Gautier Théophile

Romans et contes


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étaient serrés les robes de velours et de moire, les cachemires, les mantelets, les dentelles, les pelisses de martre-zibeline, de renard bleu, les chapeaux aux milles formes, tout l’attirail de la jolie femme.

      En face se répétait le même motif, avec cette différence que les panneaux pleins étaient remplacés par des glaces jouant sur des charnières comme des feuilles de paravent, de façon à ce que l’on pût s’y voir de face, de profil, par derrière, et juger de l’effet d’un corsage ou d’une coiffure.

      Sur la troisième face régnait une longue toilette plaquée d’albâtre-onyx, où des robinets d’argent dégorgeaient l’eau chaude et froide dans d’immenses jattes du Japon enchâssées par des découpures circulaires du même métal; des flacons en cristal de Bohême, qui, aux feux des bougies, étincelaient comme des diamants et des rubis, contenaient les essences et les parfums.

      Les murailles et le plafond étaient capitonnés de satin vert d’eau, comme l’intérieur d’un écrin. Un épais tapis de Smyrne, aux teintes moelleusement assorties, ouatait le plancher.

      Au milieu de la chambre, sur un socle de velours vert, était posé un grand coffre de forme bizarre, en acier de Khorassan ciselé, niellé et ramagé d’arabesques d’une complication à faire trouver simples les ornements de la salle des Ambassadeurs à l’Alhambra. L’art oriental semblait avoir dit son dernier mot dans ce travail merveilleux, auquel les doigts de fée des Péris avaient dû prendre part. C’était dans ce coffre que la comtesse Prascovie Labinska enfermait ses parures, des joyaux dignes d’une reine, et qu’elle ne mettait que fort rarement, trouvant avec raison qu’ils ne valaient pas la place qu’ils couvraient. Elle était trop belle pour avoir besoin d’être riche: son instinct de femme le lui disait. Aussi ne leur faisait-elle voir les lumières que dans les occasions solennelles où le faste héréditaire de l’antique maison Labinski devait paraître avec toute sa splendeur. Jamais diamants ne furent moins occupés.

      Près de la fenêtre, dont les amples rideaux retombaient en plis puissants, devant une toilette à la duchesse, en face d’un miroir que lui penchaient deux anges sculptés par mademoiselle de Fauveau avec cette élégance longue et fluette qui caractérise son talent, illuminée de la lumière blanche de deux torchères à six bougies, se tenait assise la comtesse Prascovie Labinska, radieuse de fraîcheur et de beauté. Un bournous de Tunis d’une finesse idéale, rubané de raies bleues et blanches alternativement opaques et transparentes, l’enveloppait comme un nuage souple; la légère étoffe avait glissé sur le tissu satiné des épaules et laissait voir la naissance et les attaches d’un col qui eût fait paraître gris le col de neige du cygne. Dans l’interstice des plis bouillonnaient les dentelles d’un peignoir de batiste, parure nocturne que ne retenait aucune ceinture; les cheveux de la comtesse étaient défaits et s’allongeaient derrière elle en nappes opulentes comme le manteau d’une impératrice. – Certes, les torsades d’or fluide dont la Vénus Aphrodite exprimait des perles, agenouillée dans sa conque de nacre, lorsqu’elle sortit comme une fleur des mers de l’azur ionien, étaient moins blondes, moins épaisses, moins lourdes! Mêlez l’ambre du Titien et l’argent de Paul Véronèse avec le vernis d’or de Rembrandt; faites passer le soleil à travers la topaze, et vous n’obtiendrez pas encore le ton merveilleux de cette opulente chevelure, qui semblait envoyer la lumière au lieu de la recevoir, et qui eût mérité mieux que celle de Bérénice de flamboyer, constellation nouvelle, parmi les anciens astres! Deux femmes la divisaient, la polissaient, la crespelaient et l’arrangeaient en boucles soigneusement massées pour que le contact de l’oreiller ne la froissât pas.

      Pendant cette opération délicate, la comtesse faisait danser au bout de son pied une babouche de velours blanc brodée de canetille d’or, petite à rendre jalouses les khanouns et les odalisques du Padischa. Parfois, rejetant les plis soyeux du bournous, elle découvrait son bras blanc, et repoussait de la main quelques cheveux échappés, avec un mouvement d’une grâce mutine.

      Ainsi abandonnée dans sa pose nonchalante, elle rappelait ces sveltes figures de toilettes grecques qui ornent les vases antiques et dont aucun artiste n’a pu retrouver le pur et suave contour, la beauté jeune et légère; elle était mille fois plus séduisante encore que dans le jardin de la villa Salviati à Florence; et si Octave n’avait pas été déjà fou d’amour, il le serait infailliblement devenu; mais, par bonheur, on ne peut rien ajouter à l’infini.

      Octave-Labinski sentit à cet aspect, comme s’il eût vu le spectacle le plus terrible, ses genoux s’entre-choquer et se dérober sous lui. Sa bouche se sécha, et l’angoisse lui étreignit la gorge comme la main d’un Thugg; des flammes rouges tourbillonnèrent autour de ses yeux. Cette beauté le médusait.

      Il fit un effort de courage, se disant que ces manières effarées et stupides, convenables à un amant repoussé, seraient parfaitement ridicules de la part d’un mari, quelque épris qu’il pût être encore de sa femme, et il marcha assez résolûment vers la comtesse.

      «Ah! c’est vous, Olaf! comme vous rentrez tard ce soir!» dit la comtesse sans se retourner, car sa tête était maintenue par les longues nattes que tressaient ses femmes, et la dégageant des plis du bournous, elle lui tendit une de ses belles mains.

      Octave-Labinski saisit cette main plus douce et plus fraîche qu’une fleur, la porta à ses lèvres et y imprima un long, un ardent baiser, – toute son âme se concentrait sur cette petite place.

      Nous ne savons quelle délicatesse de sensitive, quel instinct de pudeur divine, quelle intuition irraisonnée du cœur avertit la comtesse: mais un nuage rose couvrit subitement sa figure, son col et ses bras, qui prirent cette teinte dont se colore sur les hautes montagnes la neige vierge surprise par le premier baiser du soleil. Elle tressaillit et dégagea lentement sa main, demi-fâchée, demi-honteuse; les lèvres d’Octave lui avaient produit comme une impression de fer rouge. Cependant elle se remit bientôt et sourit de son enfantillage.

      «Vous ne me répondez pas, cher Olaf; savez-vous qu’il y a plus de six heures que je ne vous ai vu; vous me négligez, dit-elle d’un ton de reproche; autrefois vous ne m’auriez pas abandonnée ainsi toute une longue soirée. Avez-vous pensé à moi seulement?

      – Toujours, répondit Octave-Labinski.

      – Oh! non, pas toujours; je sens quand vous pensez à moi, même de loin. Ce soir, par exemple, j’étais seule, assise à mon piano, jouant un morceau de Weber et berçant mon ennui de musique; votre âme a voltigé quelques minutes autour de moi dans le tourbillon sonore des notes; puis elle s’est envolée je ne sais où sur le dernier accord, et n’est pas revenue. Ne mentez pas, je suis sûre de ce que je dis.»

      Prascovie, en effet, ne se trompait pas; c’était le moment où chez le docteur Balthazar Cherbonneau le comte Olaf Labinski se penchait sur le verre d’eau magique, évoquant une image adorée de toute la force d’une pensée fixe. A dater de là, le comte, submergé dans l’océan sans fond du sommeil magnétique, n’avait plus eu ni idée, ni sentiment, ni volition.

      Les femmes, ayant achevé la toilette nocturne de la comtesse, se retirèrent; Octave-Labinski restait toujours debout, suivant Prascovie d’un regard enflammé. – Gênée et brûlée par ce regard, la comtesse s’enveloppa de son bournous comme la Polymnie de sa draperie. Sa tête seule apparaissait au-dessus des plis blancs et bleus, inquiète, mais charmante.

      Bien qu’aucune pénétration humaine n’eût pu deviner le mystérieux déplacement d’âmes opéré par le docteur Cherbonneau au moyen de la formule du Sannyâsi Brahmah-Logum, Prascovie ne reconnaissait pas, dans les yeux d’Octave-Labinski, l’expression ordinaire des yeux d’Olaf, celle d’un amour pur, calme, égal, éternel comme l’amour des anges; – une passion terrestre incendiait ce regard, qui la troublait et la faisait rougir. – Elle ne se rendait pas compte de ce qui s’était passé, mais il s’était passé quelque chose. Mille suppositions étranges lui traversèrent la pensée: n’était-elle plus pour Olaf qu’une femme vulgaire, désirée pour sa beauté comme une courtisane? l’accord sublime de leurs âmes avait-il été rompu par quelque dissonance qu’elle ignorait? Olaf en aimait-il une autre? les corruptions de Paris avaient-elles souillé ce chaste