particulièrement gai puisque, comme le trahit son haleine, son repas ayant été plus arrosé que dâordinaire, il me dit : « la chasse aux sorcières nous nourrit tous : moi, vous⦠tous ! Câest une affaire : sbires, geôliers, scribes et greffiers, tourmenteurs, bourreaux ; bûcherons, charpentiers, pompiers ; et⦠nous les juges. » Mon oreille se dressa. « Vive ces maudites ! » avait-il ajouté, levant haut la main comme sâil y tenait une coupe de cocktail : »â¦et lâatout politique ? Les puissants font ce quâil leur plait alors que la faute de tous les maux revient aux sorcières. Ou, aussi, aux juifs, « les perfides assassins du Christ » ; et quant aux commerçants ? Quel avantage que la plèbe sâen prenne à eux ! Quel bien lorsquâun prince réduit la part en métal précieux de la monnaie, voit la dévaluation attribuée à ces misérables qui, devant à leur tour augmenter les prix, apparaissent comme la cause première du mal ; câest ensuite à nous dâintervenir pour les mettre au pilori public pour calmer le peuple, et même, de temps en temps, en pendre un dâentre eux. Quel succès pour lâordre public, cher Grillandi ! Quel paix pour les grands, les cardinaux, les princes, les banquiers ! Câest toute une industrie, mon cher, un immense pouvoir dont nous sommes les serviteurs fidèles. Vous nâen éprouvez pas de lâorgueil ? »
Jâen eus la nausée. Pendant plusieurs jours jâavais eu lâenvie de tout abandonner pour me consacrer au barreau. Je me souviens que je mâétais demandé si le juge Rinaldi, tant intéressé par lâargent, nâavait pas, dans certaines circonstances, et moyennant rétribution, influé sur les sentences. Je regrettais en effet, plus dâune fois, quâalors que jâaurais certainement infligé le bûcher, lui nâavait ordonné que la réclusion. Au contraire, dans dâautres situations où, selon moi, seule la prison sâimposait, mon supérieur avait demandé le bûcher. En particulier, restait encré dans ma mémoire le cas de Giannetto Spighini, homme riche de famille marchande et fonctionnaire ordurier des finances du Pape, une charge publique quâil avait achetée précédemment pour augmenter son prestige social.
Jâeus à traiter de son cas durant les premières années de ma carrière, quand jâavais encore beaucoup dâestime pour Astolfo Rinaldi.
Je connaissais Spighini avant le procès parce quâil habitait dans un beau palais face au logement que jâavais loué et mâavait adressé son salut et, parfois, de la terrasse au balcon, accordé un brin de causette. Câétait quelquâun de spontané et de sanguin et, à dire vrai, même fou, comme quand il sâasseyait sur la terrasse torse nu pour jouir, selon lui, de lâinfluence bénéfique des rayons de lâastre solaire. Une soirée dâété il était sorti pour prendre un bol dâair sur la petite terrasse et je lâavais surpris appuyé sur la rambarde, le visage renfrogné et la bouche tordue par une grimace de dégoût. Me voyant, sans toutefois me saluer, il mâavait dit violemment : « Mon bon monsieur, a quand la justice ? »
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