Stendhal

La vie de Rossini, tome I


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vieillard, fou d'amour, Io venia per sposarti. J'abandonne ces idées sur la différence de l'amour dans les divers climats, qui nous mèneraient à une métaphysique infinie. Les âmes faites pour comprendre ces sortes de pensées, qui sont presque des sentiments, m'entendront de reste, sur le peu que j'en ai dit; quant aux autres, et c'est l'immense majorité, elles n'y verront jamais que de la métaphysique ennuyeuse; tout au plus, si la mode en venait, elles daigneraient apprendre par cœur une vingtaine de phrases sonores sur cet objet, mais je ne me sens pas d'humeur à faire des phrases pour ces sortes de gens.

      Revenons à Mozart et à ses chants pleins de violence, comme disent les Italiens. Il a paru sur l'horizon avec Rossini, vers l'an 1812; mais j'ai grand'peur qu'on ne parle encore de lui quand l'astre de Rossini aura pâli. C'est qu'il a été inventeur de tous points et dans tous les sens; il ne ressemble à personne, et Rossini ressemble encore un peu à Cimarosa, à Guglielmi, à Haydn.

      La science de l'Harmonie peut faire tous les progrès qu'on voudra supposer, on verra toujours avec étonnement que Mozart est allé au bout de toutes les routes. Ainsi, quant à la partie mécanique de son art, il ne sera jamais vaincu. C'est comme un peintre qui entreprendrait de faire mieux que le Titien, pour la vérité et la force des couleurs; ou mieux que Racine, pour la beauté des vers, la délicatesse et la convenance des sentiments.

      Quant à la partie morale, Mozart est toujours sûr d'emporter avec lui, dans le tourbillon de son génie, les âmes tendres et rêveuses, et de les forcer à s'occuper d'images touchantes et tristes. Quelquefois la force de sa musique est telle, que l'image présentée restant fort indistincte, l'âme se sent tout à coup envahie et comme inondée de mélancolie. Rossini amuse toujours, Mozart n'amuse jamais; c'est comme une maîtresse sérieuse et souvent triste, mais qu'on aime davantage, précisément à cause de sa tristesse; ces femmes-là, ou manquent tout à fait de faire effet, et passent sous le nom de prudes, ou, si elles touchent une fois, font une impression profonde et s'emparent de l'âme tout entière et pour toujours. Mozart est à la mode dans la haute société, qui, quoique nécessairement sans passions, prétend toujours faire croire qu'elle a des passions, et qu'elle est éprise des grandes passions. Tant que cette mode durera, l'on ne pourra pas juger avec sûreté du véritable effet de sa musique sur le cœur humain.

      En Italie, il y a certains amateurs qui, quoique en petit nombre, parviennent, à la longue, à faire l'opinion dans les beaux-arts. Leur succès vient: 1º de ce qu'ils sont de bonne foi; 2º de ce que peu à peu leur voix se fait entendre de tous les esprits faits pour avoir une opinion, et qui n'ont besoin que de l'entendre énoncer; 3º enfin, de ce que, pendant que tout change autour d'eux, suivant les caprices de la mode, eux n'élèvent jamais la voix, mais, quand ils sont interrogés, répètent toujours et avec modestie le même sentiment.

      Ces gens-là ont été amusés par Rossini, ils ont applaudi avec transport la Pietra del Paragone et l'Italiana in Algeri; ils ont été touchés du quartetto de Bianca e Faliero; ils disent que Rossini a porté la vie dans l'opéra seria; mais, au fond, ils le regardent comme un brillant hérésiarque, comme un Pierre de Cortone (peintre du plus grand effet, qui éblouit l'Italie pendant un temps, et fit presque tomber Raphaël, qui semblait froid; Raphaël avait justement plusieurs des qualités tendres et des perfections modestes qui caractérisent Mozart. Rien ne fait moins de fracas en peinture que l'air modeste et la céleste pureté d'une vierge du peintre d'Urbin; ses yeux divins sont abaissés sur son fils: si ce cadre ne s'appelait pas Raphaël, le vulgaire passerait sans daigner s'arrêter devant une chose si simple, et qui, pour les âmes communes, est une chose si commune).

      Il en est de même du duetto:

      Là ci darem la mano

      Là mi dirai di si.

      Si cela ne s'appelait pas Mozart, cette mesure lente paraîtrait le comble de l'ennui à la plupart de nos dandys.

      Ils sont au contraire réveillés et électrisés par l'air Sono docile de Rosine dans le Barbier de Séville. Qu'importe que cet air soit un contre-sens? est-ce qu'ils voient les contre-sens?

      La durée de la réputation de Mozart a un bonheur, c'est que sa musique et celle de Rossini ne s'adressent presque pas aux mêmes personnes; Mozart peut presque dire à son brillant rival ce que la tante dit à la nièce, dans la comédie des Femmes de Dumoustier:

      Va,

      Tu ne plairas jamais à qui j'aurai su plaire.

      Ces gens de goût d'Italie, dont je parlais naguère, disent que si Rossini ne brille pas par la verve comique et la richesse d'idées au même degré que Cimarosa, il l'emporte sur le Napolitain par la vivacité et la rapidité de son style. On le voit sans cesse syncoper les phrases que Cimarosa prend toujours le soin de développer jusque dans leurs dernières conséquences. Si Rossini n'a jamais fait un air aussi comique que

      Amicone del mio core,

      Cimarosa n'a jamais fait de duetto aussi rapide que celui d'Almaviva avec Figaro,

      Oggi arriva un reggimento

      È mio amico il colonello,

      (1er acte du Barbier).

      ou un duetto aussi léger que celui de Rosine avec Figaro (1er acte). Mozart n'a rien de tout cela, ni légèreté, ni comique; il est le contraire, non-seulement de Rossini, mais presque de Cimarosa. Jamais il ne lui serait venu de ne pas mettre de mélancolie dans l'air

      Quelle pupille tenere,

      des Horaces.

      Il ne comprenait pas qu'on pût ne pas trembler en aimant.

      Plus on se laisse ravir, plus on se nourrit de la musique de Rossini et de Cimarosa, plus on se cultive pour la musique de Mozart; plus on sera saturé des mesures vives et des petites notes de Rossini, plus on reviendra avec plaisir aux grosses notes et aux mesures lentes de l'auteur de Così fan tutte.

      Mozart n'a, je crois, été gai que deux fois en sa vie; c'est dans Don Juan, lorsque Leporello engage à souper la statue du commandeur, et dans Così fan tutte; c'est justement aussi souvent que Rossini a été mélancolique. Il n'y a rien de sombre dans la Gazza ladra, où un jeune militaire voit condamner à mort sous ses yeux, et mener au supplice, une maîtresse adorée. Il n'y a de mélancolique dans Otello que le duetto des deux femmes, la prière et la romance. Je citerai ensuite le quartetto de Bianca e Faliero, le duetto d'Armide, et même le superbe trait instrumental au moment où Renaud, agité de mille passions, s'éloigne pour se rapprocher ensuite: ce duetto sublime est précisément de l'amour italien, et ce n'est pas de la mélancolie qu'il exprime. C'est de la passion sombre et forte ou bien délirante.

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      1

      Paul Arbelet: Stendhal et le petit Ange. Les Amis d'Édouard, nº 99.

      2

      Préface