelle roulante, on remarquait un arsenal composé de pistolets et d'épées, sans oublier la poudre et les balles, si bien qu'au besoin on y pouvait soutenir un siége.

      Deux valets à cheval, portant des torches, ouvraient la marche; deux autres porte-flambeaux marchaient derrière la voiture avec le domestique de d'Alvimar, tenant son cheval en laisse.

      Le jeune page du marquis monta sur la banquette à côté du cocher.

      Tout cela passa à grand bruit sous la herse de la Motte-Seuilly, et le pont-levis, en se