Flammarion Camille

Uranie


Скачать книгу

sa place trônait le buste, en marbre blanc, de l’illustre astronome.

      Je cherchai en d’autres pièces, et, à propos de mille prétextes, jusque dans les appartements, mais elle avait bien disparu.

      Pendant des jours, pendant des semaines, je cherchai, sans parvenir à la revoir ni même à savoir ce qu’elle était devenue.

      J’avais un ami, un confident, à peu près du même âge que moi, quoique paraissant un peu moins jeune à cause de sa barbe naissante, mais lui aussi fortement épris de l’idéal et plus rêveur encore peut-être, le seul d’ailleurs de tout le personnel de l’Observatoire avec lequel je me sois jamais intimement lié. Il partageait mes joies et mes peines. Nous avions les mêmes goûts, les mêmes idées, les mêmes sentiments. Il avait compris et mon adolescente admiration pour une statue, et la personnification dont mon imagination l’avait animée, et ma mélancolie d’avoir ainsi subitement perdu ma chère Uranie au moment même où j’y étais le plus attaché. Il avait plus d’une fois admiré avec moi les effets de la lumière sur sa céleste physionomie, et souriant de mes extases, comme un grand frère, me taquinant même, un peu vivement parfois, sur ma tendresse pour une idole, allait jusqu’à m’appeler «Camille Pygmalion». Mais, au fond, je voyais bien qu’il l’aimait aussi.

      Cet ami, qui hélas! devait être emporté quelques années plus tard en pleine fleur de jeunesse, ce bon Georges Spero, éminent esprit et grand cœur, dont le souvenir me restera éternellement cher, était alors secrétaire particulier du Directeur, et son affection si sincère me fut témoignée en cette circonstance par une attention aussi gracieuse qu’imprévue.

      Un jour, en rentrant chez moi, je vis avec une stupéfaction quasi incrédule la fameuse pendule placée sur ma cheminée, là, juste devant moi!..

      C’était bien elle! Mais comment était-elle là? Quel chemin avait-elle pris? D’où venait-elle?

      J’appris que l’illustre auteur de la découverte de Neptune l’avait envoyée à réparer chez l’un des principaux horlogers de Paris, que celui-ci avait reçu de Chine une antique pendule astronomique du plus haut intérêt et en avait offert l’échange, lequel avait été accepté; et que Georges Spero, chargé de la transaction, avait racheté l’œuvre de Pradier pour me l’offrir en souvenir des leçons de mathématiques que je lui avais données.

      Avec quelle joie je revis mon Uranie! Avec quel bonheur j’en rassasiai mes regards! Cette charmante personnification de la Muse du Ciel ne m’a jamais quitté depuis. Dans mes heures d’étude, la belle statue se tenait devant moi, semblant me rappeler le discours de la déesse, m’annoncer les destinées de l’Astronomie, me diriger dans mes adolescentes aspirations scientifiques. Depuis, des émotions plus passionnées ont pu séduire, captiver, troubler mes sens; mais je n’oublierai jamais le sentiment idéal que la Muse des étoiles m’avait inspiré, ni le voyage céleste dans lequel elle m’emporta, ni les panoramas inattendus qu’elle déploya sous mes regards, ni les vérités qu’elle me révéla sur l’étendue et la constitution de l’univers, ni le bonheur qu’elle m’a donné en assignant définitivement pour carrière à mon esprit les calmes contemplations de la nature et de la science.

      DEUXIÈME PARTIE

      Georges Spero

      I

      LA VIE

      L’ardente lumière du soir flottait dans l’atmosphère comme un prodigieux rayonnement d’or. Des hauteurs de Passy, la vue s’étendait sur l’immense cité qui, alors plus que jamais, était non pas une ville, mais un monde. L’Exposition universelle de 1867 avait réuni en ce Paris impérial toutes les attractions et toutes les séductions du siècle. Les fleurs de la civilisation y brillaient de leurs plus vives couleurs et s’y consumaient dans l’ardeur même de leurs parfums, mourant en pleine fièvre d’adolescence. Les souverains de l’Europe venaient d’y entendre une éclatante fanfare, qui fut la dernière de la monarchie; les sciences, les arts, l’industrie semaient leurs créations nouvelles avec une prodigalité inépuisable. C’était comme une ivresse générale des êtres et des choses. Des régiments marchaient, musique en tête; des chars rapides s’entre-croisaient de toutes parts; des millions d’hommes s’agitaient dans la poussière des avenues, des quais, des boulevards; mais cette poussière même, dorée par les rayons du soleil couchant, semblait une auréole couronnant la ville splendide. Les hauts édifices, les dômes, les tours, les clochers, s’illuminaient des reflets de l’astre enflammé; on entendait au loin des sons d’orchestre mêlés à un murmure confus de voix et de bruits divers, et ce lumineux soir, complétant une éblouissante journée d’été, laissait dans l’âme un sentiment de contentement, de satisfaction et de bonheur. Il y avait là comme une sorte de résumé symbolique des manifestations de la vitalité d’un grand peuple arrivé à l’apogée de sa vie et de sa fortune.

      Des hauteurs de Passy où nous sommes, de la terrasse d’un jardin suspendu comme aux jours de Babylone au-dessus du cours nonchalant du fleuve, deux êtres appuyés à la balustrade de pierre contemplent le bruyant spectacle. Dominant cette surface agitée de la mer humaine, plus heureux dans leur douce solitude que tous les atomes de ce tourbillon, ils n’appartiennent pas au monde vulgaire et planent au-dessus de cette agitation, dans l’atmosphère limpide de leur bonheur. Leurs esprits pensent, leurs cœurs aiment, ou, pour exprimer plus complètement le même fait, leurs âmes vivent.

      Dans la juvénile beauté de son dix-huitième printemps, la jeune fille laisse errer son regard rêveur sur l’apothéose du soleil couchant, heureuse de vivre, plus heureuse encore d’aimer. Elle ne songe point à ces millions d’êtres humains qui s’agitent à ses pieds; elle regarde sans le voir le disque ardent du soleil qui descend derrière les nuées empourprées de l’Occident; elle respire l’air parfumé des guirlandes de roses du jardin, et ressent dans tout son être cette quiétude de bonheur intime qui chante dans son cœur un ineffable cantique d’amour. Sa blonde chevelure nimbe son front d’une auréole vaporeuse et tombe en touffes opulentes sur sa taille fine et élancée; ses yeux bleus, bordés de longs cils noirs, semblent un reflet de l’azur des cieux; ses bras, son cou laissent deviner une chair d’une blancheur lactée; ses joues, ses oreilles sont vivement colorées; dans l’ensemble de sa personne, elle rappelle un peu ces petites marquises des peintres du dix-huitième siècle, qui naissaient à une vie inconnue dont elles ne devaient pas jouir bien longtemps. Elle se tient debout. Son compagnon, qui tout à l’heure entourait sa taille de son bras en contemplant avec elle le tableau de Paris, en écoutant avec elle les flots d’harmonie répandus dans les airs par la musique de la garde impériale, s’est assis à ses côtés. Ses yeux ont oublié Paris et le coucher du soleil, pour ne plus voir que sa gracieuse amie, et, sans s’en apercevoir, il la regarde avec une fixité étrange et douce, l’admirant comme s’il la voyait pour la première fois, ne pouvant se détacher de ce délicieux profil, l’enveloppant de son regard comme d’une magnétique caresse.

      Le jeune étudiant restait absorbé dans cette contemplation. Étudiant, l’était-il encore à vingt-cinq ans? Mais ne l’est-on pas toujours, et notre maître d’alors, M. Chevreul, ne se surnommait-il pas hier encore, dans sa cent-troisième année d’âge, le doyen des étudiants de France? Georges Spero avait terminé de fort bonne heure ces études de lycée qui n’apprennent rien, si ce n’est la méthode du travail, et continuait d’approfondir avec une infatigable ardeur les grands problèmes des sciences naturelles. L’astronomie surtout avait d’abord passionné son esprit, et je l’avais précisément connu (comme le lecteur s’en souvient peut-être, par le récit précédent) à l’Observatoire de Paris, où il était entré dès l’âge de seize ans et où il s’était fait remarquer par une singularité assez bizarre, celle de n’avoir aucune ambition et de ne désirer aucun avancement. A l’âge de seize ans comme à l’âge de vingt-cinq il se croyait à la veille de sa mort, jugeait peut-être qu’en fait la vie passe vite et qu’il est superflu de rien désirer, sinon la science, superflu de rien souhaiter au delà du bonheur d’étudier et de connaître. Il était peu communicatif, quoique, au fond, son caractère fût celui d’un enfant enjoué. Sa bouche, fort petite et