Жорж Санд

Nouvelles lettres d'un voyageur


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pourrait-elle se passer de l'esprit, qui ne peut se passer d'elle? Est-ce encore une question de mots? Je le crains bien, ou plutôt je l'espère. La science a-t-elle la prétention de faire éclore la pensée humaine comme résultat d'une combinaison chimique? Non, certes; mais elle peut espérer de surprendre un jour les combinaisons mystérieuses qui rendent la matière inorganisée propre à recevoir le baptême de la vie et à devenir son sanctuaire. Ce sera une magnifique découverte; mais quoi! après? L'homme saura, je suppose, par quelle opération naturelle le fluide vital pénètre un corps placé dans les conditions nécessaires à son apparition. Le Dieu qui, roulant dans ses doigts une boulette de terre, souffla dessus et en fit un être pensant, ne sera plus qu'un mythe. Fort bien, mais un mythe est l'expression symbolique d'une idée, et il restera à savoir si cette idée est un poëme ou une vérité.

      Allons aussi loin qu'il est permis de supposer. Entrons dans le rêve, imaginons un nouveau Faust découvrant le moyen de renouveler sa propre existence, un Albertus Magnus faisant penser et parler une tête de bois, Capparion! un Berthelot futur voyant surgir de son creuset une forme organisée, vivante, – que saura-t-il de la source de cette vie mystérieuse? La philosophie a beaucoup à répondre, mais je vois surtout là une question d'histoire naturelle à résoudre, rentrant dans les célèbres discussions sur la génération spontanée. Pour mon compte, je crois presque à la génération spontanée, et je n'y vois aucun principe de matérialisme à enregistrer dans le sens absolu que l'on veut aujourd'hui attribuer à ce mot. La matière, dit-on, renferme le principe vivant. Ceci est encore l'histoire de la plante, qui tire ses organes de sa propre substance. Mais le principe vivant, d'où tire-t-il son activité, sa volition, son expansion, ses résultats sans limites connues? D'un milieu qui ne les a pas? C'est difficile à comprendre. La matière possède le principe viable; mais point de vie sans fécondation. La doctrine de la génération spontanée proclame que la fécondation n'est pas due nécessairement à l'espèce; elle admet donc qu'il y a des principes de fécondation dans toute combinaison vitale, et même que tout est combinaison vitale, vie latente, impatiente de s'organiser par son mariage avec la matière. Quoi qu'on fasse, il faut bien parler la langue humaine, se servir de mots qui expriment des idées. On aura beau nous dire que la vie est une pure opération et une simple action de la matière, on ne nous fera pas comprendre que les opérations de notre pensée et l'action de notre volonté ne soient pas le résultat de l'association de deux principes en nous. Que faites-vous de la mort, si la matière seule est le principe vivant? Vous dites que l'âme s'éteint quand le corps ne fonctionne plus. On peut vous demander pourquoi le corps ne fonctionne plus quand l'âme le quitte. Et tout cela, c'est un cercle vicieux, où les vrais savants sont moins affirmatifs que leurs impatients et enthousiastes adeptes. Il y a quelque chose de généreux et de hardi, j'en conviens, à braver les foudres de l'intolérance et à vouloir attribuer à la science la liberté de tout nier. Inclinons-nous devant le droit qu'elle a de se tromper. Ses adversaires en usent si largement! Mais attendons, pour nier l'action divine qui préside au grand hyménée universel, que l'homme soit arrivé par la science à s'en passer ou à la remplacer.

      – Vous ne pensez, nous disent les médecins positivistes, que parce que vous avez un cerveau.

      Très-bien; mais, sans ma pensée, mon cerveau serait une boîte vide. – Nous pouvons mettre le doigt sur la portion du cerveau qui pense et oblitérer sa fonction par une blessure, notre main peut écraser la raison et la pensée! – Vous pouvez produire la folie et la mort; mais empêcher l'une et guérir l'autre, voilà où vous cherchez en vain des remèdes infaillibles. Cette pensée qui s'éteint ou qui s'égare dans le cerveau épuisé et meurtri est bien forcée de quitter le milieu où elle ne peut plus fonctionner.

      – Où va-t-elle? – Demandez-moi aussi d'où elle vient. Qui peut vous répondre? Me direz-vous d'où vient la matière? Vous voilà étudiant les météorites, étude admirable qui nous renseignera sans doute sur la formation des planètes. Mais, quand nous saurons que nous sommes nés du soleil, qui nous dira l'origine de celui-ci? Pouvez-vous vous emparer des causes premières? Vous n'en savez pas plus long sur l'avènement de la matière que sur celui de la vie, et, si vous vous fondez sur la priorité de l'apparition de la matière sur notre globe, vous ne résolvez rien. La vie était organisée ailleurs avant que notre terre fut prête à la recevoir; latente chez nous, elle fonctionnait dans d'autres régions de l'univers.

      Mais il n'y a pas de matière proprement inerte; je le veux bien! Chaque élément de vitalité a sa vie propre, et j'admets sans surprise celle de la terre et du rocher. La vie chimique est encore intense sous nos pieds et se manifeste par les tressaillements et les suintements volcaniques; mais, encore une fois, la vie la plus élémentaire est toujours une vie; la vie inorganique – il paraît qu'on parle ainsi aujourd'hui – est toujours une force qui vient animer une inertie. D'où vient cette force? D'une loi. D'où vient la loi?

      Pour répondre scientifiquement à une telle question, il faut trouver une formule nouvelle à coup sûr. Puisque tous les mots qui ont servi jusqu'ici à l'idée spiritualiste paraissent entachés de superstition, et que tous ceux qui servent à l'idée positiviste semblent entachés d'athéisme, vitalité, dis-nous ton nom!

      Sublime inconnue, tu frémis sous ma main quand je touche un objet quelconque. Tu es là dans ce roc nu qui, l'an prochain ou dans un million d'années, aura servi, par sa décomposition ou toute autre influence peut-être occulte, à produire un fruit savoureux. Tu es palpable et visible et déjà merveilleusement savante dans la petite graine qui porte dans sa glume les prairies de six cents lieues de l'Amérique. Tu souris et rayonnes dans la fleur qui se pare pour l'hyménée. Tu bondis ou planes dans l'insecte vêtu des couleurs de la plante qui l'a nourri à l'état de larve. Tu dors sous les sables dorés du rivage des mers, tu es dans l'air que je respire comme dans le regard ami qui me console, dans le nuage qui passe comme dans le rayon qui le traverse. – Je te vois et je te sens dans tout; mais rayez le mot divin amour du livre de la nature, et je ne vois plus rien, je ne comprends plus, je ne vis plus.

      La matière qui n'a pas la vie, et la vie qui ne se manifeste pas dans la matière ont-elles conscience du besoin qu'elles éprouvent de se réunir? Ce n'est pas très-probable sans la supposition d'un agent souverain qui les pousse irrésistiblement l'une vers l'autre. Quel est-il? son nom? Le nom que vous voudrez parmi ceux qui sont à l'usage de l'homme; moi, je n'en peux trouver que dans le vocabulaire classique des idées actuelles: âme du monde, amour, divinité. Je vois dans la moindre étude des choses naturelles, dans la moindre manifestation de la vie, une puissance dont nulle autre ne peut anéantir le principe. La matière a beau se ruer sur la matière et se dévorer elle-même, la vie a beau se greffer sur la vie et s'embrancher en d'inextricables réseaux où se confondent toutes les limites de la classification, tout se maintient dans l'équilibre qui permet à la vie de remplacer la mort à mesure que celle-ci opère une transformation devenue nécessaire. Je sens le souffle divin vibrer dans toutes ces harmonies qui se succèdent pour arriver toujours et par tous les modes au grand accord relativement parfait, âme universelle, amour inextinguible, puissance sans limites.

      Laissons les savants chercher de nouvelles définitions. Si leurs tendances actuelles nous ramènent à d'Holbach et compagnie, comme il y avait là en somme très-bonne compagnie, il en sortira quelque chose de bon; la vie ne s'arrête pas parce que l'esprit fait fausse route. Une notion qui tend à comprimer son essor, à détruire son énergie, à refroidir son élan vers l'infini, n'est pas une notion durable; mais la science seule peut redresser et éclairer la science. S'il était possible de la réduire au silence, ce qu'il y a de vrai dans le spiritualisme aurait chance de succomber longtemps. Les esprits vulgaires s'empareraient d'un athéisme grossier comme d'un drapeau, et la recherche de la vérité serait soumise aux agitations de la politique. Tel n'est point le rôle de la science, tel n'est point le chemin du vrai. Telle n'est heureusement pas la loi du progrès, qui est la loi même de la vie.

      Ce n'est certes pas moi, ma chère amie, qui vous dirai par où le monde passera pour sortir de cette crise. Je ne sais rien qu'une chose, c'est qu'il faut que l'homme devienne un être complet, et que je le vois en train d'être comme l'enfant dont on voulait donner une moitié à chacune des mères qui se le disputaient. L'enfant ne se laissera pas faire, soyons tranquilles.

      Au