Жорж Санд

Correspondance, 1812-1876. Tome 1


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      XXXIV

      A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

      Nohant, 29 décembre 1829

      Ma chère petite maman,

      Je viens vous souhaiter une bonne santé et tout ce qu'on peut souhaiter de meilleur pour tout le courant de l'année où nous entrons et pour toutes celles de votre vie; faites qu'il venait beaucoup. Pour cela, soignez-vous bien et menez joyeuse vie…

      Que faites-vous de mon mari? vous mène-t-il au spectacle? est-il gai? est-il bon enfant? Il nous a mandé qu'il serait de retour cette semaine; mais je doute que ses affaires lui permettent de tenir cet engagement. Profitez de son bras, pendant que vous l'avez, faites-le rire; car il est toujours triste comme un bonnet de nuit quand il est à Paris. Faites-vous promener, si le temps le permet toutefois. Ici, nous sommes sous la neige comme des marmottes. Nous passons notre vie à nous chauffer et à dire des folies. Nous ne faisons rien, et pourtant les journées sont encore trop courtes. Hippolyte est d'une gaieté intarissable; sa femme se porte assez bien ici, et nos enfants nous occupent beaucoup. Ils lisent parfaitement. Hippolyte est maître d'écriture; moi, je suis maîtresse de musique.

      Ma fille n'est pas tout à fait aussi avancée; mais elle commence à parler anglais et à marcher. Elle a une bonne qui lui parle espagnol et anglais. Si cela pouvait continuer, elle apprendrait plusieurs langues sans s'en apercevoir. Mais je ne suis pas très contente de mademoiselle Pépita (c'est ainsi que se nomme l'héroïne), et je ne sais si je la garderai longtemps. Elle est sale et paresseuse comme une véritable Castillane. Ma petite Solange est pourtant bien fraîche et bien portante. Elle sera, je crois, très jolie; elle ressemble, dit-on, à Maurice; elle a de plus que lui une peau blanche comme la neige. On ne peut pas trouver, par le temps qui court, une comparaison plus palpable.

      Adieu, chère petite maman; j'ai les doigts tout gelés. Je vous embrasse tendrement et laisse la place à Hippolyte.

      XXXV

      A LA MÊME

      1er février 1830

      Ma chère maman,

      Si je n'avais reçu de vos nouvelles par mon marï et par mon frère, qui vient d'arriver, je serais inquiète de votre santé; car il y a bien longtemps que vous ne m'avez écrit. Depuis plusieurs jours, je me disposais à vous en gronder. J'en ai été empêchée par de vives alarmes sur la santé de Maurice.

      J'ai été bien malheureuse pendant quelques jours. Heureusement les soins assidus, les sangsues, les cataplasmes out adouci cette crise. Il a même été plus promptement rétabli que je n'osais l'espérer. Il va bien maintenant et reprend ses leçons, qui sont pour moi une grande occupation. Il me reste à peine quelques heures par jour pour faire un peu d'exercice et jouer avec ma petite Solange, qui est belle comme un ange, blanche comme un cygne et douce comme un agneau. Elle avait une bonne étrangère qui lui eût été fort utile pour apprendre les langues, mais qui était un si pitoyable sujet sous tous les rapports, que, après bien des indulgences mal placées, j'ai fini par la mettre à la porte, ce matin, pour avoir mené Maurice (à peine sorti de son lit à la suite de cette affreuse indigestion) dans le village, se bourrer de pain chaud et de vin du cru.

      J'ai confié Solange aux soins de la femme d'André, que j'ai depuis deux ans. Je vous envoie le portrait de Maurice, que j'ai essayé le soir même où il est tombé malade. Je n'ose pas vous dire qu'il ressemble beaucoup; j'ai eu peu de temps pour le regarder, parce qu'il s'endormait sur sa chaise. Je croyais seulement au besoin de sommeil après avoir joué, tandis que c'était le mal de tête et la fièvre qui s'emparaient de lui. Depuis, je n'ai pas osé le faire poser, dans la crainte de le fatiguer.

      J'ai cherché autant que possible, en retouchant mon ébauche, de me pénétrer de sa physionomie espiègle et décidée. Je crois que l'expression y est bien; seulement le portrait le peint plus âgé d'un an ou deux. La distance des narines à l'oeil est un peu exagérée, et la bouche n'est pas assez froncée dans le genre de la mienne. En vous représentant les traits de cette figure un peu plus rapprochés, de très longs cils que le dessin ne peut pas bien rendre et qui donnent au regard beaucoup d'agrément, de très vives couleurs rosés avec un teint demi-brun, demi-clair, les prunelles d'un noir orangé, c'est-à-dire d'un moins beau noir que les vôtres, mais presque aussi grandes; enfin, en faisant un effort d'imagination, vous pourrez prendre une idée de sa petite mine, qui sera, je crois, par la suite, plutôt belle que jolie.

      La taille est sans défauts: svelte, droite comme un palmier, souple et gracieuse; les pieds et les mains sont très petits; le caractère est un peu emporté, un peu volontaire, un peu têtu. Cependant le coeur est excellent, et l'intelligence très susceptible de développement. Il lit très bien et commence à écrire; il commence aussi la musique, l'orthographe et la géographie; cette dernière, étude est pour lui un plaisir.

      Voilà bien des bavardages de mère; mais vous ne m'en ferez pas de reproches, vous savez ce que c'est. Pour moi, je n'ai pas autre chose dans l'esprit que mes leçons, et j'y sacrifie mes anciens plaisirs. Voici le moment où tous mes soins deviennent nécessaires. L'éducation d'un garçon n'est pas une chose à négliger. Je m'applaudis plus que jamais d'être forcée de vivre à la campagne, où je puis me livrer entièrement à l'instruction.

      Je n'ai aucun regret aux plaisirs de Paris; j'aime bien le spectacle et les coursés quand j'y suis; mais heureusement je sais aussi n'y pas penser quand je n'y suis pas et quand je ne peux pas y aller. Il y a une chose sur laquelle je ne prends pas aussi facilement mon parti: c'est d'être éloignée de vous, à qui je serais si heureuse de présenter mes enfants, et que je voudrais pouvoir entourer de soins et de bonheur. Vous m'affligez vivement en me refusant sans cesse le moyen de m'acquitter d'un devoir qui me serait si doux à remplir. Moi-même, j'ose à peine vous presser, dans la crainte de ne pouvoir vous offrir ici les plaisirs que vous trouvez à Paris, et que la campagne ne peut fournir. Je suis pourtant bien sûre intérieurement que, si la tendresse et les attentions suffisaient pour vous rendre la vie agréable, vous goûteriez celle que je voudrais vous créer ici.

      Adieu, ma chère maman; nous vous embrassons tous, les grands comme les petits. Écrivez-moi donc! ce n'est pas assez pour moi d'apprendre que vous vous portez bien, je veux encore que vous me le disiez et que vous me donniez une bénédiction.

      XXXVI

      A LA MÊME

      Nohant, février 1830.

      Ma chère petite maman,

      J'ai reçu votre lettre depuis quelques jours, et j'y aurais répondu tout de suite, sans un nouveau dérangement de santé qui m'a mis assez bas. Il faudra que je songe sérieusement à me mettre en état de grâce; chose qu'on fait toujours le plus tard qu'on peut, et si tard, que j'ai de la peine à croire que cela serve à quelque chose.

      «Voilà, direz-vous, de beaux sentiments!» Vous savez que je plaisante, et qu'en état de santé ou de maladie, je suis toujours la même, quant au moral; ma gaieté n'en est même pas altérée. Je prends le temps comme il vient, comptant sur l'avenir, sur mes forces physiques, sur la bonne envie que j'ai de vivre longtemps pour vous aimer et vous soigner.

      Heureusement vous êtes toujours jeune et vous pouvez encore mener longtemps la vie de garçon; mais un jour viendra, madame ma chère mère, où vous n'aurez plus de si beaux yeux, ni de si bonnes dents; il faudra bien alors que vous reveniez à nous. C'est là que je vous attends, au coin du feu de Nohant, enveloppée de bonnes couvertures et enseignant à lire aux enfants de Maurice et à ceux de Solange; moi-même, je ne serai plus alors très allante, et, si ma pauvre santé détraquée me mène jusque-là, je ne serai pas fâchée d'accaparer l'autre chenet; c'est alors que nous raconterons de belles histoires qui n'en finiront pas et nous endormiront alternativement. Je serai, moi, beaucoup plus vieille que mon âge; car déjà, avec une dose de sciatique et de douleurs comme celles qui me pèsent sur les épaules, je gagerais que vous êtes plus jeune que moi.

      Ainsi donc, chère mère, comptez que nous vieillirons ensemble et que nous serons juste au même point. Puissions-nous finir de même et nous en aller de compagnie là-bas, le même jour!

      Adieu,