Alphonse Allais

Pour cause de fin de bail


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monsieur parler de la sorte.

      Il fut convenu que mon protégé ferait partie du vespéral canard en question et qu'il écrirait chaque jour un Croquis de Paris de vingt ou trente lignes.

      –Mais, protestait mollement le jouvenceau, je ne sais pas si je saurai, moi d'hier à Paris, écrire des choses bien parisiennes.

      –Au contraire, mon garçon! affirmait l'autre. Ce sera bien mieux ainsi. Vous verrez Paris sous l'angle charmant de vos yeux ingénus et vous le décrirez d'une plume non encore souillée des mille compromissions de la capitale!

      (Mon vieux camarade use parfois de ces termes grandiloquents.)

      –Alors, entendu.

      –Quant aux appointements,—je vous avoue que je suis pour l'instant un peu serré,—je ne saurais donc vous gorger d'or. Je vous offre 150 fr. par mois—somme dérisoire, je le sais… Ce sera pour vos cigares…

      –Je ne fume pas.

      –Tous mes compliments, jeune homme; je voudrais pouvoir en dire autant.

      Ce fut donc convenu.

      Dès le lendemain, le jeune homme entrait en fonctions.

      Chaque jour, il abattit son petit Croquis de Paris, pas plus mal qu'un autre, ma foi, et même souvent de fort gentille tournure.

      À la fin du mois, un peu ému, il se présentait à la caisse.

      –Vous désirez? fit l'argentier.

      –Je suis M. Un Tel, j'appartiens depuis un mois à la rédaction du journal, à raison de 150 fr. par mois, lesquels cent cinquante francs j'aimerais bien toucher à cette heure.

      –Je n'ai pas d'ordre, monsieur. Voyez le directeur.

      D'un bond, le jeune homme était chez le directeur.

      –On refuse à la caisse de me régler mon traitement de ce mois.

      –Quel traitement?

      –Les 150 fr. que vous m'avez promis.

      –Pardon, jeune homme, je vous ai, en effet, promis 150 fr.; mais, avais-je ajouté, c'était pour vos cigares. Or, vous m'avez déclaré vous-même que vous ne fumiez pas.

      –!!!!!

      LA SCIENCE ET LA RELIGION—ENFIN—MARCHENT LA MAIN DANS LA MAIN

      (Panneau allégorique)

      Vous souvient-il de cette amusante scène d'une vieille opérette d'Hervé, dans laquelle, un homme venant d'avoir l'oeil crevé par accident, arrive le médecin mandé à la hâte?

      Au lieu de se ruer vers le plus immédiat des pansements, l'homme de l'art s'assied dans un fauteuil, et, doctoralement, s'informe des antécédents, et surtout des ascendances du blessé.

      –N'auriez-vous pas eu, s'enquiert-il, dans vos parents, quelqu'un qui fût sujet aux affections des yeux?

      Aux temps héroïques de l'admirable Hervé, les microbes n'existaient pas, ou plutôt ils existaient mais n'avaient pas encore essuyé l'effroyable publicité qui sévit sur eux depuis quelques années et dont ils se passeraient si bien, d'ailleurs.

      Sans cela, Hervé eût complété sa plaisanterie et, sur des rythmes loufoques, expliqué que l'accident du bonhomme provenait, non point d'un cruel traumatisme comme on aurait pu se l'imaginer, mais bien de l'existence préalable d'un virulent microbe, le microbe de l'oeil crevé.

      Ne riez pas, frivoles lecteurs!

      Si nous n'avons pas encore le microbe de l'oeil crevé, nous détenons, au moins, celui du coup de soleil!

      Ne continuez pas à rire, captivantes lectrices!

      Le microbe de l'insolation vient d'être découvert et isolé par un médecin autrichien, si j'en crois (et j'en crois) la docte Causerie scientifique de notre savant et pittoresque confrère Henry de Varigny (le Temps, de samedi dernier).

      Oui, mesdames et messieurs, l'insolation n'est plus un accident dû à la chaleur, il devient l'effet d'une infection microbienne que—le savant autrichien consent à admettre ce léger détail—favorisent les hautes températures.

      «Cette méchante bestiole—je copie mon auteur—se tient avec prédilection dans la poussière du sol; elle hante surtout les routes un peu encaissées où elle guette le passant pour se précipiter dans ses poumons, tandis qu'il halète, et l'infecter.

      » Il est vrai que le nombre et la variété des microbes qui se peuvent rencontrer dans la poussière de nos routes sont grands, et, dès lors, le signalement manque de précision. Apprenez alors que ce microbe présente encore ce caractère de ressembler beaucoup au microbe de la petite vérole.»

      Suivent quelques lignes sceptiques de notre chroniqueur physiologiste.

      Je ne partage pas, moi, l'affreux doute de M. de Varigny, et je me rallie à cette doctrine panmicrobiste qui rassemble déjà tant de passionnés adhérents.

      Et celui qui tient en moi ce langage, ce n'est pas tant le savant austère que le catholique fervent.

      La prescience de Dieu, l'intégrale prescience de Dieu, n'est-ce point le dogme indiscutable, fondamental et sacré?

      Alors quoi d'étonnant à ce que Dieu, lequel a créé les microbes, comme il a créé toutes choses et tous êtres, quoi d'étonnant à ce que Dieu opère d'avance une sage distribution, bien raisonnée, de ces bestioles? À qui doit mourir du choléra, Dieu dépêche les microbes du choléra, de même qu'il décerne le microbe du coup de pied dans le cul à celui qui doit recevoir un coup de pied dans le cul.

      Et maintenant, tas de francs-maçons, ne me parlez plus des conflits de la Science et de la Religion!

      LE DROIT DE BOUCHON

      Selon l'usage et comme tous mes confrères, j'ai fermé Vendredi-Saint dernier, ma boutique de charcuterie, et suis parti vers la banlieue, du côté de Saint-Ouen, hameau réputé pour sa riche floraison en tessons de bouteilles.

      Il faisait un temps superbe, et même un peu trop chaud pour la saison; mais qu'importe la haute température, si l'on est libre!

      Être libre, tout est là!

      Il vaut mieux rôtir au soleil de l'indépendance que de goûter la fraîcheur au sein des cachots du despotisme et de la tyrannie.

      Du moins, c'est mon avis.

      Donc, nous voilà partis, toute ma famille et moi, la joie au coeur, la chanson aux lèvres, en bras de chemise (les messieurs), en léger corsage d'indienne (les dames et les demoiselles).

      Une guinguette attira soudain nos regards, et surtout nos gosiers, car il commençait à faire une soif terrible.

      Imaginez une de ces guinguettes à tonnelles, à balançoires, à toutes sortes de jeux et divertissements, une de ces guinguettes dont la seule vue vous fait pousser aux pieds des ailes de pigeon.

      Une grosse enseigne: Au rendez-vous des Rigolos se complétait de cette condescendance: On peut apporter son manger.

      Ayant déjeuné à la maison avant le départ, nous n'avions pas cru devoir emporter d'aliments avec nous, et nous le regrettâmes, car, grâce au manger dont il nous eût été si facile de nous lotir, nous aurions accompli une collation à la fois économique et réconfortante.

      C'est le patron lui-même de l'établissement qui nous servit.

      Pour dire quelque chose:

      –Alors, on peut apporter son manger? dis-je.

      –Parfaitement, monsieur, le monde sont libre d'apporter leur manger.

      –Et leur boire?

      –Ah! ça non, par exemple! Si le monde apportaient leur manger et leur boire, alors, moi, avec quoi que je me les calerais? Avec des briques?

      –C'est trop juste.

      –Il y a bien, parbleu, des gens qui ont le culot d'apporter leur vin, leur saint-galmier, leur cognac et tout