Жюль Верн

Путешествие к центру Земли / Voyage au centre de la Terre


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gré d’attention qu’ils lui accordaient, ni du succès qu’ils pouvaient obtenir par la suite ; ces détails ne l’inquiétaient guère. C’était un savant égoïste, un puits de science dont la poulie grinçait quand on en voulait tirer quelque chose : en un mot, un avare.

      Il y a quelques professeurs de ce genre en Allemagne.

      Mon oncle était conservateur du musée minéralogique de M. Struve, ambassadeur de Russie, précieuse collection d’une renommée européenne.

      C’était un homme grand, maigre, d’une santé de fer et d’un blond juvénil[3] qui lui ôtait dix bonnes années de sa cinquantaine. Ses gros yeux roulaient sans cesse derrière des lunettes considérables ; son nez, long et mince, ressemblait à une lame affilée ; les méchants prétendaient même qu’il était aimanté et qu’il attirait la limaille de fer[4]. Pure calomnie : il n’attirait que le tabac, mais en grande abondance, pour ne point mentir.

      Il demeurait dans sa petite maison de Königstrasse, une habitation moitié bois, moitié brique, à pignon dentelé[5].

      Mon oncle était riche pour un professeur allemand. La maison lui appartenait en toute propriété, contenant et contenu. Le contenu, c’était sa filleule Graüben[6], de dix-sept ans, la bonne Marthe et moi. En ma double qualité de neveu et d’orphelin, je devins son aide dans ses expériences.

      J’avais du sang de minéralogiste dans les veines, et je ne m’ennuyais jamais en compagnie de mes précieux cailloux.

      En somme, on pouvait vivre heureux dans cette maisonnette de Königstrasse, malgré les impatiences de son propriétaire, car, tout en s’y prenant d’une façon un peu brutale, celui-ci ne m’en aimait pas moins. Mais cet homme-là ne savait pas attendre.

      Quand, en avril, il avait planté dans les pots de faïence de son salon des pieds de réséda, chaque matin il allait régulièrement les tirer par les feuilles afin de hâter leur croissance.

      Avec un pareil original, il n’y avait qu’à obéir. Je me précipitai donc dans le cabinet de mon oncle.

      II

      Ce cabinet était un véritable musée. Tous les échantillons du règne minéral[7] s’y trouvaient étiquetés avec l’ordre le plus parfait.

      Mon oncle était assis dans son large fauteuil et tenait entre les mains un livre qu’il considérait avec la plus profonde admiration.

      « Quel livre ! quel livre ! » s’écriait-il.

      Cette exclamation me rappela que le professeur Lidenbrock était aussi bibliomane.

      « Eh bien ! me dit-il, tu ne vois donc pas ? Mais c’est un trésor inestimable que j’ai rencontré ce matin dans la boutique.

      – Magnifique ! » répondis-je avec un enthousiasme de commande[8].

      En effet, à quoi bon ce fracas pour un vieux bouquin jaunâtre auquel pendait un signet décoloré ?

      Cependant le professeur continuait à pousser les interjections admiratives.

      « Vois, disait-il, en se faisant à lui-même demandes et réponses ; est-ce assez beau ? Oui, c’est admirable ! Et quelle reliure ! Ce livre s’ouvre-t-il facilement ? Oui, car il reste ouvert à n’importe quelle page ! Mais se ferme-t-il bien ? Oui, car la couverture et les feuilles forment un tout bien uni. Et ce dos qui n’offre pas une seule brisure après sept cents ans d’existence ! »

      Je ne pouvais faire moins que de l’interroger sur son contenu[9], bien que cela ne m’intéressât aucunement.

      « Et quel est donc le titre de ce merveilleux volume ? demandai-je avec un empressement trop enthousiaste pour n’être pas feint.

      – Cet ouvrage ! répondit mon oncle en s’animant, c’est l’Heims-Kringla de Snorre Turleson, le fameux auteur islandais du douzième siècle ! C’est la Chronique des princes norvégiens qui régnèrent en Islande !

      – Vraiment ! m’écriai-je de mon mieux, et, sans doute, c’est une traduction en langue allemande ?

      – Bon ! riposta vivement le professeur, une traduction ! Et qu’en ferais-je de ta traduction ! Ceci est l’ouvrage original en langue islandaise, ce magnifique idiome, riche et simple à la fois !

      – Comme l’allemand.

      – Oui, répondit mon oncle, sans compter que la langue islandaise admet les trois genres comme le grec et décline les noms propres comme le latin !

      – Ah ! fis-je un peu ébranlé dans mon indifférence, et les caractères de ce livre sont-ils beaux ?

      – Des caractères ! Qui te parle de caractères, malheureux Axel ? Ah ! tu prends cela pour un imprimé[10] ! Mais, ignorant, c’est un manuscrit, et un manuscrit runique[11] !…

      – Runique ?

      – Oui ! Vas-tu me demander maintenant de t’expliquer ce mot ?

      – Je m’en garderai bien », répliquai-je avec l’accent d’un homme blessé dans son amour-propre.

      Mais mon oncle continua et m’instruisit, malgré moi, de choses que je ne tenais guère à savoir.

      « Les runes, reprit-il, étaient des caractères d’écriture usités autrefois en Islande, et, suivant la tradition, ils furent inventés par Odin[12] lui-même ! Mais regarde donc, admire donc, impie, ces types qui sont sortis de l’imagination d’un dieu ! »

      Ma foi, faute de réplique, j’allais me prosterner, genre de réponse qui doit plaire aux dieux comme aux rois, quand un incident vint détourner le cours de la conversation. Un parchemin crasseux glissa du bouquin et tomba à terre.

      Mon oncle se précipita sur ce brimborion avec une avidité facile à comprendre. Un vieux document, enfermé peut-être depuis un temps immémorial dans un vieux livre, ne pouvait manquer d’avoir un haut prix à ses yeux.

      « Qu’est-ce que cela ? » s’écria-t-il.

      Il déploya soigneusement sur sa table un morceau de parchemin long de cinq pouces, large de trois, et sur lequel s’allongeaient des caractères de grimoire.

      Le professeur considéra pendant quelques instants cette série de caractères ; puis il dit en relevant ses lunettes :

      « C’est du runique ; ces types sont absolument identiques à ceux du manuscrit de Snorre Turleson ! Mais… qu’est-ce que cela peut signifier ? C’est pourtant du vieil islandais ! »

      Deux heures sonnèrent. Et la bonne Marthe ouvrit la porte du cabinet en disant :

      « La soupe est servie.

      – Au diable la soupe ! » s’écria mon oncle.

      Marthe s’enfuit. Je volai sur ses pas, et me trouvai assis à ma place habituelle dans la salle à manger.

      J’attendis quelques instants. Le professeur ne vint pas.

      « Je n’ai jamais vu chose pareille ! disait la bonne Marthe. M. Lidenbrock qui n’est pas à table ! Cela présage quelque événement grave ! »

      J’en étais à ma dernière crevette, lorsqu’une voix retentissante m’arracha aux voluptés du dessert[13]. Je ne fis qu’un bond de la salle dans le cabinet.

      III

      « C’est évidemment du runique, disait le professeur en fronçant le sourcil. Mais il y a un secret, et je le découvrirai, sinon… »

      Un geste violent acheva sa pensée.

      « Mets-toi là, ajouta-t-il en m’indiquant la table du poing, et écris. »

      En