être violente; il s'imagine qu'il est déshonoré par un homme qui a toujours professé d'être son ami; sa vengeance doit donc, par cette raison, en être plus cruelle. La crainte m'environne de ses ombres; qu'une prompte fuite soit mon salut et sauve la gracieuse reine, le sujet des pensées de Léontes, mais qui est sans raison l'objet de ses injustes soupçons. Viens, Camillo; je te respecterai comme mon père, si tu parviens à sauver ma vie de ces lieux. Fuyons.
CAMILLO. – J'ai l'autorité de demander les clefs de toutes les poternes: que Votre Majesté profite des moments: le temps presse; allons, seigneur, partons. (Ils sortent.)
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
HERMIONE. – Prenez-moi cet enfant avec vous; il me fatigue au point que je n'y peux plus tenir.
PREMIÈRE DAME. – Allons, venez, mon gracieux seigneur. Sera-ce moi qui serai votre camarade de jeu?
MAMILIUS. – Non, je ne veux point de vous.
PREMIÈRE DAME. – Pourquoi cela, mon cher petit prince?
MAMILIUS. – Vous m'embrassez trop fort, et puis vous me parlez comme si j'étais un petit enfant. (A la seconde dame.) Je vous aime mieux, vous.
SECONDE DAME. – Et pourquoi cela, mon prince?
MAMILIUS. – Ce n'est pas parce que vos sourcils sont plus noirs; cependant des sourcils noirs, à ce qu'on dit, siéent le mieux à certaines femmes, pourvu qu'ils ne soient pas trop épais, mais qu'ils fassent un demi-cercle ou un croissant tracé avec une plume.
SECONDE DAME. – Qui vous a appris cela?
MAMILIUS. – Je l'ai appris sur le visage des femmes. – Dites-moi, je vous prie, de quelle couleur sont vos sourcils?
PREMIÈRE DAME. – Bleus, seigneur.
MAMILIUS. – Oh! c'est une plaisanterie que vous faites: j'ai bien vu le nez d'une femme qui était bleu, mais non pas ses sourcils.
SECONDE DAME. – Écoutez-moi. La reine votre mère va fort s'arrondissant: nous offrirons un de ces jours nos services à un beau prince nouveau-né; vous seriez bien content alors de jouer avec nous, si nous voulions de vous.
PREMIÈRE DAME. – Il est vrai qu'elle prend depuis peu une assez belle rondeur: puisse-t-elle rencontrer une heure favorable!
HERMIONE. – De quels sages propos est-il question entre vous? Venez, mon ami; je veux bien de vous à présent; je vous prie, venez vous asseoir auprès de nous, et dites-nous un conte.
MAMILIUS. – Faut-il qu'il soit triste ou gai?
HERMIONE. – Aussi gai que vous voudrez.
MAMILIUS. – Un conte triste va mieux en hiver; j'en sais un d'esprits et de lutins.
HERMIONE. – Contez-nous celui-là, mon fils: allons, venez vous asseoir. – Allons, commencez et faites de votre mieux pour m'effrayer avec vos esprits; vous êtes fort là-dessus.
MAMILIUS. – Il y avait une fois un homme…
HERMIONE. – Asseyez-vous donc là… Allons, continuez.
MAMILIUS. – Qui demeurait près du cimetière. – Je veux le conter tout bas: les grillons qui sont ici ne l'entendront pas.
HERMIONE. – Approchez-vous donc, et contez-le-moi à l'oreille.
LÉONTES. – Vous l'avez rencontré là? et sa suite? et Camillo avec lui?
UN DES COURTISANS. – Derrière le bosquet de sapins: c'est là que je les ai trouvés; jamais je n'ai vu hommes courir si vite. Je les ai suivis des yeux jusqu'à leurs vaisseaux.
LÉONTES. – Combien je suis heureux dans mes conjectures et juste dans mes soupçons! – Hélas! plût au ciel que j'eusse moins de pénétration! Que je suis à plaindre de posséder ce don! – Il peut se trouver une araignée noyée au fond d'une coupe, un homme peut boire la coupe, partir et n'avoir pris aucun venin, car son imagination n'en est point infectée; mais si l'on offre à ses yeux l'insecte abhorré, et si on lui fait connaître ce qu'il a bu, il s'agite alors, il tourmente et son gosier et ses flancs de secousses et d'efforts. – Moi j'ai bu et j'ai vu l'araignée. – Camillo le secondait dans cette affaire; c'est lui qui est son entremetteur. – Il y a un complot tramé contre ma vie et ma couronne. – Tout ce que soupçonnait ma défiance est vrai. – Ce perfide scélérat que j'employais était engagé d'avance par l'autre: il lui a découvert mon dessein; et moi, je reste un simple mannequin dont ils s'amusent à leur gré. – Comment les poternes se sont-elles si facilement ouvertes?
LE COURTISAN. – Par la force de sa grande autorité, qui s'est fait obéir ainsi plus d'une fois d'après vos ordres.
LÉONTES. – Je ne le sais que trop. – Donnez-moi cet enfant. (A Hermione.) Je suis bien aise que vous ne l'ayez pas nourri; quoiqu'il ait quelques traits de moi, cependant il y a en lui trop de votre sang.
HERMIONE. – Que voulez-vous dire? Est-ce un badinage?
LÉONTES. – Qu'on emmène l'enfant d'ici: je ne veux pas qu'il approche d'elle; emmenez-le. – Et qu'elle s'amuse avec celui dont elle est enceinte; car c'est Polixène qui vous a ainsi arrondie.
HERMIONE. – Je dirais seulement que ce n'est pas lui, que je serais bien sûre d'être crue de vous sur ma parole, quand vous affecteriez de prétendre le contraire.
LÉONTES. – Vous, mes seigneurs, considérez-la, observez-la bien; dites si vous voulez: C'est une belle dame, mais la justice qui est dans vos coeurs vous fera ajouter aussitôt: C'est bien dommage qu'elle ne soit pas honnête ni vertueuse! Ne louez en elle que la beauté de ses formes extérieures, qui, sur ma parole, méritent de grands éloges; mais ajoutez de suite un haussement d'épaules, un murmure entre vos dents, une exclamation, et toutes ces petites flétrissures que la calomnie emploie; oh! je me trompe, c'est la pitié qui s'exprime ainsi, car la calomnie flétrit la vertu même. – Que ces haussements d'épaules, ces murmures, ces exclamations surviennent et se placent immédiatement après que vous aurez dit: Qu'elle est belle! et avant que vous puissiez ajouter: Qu'elle est honnête! Qu'on apprenne seulement ceci de moi, qui ai le plus sujet de gémir que cela soit: c'est une adultère.
HERMIONE. – Si un scélérat parlait ainsi, le scélérat le plus accompli du monde entier, il en serait plus scélérat encore: vous, seigneur, vous ne faites que vous tromper.
LÉONTES. – Vous vous êtes trompée, madame, en prenant Polixène pour Léontes. O toi, créature… je ne veux pas t'appeler du nom qui te convient, de crainte que la grossièreté barbare, s'autorisant de mon exemple, ne se permette un pareil langage, sans égard pour le rang, et n'oublie la distinction que la politesse doit mettre entre le prince et le mendiant. – J'ai dit qu'elle est adultère, j'ai dit avec qui: elle est plus encore, elle est traître à son roi, et Camillo est son complice, un homme qui sait ce qu'elle devrait rougir de savoir, quand le secret en serait réservé à elle seule et à son vil amant. Camillo sait qu'elle est une profanatrice du lit nuptial, et aussi corrompue que ces femmes à qui le vulgaire prodigue des noms énergiques; oui, de plus elle est complice de leur récente évasion.
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