Ганс Христиан Андерсен

Contes merveilleux, Tome I


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disait-il, le siècle d'avant était encore bien plus empreint de grandeur; les hauts faits, les beaux caractères y abondaient.

      –C'étaient des époques rudes et sauvages, interrompait alors mon frère Frédéric; Dieu merci, nous ne vivons plus dans un temps pareil.

      Il disait cela au bisaïeul en face, et ce n'était pas trop gentil. Cependant il faut dire qu'il n'était plus un enfant; c'était notre aîné; il était sorti de l'Université après les examens les plus brillants. Ensuite notre père, qui avait une grande maison de commerce, l'avait pris dans ses bureaux et il était très content de son zèle et de son intelligence. Le bisaïeul avait tout l'air d'avoir un faible pour lui; C'est avec lui surtout qu'il aimait à causer; mais quand ils en arrivaient à ce sujet du bon vieux temps, cela finissait presque toujours par de vives discussions; aucun d'eux ne cédait; et cependant, quoique je ne fusse qu'un gamin, je remarquai bien qu'ils ne pouvaient pas se passer l'un de l'autre. Que de fois le bisaïeul écoutait l'oreille tendue, les yeux tout plein de feu, ce que Frédéric racontait sur les découvertes merveilleuses de notre époque, sur des forces de la nature, jusqu'alors inconnues, employées aux inventions les plus étonnantes!

      –Oui, disait-il alors, les hommes deviennent plus savants, plus industrieux, mais non meilleurs. Quels épouvantables engins de destruction ils inventent pour s'entre-tuer!

      –Les guerres n'en sont que plus vite finies, répondait Frédéric; on n'attend plus sept ou même trente ans avant le retour de la paix. Du reste, des guerres, il en faut toujours; s'il n'y en avait pas eu depuis le commencement du monde, la terre serait aujourd'hui tellement peuplée que les hommes se dévoreraient les uns les autres.

      Un jour Frédéric nous apprit ce qui venait de se passer dans une petite ville des environs. À l'hôtel de ville se trouvait une grande et antique horloge; elle s'arrêtait parfois, puis retardait, pour ensuite avancer; mais enfin telle quelle, elle servait à régler toutes les montres de la ville. Voilà qu'on se mit à construire un chemin de fer qui passa par cet endroit; comme il faut que l'heure des trains soit indiquée de façon exacte, on plaça à la gare une horloge électrique qui ne variait jamais; et depuis lors tout le monde réglait sa montre d'après la gare; l'horloge de la maison de ville pouvait varier à son aise; personne n'y faisait attention, ou plutôt on s'en moquait.

      –C'est grave tout cela, dit le bisaïeul d'un air très sérieux. Cela me fait penser à une bonne vieille horloge, comme on en fabrique à Bornholmy, qui était chez mes parents; elle était enfermée dans un meuble en bois de chêne et marchait à l'aide de poids. Elle non plus n'allait pas toujours bien exactement; mais on ne s'en préoccupait pas. Nous regardions le cadran et nous avions foi en lui. Nous n'apercevions que lui, et l'on ne voyait rien des roues et des poids. C'est de même que marchaient le gouvernement et la machine de l'État. On avait pleine confiance en elle et on ne regardait que le cadran. Aujourd'hui c'est devenu une horloge de verre; le premier venu observe les mouvements des roues et y trouve à redire; on entend le frottement des engrenages, on se demande si les ressorts ne sont pas usés et ne vont pas se briser. On n'a plus la foi; c'est là la grande faiblesse du temps présent.

      Et le bisaïeul continua ainsi pendant longtemps jusqu'à ce qu'il arrivât à se fâcher complètement, bien que Frédéric finît par ne plus le contredire. Cette fois, ils se quittèrent en se boudant presque; mais il n'en fut pas de même lorsque Frédéric s'embarqua pour l'Amérique où il devait aller veiller à de grands intérêts de notre maison. La séparation fut douloureuse; s'en aller si loin, au-delà de l'océan, braver flots et tempêtes.

      –Tranquillise-toi, dit Frédéric au bisaïeul qui retenait ses larmes; tous les quinze jours vous recevrez une lettre de moi, et je te réserve une surprise. Tu auras de mes nouvelles par le télégraphe; on vient de terminer la pose du câble transatlantique. En effet, lorsqu'il s'embarqua en Angleterre, une dépêche vint nous apprendre que son voyage se passait bien, et, au moment où il mit le pied sur le nouveau continent, un message de lui nous parvint traversant les mers plus rapidement que la foudre.

      –Je n'en disconviendrai pas, dit le bisaïeul, cette invention renverse un peu mes idées; c'est une vraie bénédiction pour l'humanité, et c'est au Danemark qu'on a précisément découvert la force qui agit ainsi. Je l'ai connu, Christian Oersted, qui a trouvé le principe de l'électromagnétisme; il avait des yeux aussi doux, aussi profonds que ceux d'un enfant; il était bien digne de l'honneur que lui fit la nature en lui laissant deviner un de ses plus intimes secrets.

      Dix mois se passèrent, lorsque Frédéric nous manda qu'il s'était fiancé là-bas avec une charmante jeune fille; dans la lettre se trouvait une photographie. Comme nous l'examinâmes avec empressement! Le bisaïeul prit sa loupe et la regarda longtemps.

      –Quel malheur, s'écria le bisaïeul, qu'on n'ait pas depuis longtemps connu cet art de reproduire les traits par le soleil! Nous pourrions voir face à face les grands hommes de l'histoire. Voyez donc quel charmant visage; comme cette jeune fille est gracieuse! Je la reconnaîtrai dès qu'elle passera notre seuil.

      Le mariage de Frédéric eut lieu en Amérique; les jeunes époux revinrent en Europe et atteignirent heureusement l'Angleterre d'où ils s'embarquèrent pour Copenhague. Ils étaient déjà en face des blanches dunes du Jutland, lorsque s'éleva un ouragan; le navire, secoué, ballotté, tout fracassé, fut jeté à la côte. La nuit approchait, le vent faisait toujours rage; impossible de mettre à la mer les chaloupes et on prévoyait que le matin le bâtiment serait en pièces.

      Voilà qu'au milieu des ténèbres reluit une fusée; elle amène un solide cordage; les matelots s'en saisissent; une communication s'établit entre les naufragés et la terre ferme. Le sauvetage commence et, malgré les vagues et la tempête, en quelques heures tout le monde est arrivé heureusement à terre.

      À Copenhague nous dormions tous bien tranquillement, ne songeant ni aux dangers, ni aux chagrins. Lorsque le matin la famille se réunit, joyeuse d'avance de voir arriver le jeune couple, le journal nous apprend, par une dépêche, que la veille un navire anglais a fait naufrage sur la côte du Jutland. L'angoisse saisit tous les cœurs; mon père court aux renseignements; il revient bientôt encore plus vite nous apprendre que, d'après une seconde dépêche, tout le monde est sauvé et que les êtres chéris que nous attendons ne tarderont pas à être au milieu de nous. Tous nous éclatâmes en pleurs; mais c'étaient de douces larmes; moi aussi, je pleurai, et le bisaïeul aussi; il joignit les mains et, j'en suis sûr, il bénit notre âge moderne. Et le même jour encore il envoya deux cents écus à la souscription pour le monument d'Oersted. Le soir, lorsque arriva Frédéric avec sa belle jeune femme, le bisaïeul lui dit ce qu'il avait fait; et ils s'embrassèrent de nouveau. Il y a de braves cœurs dans tous les temps.

      Le bonhomme de neige

      Quel beau froid il fait aujourd'hui! dit le Bonhomme de neige. Tout mon corps en craque de plaisir. Et ce vent cinglant, comme il vous fouette agréablement! Puis, de l'autre côté, ce globe de feu qui me regarde tout béat!

      Il voulait parler du soleil qui disparaissait à ce moment.

      –Oh! il a beau faire, il ne m'éblouira pas! Je ne lâcherai pas encore mes deux escarboucles.

      Il avait, en effet, au lieu d'yeux, deux gros morceaux de charbon de terre brillant et sa bouche était faite d'un vieux râteau, de telle façon qu'on voyait toutes ses dents. Le bonhomme de neige était né au milieu des cris de joie des enfants.

      Le soleil se coucha, la pleine lune monta dans le ciel; ronde et grosse, claire et belle, elle brillait au noir firmament.

      –Ah! le voici qui réapparaît de l'autre côté, dit le Bonhomme de neige.

      Il pensait que c'était le soleil qui se montrait de nouveau.

      –Maintenant, je lui ai fait atténuer son éclat. Il peut rester suspendu là-haut et paraître brillant; du moins, je peux me voir moi-même. Si seulement je savais ce qu'il faut faire pour bouger de place! J'aurais tant de plaisir à me remuer un peu! Si je le pouvais, j'irais tout de suite me promener sur la glace et faire des glissades, comme j'ai vu faire aux enfants. Mais je ne peux pas courir.

      –Ouah! ouah! aboya le chien de garde.

      Il