au-dessus de West-Point, à l’endroit appelé Highs-lands (Terres-hautes). Pour tout spectateur de ce local, il semble incontestable que le chaînon transverse qui porte ce nom a autrefois barré le fleuve et contenu ses eaux à une hauteur considérable; et lorsque j’observe que la marée remonte jusqu’à 10 milles au-delà d’Albany, ce niveau si bas dans une si grande étendue, comparé à l’élévation des montagnes qui enveloppent ce bassin, me fait penser que le lac dut se prolonger jusqu’aux rapides du fort Édouard, peut-être même communiquer avec les lacs George et Champlain, et dans cet état rendre insensible la chute de la Mohawk (le Cohoes) dont il dépassait le niveau: cette chute ne put se former qu’après l’écoulement du lac par la brèche de West-point: et l’existence de ce lac, en expliquant les traces d’alluvions, de coquilles pétrifiées, de bancs de schistes et d’argiles cités par le docteur Mitchill, prouve la justesse des inductions de cet observateur judicieux sur la présence stationnaire d’anciennes eaux.
Ce sont aussi ces lacs anciens, maintenant à sec par la rupture de leurs digues, qui expliquent les banquettes correspondantes à 1 ou 2 étages, que l’on observe sur les rives de la plupart des rivières d’Amériques; elles sont surtout remarquables dans celles du pays d’Ouest, telles que la Tennessee, la Kentucky, le Mississipi, le Kanhawa et l’Ohio: je vais développer ce fait par la figure du lit de ce dernier fleuve, à l’endroit appelé Cincinnati, ou fort Washington, quartier-général de Northwest-territory.
aa est le du lit fleuve dans les plus basses eaux, tel que je l’ai vu au mois d’août 1796.
bb est son écore, presque verticale, formée de couches de gravier, de sable et de terreau, et minée par les grandes eaux de chaque printemps; cette écore a presque 50 pieds de hauteur.
cc est une première banquette large de 400 pas ou 900 pieds, aussi formée de gravier et de cailloux roulés: les hautes crues arrivent sur cette banquette, et lavent de plus en plus le gravier et les cailloux57.
dd est un talus à rampe douce d’environ 30 pieds de hauteur, composé de diverses couches de gravier et de terreau pleins de coquilles fossiles et de substances fluviatiles que l’on observe également dans l’écore: les hautes eaux ne dépassent jamais ce talus.
ee est une seconde banquette qui s’étend jusqu’au pied des collines latérales, et sur laquelle est assise la ville récente de Cincinnati58: telle est la rive droite du fleuve.
Sa rive gauche répète à l’opposite les mêmes banquettes, les mêmes talus, par niveaux correspondants: en d’autres endroits ces banquettes ne se montrent que d’un côté; mais alors la rive opposée est tantôt une côte escarpée sur laquelle le fleuve n’a pu marquer de traces fixes, tantôt une plaine si large, que l’œil ne va pas chercher au pied des collines lointaines les traces qu’il y trouverait.
Lorsque l’on examine la disposition de ces banquettes, de leurs couches, de leurs talus, et la nature de leurs substances, l’on demeure convaincu que même la partie la plus élevée de la plaine, celle qui s’étend de la ville aux collines, a été le siége des eaux, et même le lit primitif du fleuve, qui paraît en avoir eu 3 à des époques différentes.
La première de ces époques fut le temps où les sillons transverses des collines, encore entiers, comme je l’ai expliqué plus haut, barrèrent le fleuve, et, lui servant de digues, tinrent ses eaux au niveau de leurs sommets. Alors tout le pays soumis à ce niveau était un grand lac ou marécage d’eaux stagnantes. Par le laps des temps, et par l’effet annuel et périodique des fontes de neiges et de leurs débordements, les eaux rongèrent quelques endroits faibles de la digue: l’une des brèches ayant cédé au courant, tout l’effort des eaux s’y rassembla, la creusa plus profondément, et abaissa ainsi le niveau du lac de plusieurs mètres. Cette première opération dégagea la plaine ou banquette supérieure ee, et les eaux du fleuve, encore lac, eurent pour lit la banquette cc, et pour rivage le talus dd.
Le temps où les eaux demeurèrent dans ce lit fut la seconde époque.
La troisième eut lieu lorsque la cascade ayant encore été surbaissée par le courant plus concentré et plus actif, le fleuve se creusa un lit plus étroit et plus profond, qui est l’actuel, et laissa la banquette cc habituellement à sec.
Il est probable que l’Ohio a été barré en plus d’un endroit, depuis Pittsburg jusqu’aux rapides de Louisville: lorsque je le descendis depuis le Kanhawa, n’étant pas prévenu de ces idées qu’un ensemble postérieur de faits m’a suggérées, je ne dirigeai pas une attention spéciale sur les chaînons transverses que je rencontrai; mais je me suis rappelé en avoir remarqué plusieurs assez considérables, particulièrement vers Gallipolis et jusqu’au Sciotah, très-capables de remplir cet objet; ce ne fut qu’à mon retour de Poste-Vincennes sur Wabash, que je fus frappé de la disposition d’un chaînon situé au-dessous de Silver-creek59, à environ 5 milles des rapides d’Ohio: ce sillon, désigné vaguement par les voyageurs canadiens, sous le nom des côtes, traverse du nord au sud le bassin de l’Ohio: il a forcé le fleuve de changer sa direction d’est vers ouest, pour aller chercher une issue qu’en effet il trouve au confluent de Salt-river; et même l’on dirait qu’il a eu besoin des eaux abondantes et rapides de cette rivière, et de ses nombreux affluents pour percer la digue qui le barrait. La pente assez rapide de ces côtes, quoique par un sentier commode, exige environ un quart d’heure pour être descendue; et par comparaison à d’autres élévations, elle m’a paru donner une élévation perpendiculaire d’environ 400 pieds. Le sommet est trop couvert de bois pour que l’on puisse voir le cours latéral de la chaîne; mais l’on aperçoit qu’elle se prolonge fort loin au nord et au sud, et qu’elle ferme le bassin d’Ohio dans toute sa largeur. Vu du sommet, ce bassin présente tellement l’aspect et les apparences d’un lac que l’idée de son ancienne existence, déja préparée par tous les faits que j’ai exposés, prit pour moi tous les caractères de la probabilité et de la vraisemblance: d’autres circonstances locales viennent à l’appui de cette vraisemblance; car j’ai remarqué que depuis ce chaînon jusqu’au delà de White-river (la rivière blanche), à huit milles de Poste-Vincennes, le pays est entrecoupé d’une foule de sillons souvent élevés et rapides, qui rendent la route âpre et pénible: ils sont tels, surtout après Blue-river et sur les deux rives de White-river; ils tiennent partout une direction qui les fait tomber sur l’Ohio en sens transverse. D’autre part, j’ai su à Louisville que la rive Kentukoise ou méridionale de ce fleuve qui leur correspond, avait des sillons semblables; en sorte que dans cette partie, il existe un faisceau de chaînons propres à opposer aux eaux de puissants obstacles. Ce n’est que plus bas sur le fleuve, que le pays devient plat, et que commencent les immenses savanes de Wabash et de Green-river, qui s’étendant jusqu’au Mississipi, excluent de ce côté l’idée de toute autre digue60.
Un autre fait général favorise encore mon hypothèse. L’on remarque en Kentucky comme une bizarrerie, que toutes les rivières de ce pays coulent plus lentement près de leurs sources, et plus rapidement près de leur embouchure; ce qui en effet est l’inverse de la plupart des rivières des autres pays; d’où il faut conclure que le lit supérieur des rivières de Kentucky est un pays plat, et que leur lit inférieur aux approches de la vallée d’Ohio est une rampe déclive. Or, ceci coïncide parfaitement à mon idée d’un ancien lac; car, à l’époque où ce lac occupa jusqu’au pied des Alleghany, son fond, surtout vers ses bords, dut être assez uni et plane, aucun travail des eaux n’en déchirant la superficie; mais lorsque la digue qui retenait cette masse d’eaux paisibles se fut abaissée, le sol découvert commença d’être sillonné par les écoulements; et lorsqu’enfin le courant concentré dans la vallée d’Ohio démolit plus rapidement sa chaussée, alors les terres de cette vallée, brusquement enlevées, laissèrent comme un vaste fossé, dont les escarpements sollicitèrent toutes les eaux de la plaine d’arriver plus vite, et de là ce cours, qui malgré leurs travaux