Il avait l’impression que des tonnes de sable pesaient sur lui, frottant contre sa peau dans tous les sens tandis qu’il chargeait de plus en plus profondément en son sein. C’était si bruyant, sonnant comme des milliers de frelons dans ses oreilles, pourtant il progressait encore, éperonnant son zerta, le forçant, même s’il protestait, à s’y enfoncer de plus en plus. Il pouvait sentir le sable érafler sa tête, ses yeux et son visage, et il avait l’impression qu’il allait être mis en pièces.
Pourtant il persévérait.
Juste alors qu’il se demandait si ses hommes avaient raison, si ce mur ne menait nulle part, s’ils allaient tous mourir là dans cet endroit, au grand soulagement du commandant, il jaillit hors du sable et à nouveau dans la lumière du jour, sans plus de sable pour le frotter, plus de bruit dans ses oreilles, rien que le ciel et l’air – qu’il n’avait jamais été si heureux de voir.
Tout autour de lui, ses hommes sortirent, eux aussi, tous irrités et en sang comme lui, de même que leurs zertas, tous paraissant plus morts que vifs – mais tous en vie.
Et alors qu’il levait les yeux et regardait devant lui, le cœur du commandant s’emballa soudain en s’arrêtant sur la vue saisissante. Il ne put plus respirer en admirant le panorama, et lentement mais sûrement, il sentit son cœur se gonfler d’un soudain sentiment de victoire, de triomphe. Des pics majestueux s’élevaient droit vers le ciel, formant un cercle. Un lieu qui ne pouvait être qu’une chose :
La Crête.
Elle se tenait là à l’horizon, s’élançant dans les airs, magnifique, vaste, et elle s’étirait à perte de vue des deux côtés. Et là, au sommet, brillant dans la lumière du soleil, il fut stupéfait de voir des milliers de soldats dans des armures étincelantes, en patrouille.
Il l’avait trouvée. Lui, et lui seul, l’avait trouvée.
Ses hommes s’arrêtèrent abruptement à côté de lui, et il put les voir, eux aussi, lever les yeux avec admiration et émerveillement, bouche bée, tous pensant à la même chose que lui : ce moment était historique. Ils allaient tous devenir des héros, connus pour des générations dans les traditions de l’Empire.
Avec un large sourire, le commandant se retourna et fit face à ses hommes, qui le regardaient à présent avec déférence ; puis il tira sèchement sur son zerta et fit demi-tour, s’apprêtant à chevaucher à nouveau à travers le mur de sable – et à refaire tout le chemin, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’il atteigne la base de l’Empire et rapporte au Chevaliers des Sept ce qu’il avait personnellement découvert. D’ici quelques jours, il le savait, toutes les forces de l’Empire assailliraient ce lieu, le poids de millions d’hommes résolus à détruire. Ils passeraient à travers ce mur de sable, escaladeraient la Crête, et écraseraient ces chevaliers, prendraient le contrôle du dernier territoire libre de l’Empire.
« Hommes », dit-il, « notre temps est venu. Préparez-vous à avoir vos noms gravés pour l’éternité. »
CHAPITRE TROIS
Kendrick, Brandt, Atme, Koldo et Ludvig cheminaient à travers la Grande Désolation, vers les soleils levants de l’aube du désert, marchant à pied, comme ils l’avaient fait durant toute la nuit, déterminés à secourir le jeune Kaden. Ils marchaient d’un air sombre, dans un rythme silencieux, chacun avec la main sur son arme, le regard attentif, suivant la piste des Marcheurs des Sables. Les centaines de traces de pas les menaient de plus en plus profondément dans ce paysage de désolation.
Kendrick commençait à se demander si cela se terminerait un jour. Il s’étonnait de s’être retrouvé une fois encore dans cette position, de retour dans ce désert dans lequel il avait juré de ne plus remettre les pieds – surtout à pied, sans chevaux, sans provisions, et aucun moyen de rentrer. Ils avaient fondé tous leurs espoirs sur les autres chevaliers de la Crête, pour qu’ils reviennent à eux avec les chevaux – mais sinon, ils s’étaient offert un aller simple pour une quête sans retour.
Mais c’était ce que la bravoure signifiait, Kendrick le savait. Kaden, un excellent jeune guerrier au grand cœur, avait noblement monté la garde, s’était bravement aventuré dans le désert pour faire ses preuves pendant qu’il faisait le guet, et avait été enlevé par ces bêtes sauvages. Koldo et Ludvig ne pouvaient pas tourner le dos à leur frère cadet, même si la chance était mince – et Kendrick, Brandt, Atme ne pouvaient pas se détourner d’eux tous ; leur sens du devoir et de l’honneur les contraignait à faire autrement. Ces bons guerriers de la Crête les avaient accueillis avec hospitalité et grâce quand ils avaient eu le plus besoin d’eux – et maintenant il était temps de leur rendre la faveur – quel que soit le prix. La mort signifiait peu pour lui – mais l’honneur signifiait tout.
« Parlez-moi de Kaden », dit Kendrick en se tournant vers Koldo, voulant briser la monotonie du silence.
Koldo leva les yeux, surpris après cette profonde quiétude, et soupira.
« Il est un des meilleurs jeunes guerriers que vous rencontrerez jamais », dit-il. « Son cœur est toujours plus grand que son âge. Il voulait être un homme avant même d’être un garçon, voulait brandir une épée avant même de pouvoir en tenir une. »
Il secoua la tête.
« Cela ne me surprend pas qu’il se soit aventuré trop profondément, soit le premier de la patrouille à être pris. Il ne reculait devant rien – en particulier si cela signifiait veiller sur les autres. »
Ludvig intervint.
« Si n’importe lequel d’entre nous devait être pris », dit-il, « notre petit frère serait le premier à se porter volontaire. Il est le plus jeune d’entre nous, et il représente ce qu’il y a de mieux en nous. »
Kendrick en avait supposé autant d’après ce qu’il avait vu en parlant à Kaden. Il avait reconnu l’esprit du guerrier en lui, même avec son jeune âge. Kendrick savait, comme il l’avait toujours su, que l’âge n’avait rien à voir avec le fait d’être un guerrier : l’esprit du guerrier résidait en quelqu’un, ou pas. L’esprit ne pouvait pas mentir.
Ils continuèrent à marcher pendant un long moment, retombant dans leur silence constant tandis que les soleils montaient plus haut, jusqu’à ce que finalement Brandt se racle la gorge.
« Et qu’en est-il de ces Marcheurs des Sables ? » demanda Brandt à Koldo.
Ce dernier se tourna vers lui pendant qu’ils avançaient.
« Un groupe de nomades vicieux », répondit-il. « Plus des bêtes que des hommes. Ils sont connus pour patrouiller à la périphérie du Mur de Sable. »
« Des charognards », intervint Ludvig. « Ils sont connus pour entrainer leurs victimes loin dans le désert. »
« Vers où » demanda Atme.
Koldo et Ludvig échangèrent un regard sinistre.
« Vers là où ils se rassemblent – là où ils accomplissent un rituel et les mettent en pièces. »
Kendrick tressaillit à la pensée de Kaden, et au sort qui l’attendait.
« Alors il y a peu de temps à perdre », dit Kendrick. « Courons, d’accord ? »
Ils se regardèrent tous les uns les autres, connaissant l’immensité de cet endroit et la longue course qu’ils auraient devant eux – en particulier avec la chaleur qui augmentait et leur armure. Ils savaient tous combien il était risqué de ne pas doser leurs efforts dans ce milieu impitoyable.
Pourtant ils n’hésitèrent pas ; ils se mirent à courir ensemble. Ils couraient vers le néant, de la sueur coula bientôt sur leurs visages, sachant que s’ils ne trouvaient pas Kaden rapidement, ce désert les tuerait tous.
Kendrick haletait tout en courant, le second soleil était maintenant haut au-dessus de leurs têtes, sa lumière aveuglante, sa chaleur étouffante, et cependant lui et les autres continuaient à courir,