Уильям Шекспир

Cymbeline


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De grâce, dites-le-moi.

      IACHIMO. – Bonne, madame.

      IMOGÈNE. – Est-il disposé à la gaieté? J'espère qu'il l'est.

      IACHIMO. – Excessivement gai: Rome n'a point d'étranger aussi jovial, aussi folâtre: on l'appelle le joyeux Anglais.

      IMOGÈNE. – Lorsqu'il était ici, il était enclin à la mélancolie, et souvent sans savoir pourquoi.

      IACHIMO. – Jamais je ne l'ai vu triste. Il y a un Français, son compagnon, un monsieur d'un rang éminent, qui aime fort à ce qu'il paraît une jeune Française restée dans son pays; il pousse de profonds soupirs, comme la flamme d'une fournaise; pendant que le joyeux Anglais (votre époux, veux-je dire) rit aux éclats et s'écrie: «Comment mes côtes y résisteront-elles, lorsqu'on songe que l'homme, qui sait par l'histoire, par tous les récits, par sa propre expérience, ce qu'est la femme et ce qu'il lui est impossible de ne pas être, va languir en livrant ses heures de liberté à un esclavage volontaire!»

      IMOGÈNE. – Est-ce que mon époux dit cela?

      IACHIMO. – Oui, madame, en riant jusqu'aux larmes. C'est un amusement que de se trouver là, et de le voir se moquer du Français. Mais le ciel sait qu'il est des hommes qui sont bien blâmables.

      IMOGÈNE. – Ce n'est pas lui, j'espère?

      IACHIMO. – Lui? Non. Cependant il devrait recevoir avec plus de reconnaissance les bontés du ciel envers lui: il y a en lui et en vous, – que je regarde comme son bien au-dessus de toutes les richesses; – oui, il y a pour moi des motifs d'admirer et en même temps de plaindre.

      IMOGÈNE. – Et qui plaignez-vous, seigneur?

      IACHIMO. – Deux créatures du fond du coeur.

      IMOGÈNE. – Suis-je une des deux, seigneur? Vous me regardez; quel ravage discernez-vous en moi qui mérite votre pitié?

      IACHIMO. – C'est lamentable! Quoi? Fuir le soleil radieux et se plaire dans un cachot auprès d'une chandelle!

      IMOGÈNE. – Je vous prie, seigneur, énoncez plus clairement vos réponses à mes questions? Pourquoi me plaignez-vous?

      IACHIMO. – Parce que d'autres, j'allais le dire, jouissent de votre…; mais c'est l'office des dieux d'en tirer vengeance, et ce n'est pas le mien de parler.

      IMOGÈNE. – Vous paraissez savoir quelque chose qui me concerne ou qui m'intéresse. Je vous prie, parlez: puisque soupçonner que les choses vont mal fait souvent plus souffrir que la certitude qu'il en est ainsi; les faits certains sont au-dessus des remèdes, ou bien connus à temps on peut y appliquer le remède. Ah! découvrez-moi ce secret qui vous pousse à parler et que vous retenez.

      IACHIMO. – Si j'avais cette joue pour y reposer mes lèvres; cette main dont le toucher, le seul toucher devrait forcer un homme au serment de fidélité; si je possédais cet objet qui captive les regards errants de mes yeux et les tient attachés sur lui seul; irais-je souiller ma bouche, comme un réprouvé, sur des lèvres aussi publiques que les degrés qui conduisent au Capitole; presserais-je de mes mains des mains flétries par le travail, et plus encore par des parjures journaliers; si j'allais fixer mes regards sur des yeux, sur des yeux abjects et ternes comme la lueur opaque de ces flambeaux que nourrit un suif fétide, ne serait-il pas bien juste que tous les fléaux de l'enfer punissent une fois une telle trahison?

      IMOGÈNE. – Mon seigneur, je le crains, a oublié la Bretagne.

      IACHIMO. – Et lui-même. Ce n'est pas mon penchant qui me porte à vous éclairer, à révéler la bassesse de son changement, ce sont vos grâces qui, du fond de ma conscience muette, attirent malgré moi sur mes lèvres cet aveu.

      IMOGÈNE. – Je ne veux pas en entendre davantage.

      IACHIMO. – O chère âme, votre sort touche mon coeur d'une pitié qui me fait mal. Une princesse aussi belle et née dans la puissance, qui doublerait la grandeur du plus grand roi, être ainsi associée avec de viles créatures louées avec l'argent même que fournissent vos coffres; avec d'infâmes aventurières, qui, pour de l'or, jouent avec tous les maux dont la corruption souille la nature; pestes contagieuses, qui pourraient empoisonner le poison; vengez-vous, ou celle qui vous porta n'était pas reine, et vous dégénérez de votre illustre origine.

      IMOGÈNE. – Me venger! et comment me venger? Si ce récit est vrai, car je porte un coeur qui doit craindre de se laisser trop vite abuser par mes deux oreilles; si ce récit est vrai, comment pourrais-je me venger?

      IACHIMO. – Quoi! vous ferait-il vivre comme une vestale de Diane entre des draps glacés, tandis qu'il se livre à de capricieuses prostituées, au mépris de votre personne, aux dépens de votre bourse? Vengez-vous. Je me consacre à votre bon plaisir. Amant plus noble que ce déserteur de votre lit, je resterai fidèle à votre tendresse, toujours discret et toujours constant.

      IMOGÈNE. – Holà! Pisanio!

      IACHIMO. – Souffrez que je jure sur vos lèvres mon dévouement.

      IMOGÈNE. – Va-t'en! – J'en veux à mes oreilles de t'avoir écouté si longtemps. Si tu avais de l'honneur, tu m'aurais fait ce récit par vertu, et non pour la fin que tu te proposes, aussi basse qu'étrange! Tu outrages un gentilhomme qui est aussi loin de ta calomnie que tu l'es de l'honneur, et tu tentes de séduire ici une femme qui te méprise comme le démon. Holà! Pisanio!.. Le roi mon père sera instruit de ton audace; s'il trouve bon qu'un étranger téméraire marchande à sa cour comme dans une mauvaise maison de Rome, et nous dévoile ses brutales pensées, il a une cour dont il ne se soucie guère, et une fille qu'il estime bien peu. Holà! Pisanio!

      IACHIMO. – O heureux Léonatus! je puis bien le dire, la confiance que ta dame a en toi mérite bien la tienne, et ta parfaite vertu mérite bien aussi sa tranquille confiance! Vivez longtemps heureuse, vous la dame du plus digne chevalier dont jamais se soit vanté un pays; vous, sa maîtresse digne seulement du plus noble coeur. Accordez-moi mon pardon; je n'ai parlé ainsi que pour éprouver si votre fidélité était bien enracinée; je vais rendre votre époux ce qu'il est déjà, l'homme le plus aimable et le plus fidèle; il possède la charmante sorcellerie de charmer toutes les sociétés; la moitié du coeur de tous les hommes est à lui.

      IMOGÈNE. – Vous réparez vos fautes.

      IACHIMO. – Il est assis au milieu des hommes comme un dieu descendu du ciel, il est paré d'une sorte d'honneur qui surpasse sa beauté mortelle; ne soyez pas offensée, auguste princesse, si j'ai osé éprouver quel accueil vous feriez à un faux rapport. Il n'a servi qu'à confirmer honorablement votre bon jugement dans le choix que vous avez fait d'un époux si rare, que vous saviez ne pouvoir faillir. C'est l'amitié que j'ai pour lui qui m'a porté à vous éprouver; mais les dieux vous ont formée différente de toutes les autres femmes, exempte de faiblesse; je vous prie, pardonnez-moi.

      IMOGÈNE. – Tout est réparé, seigneur. Disposez de mon pouvoir dans cette cour.

      IACHIMO. – Recevez mes humbles actions de grâces. – J'avais presque oublié de faire à Votre Altesse une petite prière, et qui pourtant est importante, car elle intéresse votre époux; plusieurs amis et moi avons part aussi à cette affaire.

      IMOGÈNE. – Je vous prie, de quoi s'agit-il?

      IACHIMO. – Une douzaine de nos Romains et votre époux (la meilleure plume de notre aile), nous avons tous contribué pour une somme destinée à acheter un présent pour l'empereur; agent des autres, j'en ai fait l'emplette en France. C'est de la vaisselle d'un rare dessin, et des bijoux d'une forme exquise et riche; leur valeur est considérable; étranger comme je suis, je serais désireux de les voir en lieu sûr; vous plairait-il de les prendre sous votre protection?

      IMOGÈNE. – Volontiers, et j'engage mon honneur à leur sûreté, puisque mon seigneur y est intéressé; je veux les garder dans ma chambre à coucher.

      IACHIMO. – Ils sont renfermés dans un coffre escorté par mes gens. Je prendrai la liberté de vous les envoyer, seulement pour cette nuit. Demain je dois me rembarquer.

      IMOGÈNE. – Oh! non, non.

      IACHIMO.