Морган Райс

Une Loi de Reines


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était assez forte. Quand sa mère avait parlé d’épreuves, Thor avait été certain de pouvoir les passer sans difficultés. Ce n’est plus le cas.

      Le bateau se balança soudain au rythme du roulis et Thor sentit le courant les emporter dans la direction opposée. Il leva brusquement la tête et jeta par-dessus son épaule un coup d’œil aux rameurs : Reece, Elden, Indra et O’Connor. Tous les quatre levaient des yeux surpris vers la voile de leur petite embarcation qui dansait furieusement sous l’effet du vent.

      – Le Courant du Nord, dit Matus en étudiant les eaux, mains sur les hanches.

      Il secoua la tête.

      – Qu’est-ce que c’est ? demanda Indra. On ne peut pas contrôler le bateau.

      – Il traverse parfois les Isles Boréales, expliqua Matus. Je ne l’avais encore jamais vu, mais j’en ai entendu parler. C’est un contre-courant. Une fois qu’il t’attrape, il ne te lâche plus. Inutile d’essayer de lui échapper en ramant.

      Thor baissa les yeux. L’eau les emportait maintenant à une vitesse deux fois supérieure. Un nouvel horizon dépouillé de toute terre, peuplé de nuages blancs et violets, s’ouvrait à présent devant eux, magnifique et inquiétant.

      – Mais nous allons vers l’est, dit Reece, et nous devons partir vers l’ouest. Tout notre peuple se trouve par là-bas. L’Empire est à l’ouest.

      Matus haussa les épaules.

      – Nous allons où le courant nous mène.

      Thor réalisa que chaque instant le séparait maintenant un peu plus de Gwendolyn et de son peuple.

      – Et où est-ce qu’on s’arrêtera ? demanda O’Connor.

      Matus haussa à nouveau les épaules.

      – Je ne connais que les Isles Boréales, dit-il. Je ne suis jamais allé aussi loin vers le nord. Je ne sais pas ce qui se trouve là-bas.

      – Le courant s’arrête bien quelque part, dit Reece d’une voix sombre.

      Tous les yeux se tournèrent vers lui et Reece hocha la tête pour confirmer ses propos.

      – J’ai reçu des leçons sur ces courants étant enfant. Dans l’ancien livre des Rois, on trouve une collection de cartes représentant chaque région du monde. Le Courant du Nord mène aux confins orientaux du monde.

      – Les confins orientaux ? répéta Elden d’un ton inquiet. Nous nous retrouverions donc de l’autre côté du monde, par rapport au reste de notre peuple ?

      Reece haussa les épaules.

      – Les livres étaient anciens et j’étais jeune. Tout ce dont je me souviens, c’est que le courant y était décrit comme un portail conduisant au Pays des Esprits.

      Thor adressa à Reece un regard pensif.

      – Des contes de bonnes femmes, dit O’Connor. Il n’y a pas de portail, pas de Pays des Esprits. Ce portail a été condamné il y a des siècles, bien avant que nos pères ne foulent cette terre.

      Reece haussa les épaules et tous se turent, les yeux tournés vers l’océan. Emporté à toute allure par les flots, Thor se demanda où le courant était en train de les emmener.

*

      Thor était assis au bord du bateau, arrosé de temps en temps par des gouttes froides, le regard perdu entre les vagues depuis déjà des heures. Loin du monde, il sentait à peine l’humidité contre sa peau. Il aurait voulu se rendre utile, hisser les voiles, ramer – faire n’importe quoi – mais il n’y avait rien à faire. Le Courant du Nord les emportait. Tout ce que le groupe pouvait faire, c’était attendre, pendant que l’embarcation dansait entre les vagues. Ils étaient entre les mains du destin.

      Thor observait l’horizon en se demandant quand tout cela finirait. Il avait l’impression de dériver au milieu de l’infini, insensible au froid et au vent, égaré dans la monotonie silencieuse. Les oiseaux de mer avaient depuis longtemps disparus. Le ciel s’assombrissait de seconde en seconde. C’était comme si le courant les emportait vers le néant, aux confins de la terre.

      Des heures avaient passées et la lumière du jour tombait, quand enfin Thor se redressa, le regard attiré par quelque chose. Il cru d’abord à une hallucination, un mirage, mais le courant accéléra l’allure et la forme se dessina plus nettement au loin. C’était réel.

      Thor se leva, pour la première fois depuis des heures. Les mains sur les hanches au milieu du pont qui dansait au rythme du roulis, il plissa les yeux.

      – C’est réel ? demanda une voix.

      Reece se porta à la hauteur de Thor. Elden, Indra et les autres les rejoignirent à leur tour, tous émerveillés par la vue.

      – Une île ? demanda O’Connor.

      – On dirait plutôt une caverne, dit Matus.

      Alors qu’ils s’approchaient, Thor commença à distinguer les contours. C’était bien une caverne. Un immense récif, haut de plusieurs centaines de mètres, s’élevait au milieu de l’océan interminable et formait une grande arche. On aurait dit une bouche gigantesque, prête à avaler le monde.

      Et les courants emportaient le bateau dans sa direction.

      Thor resta bouche bée. Il sut que ce récif ne pouvait être qu’une seule chose : l’entrée du Pays des Esprits.

      CHAPITRE HUIT

      Darius remontait en silence et d’un pas lent le sentier de terre battue, Loti à ses côtés. Une tension s’était installée entre eux. Ni l’un, ni l’autre n’avait prononcé un mot depuis leur altercation avec le maître d’œuvre et ses hommes. Mille pensées occupaient l’esprit de Darius alors qu’il marchait aux côtés de Loti, pour la ramener au village. Il avait envie de passer son bras autour de ses épaules, bien décidé à ne plus jamais la quitter. Il avait envie de voir ses yeux s’allumer de joie et de soulagement, de l’entendre dire combien elle lui était reconnaissante d’avoir risqué sa vie pour elle – ou, au moins, de l’entendre dire qu’elle était heureuse de le voir.

      Mais ils marchaient dans un silence tendu, désagréable. Loti ne disait rien. Elle évitait même son regard. Elle ne lui avait pas adressé la parole depuis qu’il avait déclenché cette avalanche. Le cœur de Darius battait à tout rompre. Qu’est-ce qui lui passait par la tête ? Elle l’avait vu utiliser son pouvoir, elle avait vu l’avalanche. Elle lui avait jeté un regard terrifié, avant de détourner les yeux.

      Peut-être qu’à ses yeux, il avait brisé le tabou de son peuple, l’interdiction d’utiliser la magie – un pouvoir que son peuple méprisait plus que tout au monde. Peut-être qu’elle avait peur de lui. Ou pire : peut-être qu’elle ne l’aimait plus. Peut-être qu’elle voyait en lui une sorte de monstre.

      Le cœur de Darius se brisait. Cela devait-il donc finir ainsi ? Il avait risqué sa vie pour une fille qui ne l’aimait plus. Il aurait tout donné pour lire ses pensées, tout. Mais elle ne voulait même pas lui parler. Était-elle en état de choc ?

      Darius voulait lui dire quelque chose, n’importe quoi, simplement pour briser le silence. Mais par où commencer ? Il avait toujours cru la connaître pas cœur. Il n’en était plus si sûr. Il était secrètement indigné par sa réaction, trop fier pour lui adresser la parole, mais il ressentait également de la honte. Il savait ce que son peuple pensait de la magie. La magie était-elle donc si terrible ? Même pour sauver la vie de la fille qu’on aime ? Allait-elle le dénoncer auprès des autres ? Si les villageois l’apprenaient, Darius serait exilé.

      Ils marchaient, marchaient, marchaient. Enfin, Darius ne supporta plus le silence : il fallait qu’il dise quelque chose.

      – Je suis sûr que ta famille sera heureuse de te revoir, dit-il.

      À sa grande déception, Loti ne lui jeta pas un regard. Elle demeura impassible et le silence retomba. Au bout d’un long moment, elle secoua la tête.

      – Peut-être,